Plutôt que de tenter d’expliquer à l’opinion et de définir des terrains de convergence admissibles par tous au sujet de l’exploitation des gaz et des huiles de schiste, les acteurs principaux ont choisi dès le début de s’étriper. Qu’il s’agisse des pourfendeurs invétérés de cette ressource énergique ou de ses thuriféraires les plus motivés, le registre communicant adopté se résume pour les deux parties à un ring argumentaire où tous les coups sont permis pourvu que l’impact frappe le corps sociétal au détriment de l’autre. Dans ce combat de catch sans merci, la peur et/ou la manipulation ne sont jamais très éloignées pour gagner les soutiens des autres parties prenantes concernées.
Gaz de schiste : ami ou ennemi ?
Avant de passer au crible les tactiques communicantes en présence, il convient de se pencher quelques instants sur le gaz de schiste. Certains y voient le relais idéal pour compenser la diminution inéluctable des réserves pétrolifères et acquérir une indépendance énergétique accrue envers les pays producteurs de pétrole. D’autres au contraire admonestent à tour de bras cet hydrocarbure non conventionnel en le qualifiant de gravement polluant lors de son extraction souterraine et entraînant des problèmes de santé pour les populations avoisinantes.
Alors entre fantasme et factuel, qu’en est-il exactement ? Le gaz de schiste et l’huile de schiste sont en fait des hydrocarbures piégés dans des roches sédimentaires argileuses imperméables et compactes, souvent situées entre 1 et 3 kilomètres de profondeur. Conséquence : l’atteinte de ces poches nécessite des forages puissants qui fracturent la roche en injectant de l’eau et des produits chimiques à haute pression pour récupérer ensuite les gaz et les huiles de schiste.
Ce n’est que depuis le début du 21ème siècle que les progrès techniques du forage ont permis d’envisager une exploitation industrielle rentable de cette ressource énergétique. Aujourd’hui, ce gaz est aujourd’hui extrait en grande quantité aux États-Unis où il représente 12 % de la production locale de gaz contre seulement 1 % en 2000 (1). En Europe et notamment en France, l’évaluation de ce type de ressources demeure encore embryonnaire même si les compagnies pétrolières poussent énormément pour accélérer la cadence et obtenir des permis d’exploitation de la part des autorités gouvernementales.
Depuis 2010, une virulente polémique agite tenants et opposants au gaz de schiste aux USA mais également en France. Là où d’aucuns dénoncent une atteinte inacceptable à l’environnement, d’autres brandissent l’argument de l’indépendance énergétique que ce gaz peut potentiellement procurer aux pays exploitant leur sous-sol. Ainsi, aux Etats-Unis, « la proportion de gaz de schistes pourrait atteindre 25% en 2030 permettant à ce pays d’être auto-suffisant, alors que des importations massives de gaz liquéfiés (GNL) transportés par bateau étaient envisagées », analyse l’IFP énergies nouvelles. En France, un document interne de Total cité par Les Échos estime que les gisements du sud de la France renfermeraient 2380 milliards de mètres cubes de gaz, soit cinquante ans de consommation nationale (2).
Il faut diaboliser le gaz de schiste
A la lumière de ces perspectives, les enjeux du gaz de schiste prennent évidemment une toute autre coloration stratégique à laquelle les protecteurs de l’environnement n’ont guère tardé à s’opposer avec pugnacité.
Principal cheval de bataille : l’impact écologique et sanitaire qu’entraîne la fracturation hydraulique de la roche pour capter les gaz et huiles de schiste. Le premier reproche tourne autour de la consommation excessive d’eau que l’IFP (3) évalue effectivement à environ 10 à 15 millions de litres (soit l’équivalent de 3 piscines olympiques,).
L’autre flèche décochée par les écologistes évoque de possibles transferts de substances chimiques dans les nappes phréatiques adjacentes à cause des produits utilisés par les entreprises pétrolières lors des forages. Des produits qui pourraient contaminer l’eau du robinet et véhiculer des éléments hautement cancérigènes pour les humains buvant l’eau.
C’est précisément cette technique d’extraction qui a conduit en 2010 Josh Fox, un réalisateur militant américain à produire un documentaire implacable sur les dangers supposés de l’exploitation du gaz de schiste. Intitulé « Gasland », le film est un impitoyable réquisitoire sur tous les effets pervers qu’une telle industrie est censée provoquer en aspirant les gaz de schiste souterrains. Un an durant, il est parti sur le terrain à la rencontre des habitants des zones où les compagnies pétrolières s’activent déjà pour récupérer le précieux hydrocarbure.
