Les scientifiques de tous bords ont pendant très longtemps été impressionnés par les propriétés adhésives des pattes du gecko, sans jamais vraiment comprendre les rouages permettant à ce reptile de développer une force équivalant à supporter une charge d’environ quatre kilogrammes sur une surface verticale et sans glisser, – soit près de 30 fois le poids du gecko, en moyenne 140 grammes. Une équipe composée d’un biologiste et de scientifiques spécialistes des polymères de l’université du Massachusetts, à Amherst, se sont penchés sur le sujet, avec des résultats qui sont pour le moins concluants.
Tous les précédents efforts pour synthétiser le pouvoir adhésif des pattes du gecko se sont régulièrement soldés par des échecs, la communauté scientifique ayant imputé cette prouesse aux seuls poils microscopiques présents sous leurs doigts, les setæ. La plupart des geckos possèdent ces setæ, dont l’implantation très dense forme des lamelles adhésives sous chaque doigt . Les setæ se ramifient à leur extrémité en poils extrêmement fins, engendrant des interactions avec le support à l’échelle moléculaire, connues sous le nom de « force de Van der Waals ». Pour décoller les setæ d’une surface, les poils doivent changer leur orientation.
Les principaux problèmes sont la reproduction de ce dispositif naturel à plus grande échelle, la faible durée de vie de poils conçus artificiellement qui ne peuvent se renouveler, ainsi que la difficulté à reproduire la capacité qu’ont les geckos à se coller et se décoller à volonté, et ce jusqu’à plus de 10 fois par seconde. « La complexité d’une patte de gecko n’avait jamais été entièrement prise en compte », explique le biologiste du groupe, Duncan Irschick, qui a étudié le petit lézard pendant plus d’une vingtaine d’années. « La patte d’un gecko est composée de plusieurs éléments qui interagissent entre eux, incluant les tendons, les os et la peau en plus des setæ, travaillant ensemble pour produire aisément cette fantastique adhésivité réversible », ajoute-t-il.
C’est grâce au décryptage plus précis de ces mécanismes que l’équipe de chercheurs est parvenue à concevoir « Geckskin », un adhésif dont seulement 40 cm² posés sur une surface verticale peuvent supporter près de 317 kilos, – prouesse encore jamais réalisée à une telle échelle. Au delà de ces incroyables propriétés adhésives, « Gecksin » demanderait des efforts négligeables pour être détaché et serait réutilisable de très nombreuses fois sans perte d’efficacité, d’après l’équipe de chercheurs. Autre atout majeur : Geckskin ne laisserait pas de résidus sur les surfaces utilisées.
L’innovation majeure, selon le spécialiste Michael Bartlett, a été de « créer un adhésif intégré, avec une surface souple solidaire d’une structure rigide, permettant à la surface souple d’envelopper le support choisi pour maximiser le contact. » Comme dans une patte de gecko, « Geckskin est relié à une sorte de tendon synthétique, dispositif clé dans le maintien de la rigidité et dans la liberté rotationnelle offerte par notre découverte », poursuit-il. Les scientifiques de l’université du Massachusetts ont également prouvé que les setæ n’étaient pas nécessaires pour reproduire les performances des geckos, « concept qui n’avait jusqu’alors pas été étudié par les précédents travaux de recherche, et qui pourrait ouvrir de nouvelles possibilités pour les futurs travaux de recherche », conclut-il dans l’article publié dans la revue scientifique Advanced Materials.
Geckskin est essentiellement composé d’un polymère très commun, le polydiméthylsiloxane (PDMS), présent notamment dans les shampooings ou dans certains aliments. C’est un polymère très prometteur pour le développement d’un adhésif puissant, réversible, durable et peu onéreux. Suspendre comme « décoller » une télévision, un ordinateur aussi bien que du matériel médical ou industriel pourrait alors ne plus être qu’un jeu d’enfant, sans laisser le moindre résidu.
Le projet Geckskin a été réalisé sans surprise sous la houlette de la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), agence affiliée au Département de la Défense américain, et chargée de la recherche et du développement des nouvelles technologies destinées à des fins militaires. Les concepteurs de Geckskin, loin de se satisfaire de leur travail, continuent encore à améliorer leur découverte, afin de présenter le dispositif le plus efficace possible.
Par Moonzur Rahman
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