Plus qu’un long plaidoyer scientifique (bien que des experts ont été sollicités dans le film), Josh Fox s’attache avant tout à taper fort pour dénoncer les gaz de schiste. Il utilise en cela une technique de communication bien connue pour inciter les gens à modifier leur opinion en s’appuyant sur l’effet heuristique de l’image. En d’autres termes, le problème est dénoncé non par des points techniques contradictoires mais par des symboles chocs qui ont vocation à marquer les esprits et faire basculer les opinions.
A cet égard, « Gasland » comporte une scène mémorable qui a fait le tour du monde et proliféré dans les réseaux sociaux. Une scène où un habitant ouvre son robinet, allume un briquet juste au-dessous et déclenche aussitôt un hallucinant retour de flamme. Une scène à l’aune de la structure volontairement dramatique du film qui met en vis-à-vis des industriels froids et préoccupés par leur business et des citoyens lambda évoquant leurs symptômes maladifs depuis que l’exploitation a commencé dans leur région. Autant dire que le résultat est imparable pour quiconque regarde le film sans avoir de connaissance précise sur le sujet.
Le gaz de schiste contre-attaque
Face à l’écho enregistré par « Gasland », la réplique ne se fait guère attendre. Industriels et experts pointent notamment l’absence de corrélation concrète entre l’exploitation du gaz de schiste et les pathologies observées chez les témoins du film. Une journaliste du Financial Times, spécialiste des questions énergétiques, n’hésite d’ailleurs pas à critiquer (4) les faiblesses rhétoriques du documentaire et de la ligne argumentaire empruntée par Josh Fox.
Néanmoins, le doute est désormais instillé dans l’opinion publique d’autant que les entreprises concernées ne se distinguent guère par une communication prolixe et ouverte sur le sujet. Au contraire, elles préfèrent même pour réfuter les attaques adverses, recourir à des approches communicantes qui flirtent dangereusement avec la manipulation. Récemment, deux cas de tentatives de distorsion ont été ainsi dévoilés. Le premier cas concerne un rapport rendu public en février 2012. Réalisé par des chercheurs de l’Energy Institute l’université d’Austin au Texas, le document dédouane clairement le gaz et l’huile de schiste des conséquences sanitaires qui leur sont imputées.
Lire la suite ici
Sources
(1) – Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie – « Qu’est-ce que le gaz et l’huile de schiste ? » – 8 juin 2012
(2) – Béatrice Héraud – « Entre eldorado stratégique et risque environnemental » – Novethic.fr – 21 octobre 2010
(3) – Ibid.
Par Olivier Cimelière / Le blog du Communicant 2.0
Olivier Cimelière
Après avoir été reporter en presse écrite et en radio à la sortie de son école de journalisme (CELSA), Olivier s’est orienté vers la communication d’entreprise au sein de grandes entreprises internationales dans successivement le secteur pharmaceutique (Bœhringer Ingelheim), le secteur alimentaire (Nestlé Waters) et le secteur des technologies de l’information et de la communication (Ericsson & Google). Olivier compte plus de 20 ans d’expérience professionnelle en communication, relations presse et réseaux sociaux. Il anime en outre un blog personnel sur la communication, l’information, la réputation et la distorsion d’image : www.leblogducommunicant2-0.com. Il est l’auteur d’un essai intitulé « Journalistes, nous avons besoin de vous ! »
Cet article se trouve dans le dossier :
Les matériaux de la transition énergétique
- Électricité : le courant passe bien avec l’aluminium recyclé
- De nouvelles pistes pour réduire le colmatage en géothermie
- Des panneaux solaires ultralégers composés de thermoplastique recyclé
- Ciment sans clinker : la solution d’avenir ?
- XtreeE développe l’impression 3D béton renforcée par des fibres longues
- Un supercondensateur à base de ciment, d’eau et de carbone pour stocker l’électricité dans les structures en béton
- Circul’egg donne une nouvelle vie aux coquilles d’œufs
- Booster le procédé de photo-électrolyse de l'eau pour produire de l'hydrogène vert
- Augmenter les vitesses de fabrication des réservoirs à hydrogène en thermoplastique
- Le stockage solide d’hydrogène bientôt primé ?
- Produire des bioplastiques à partir de résidus de maïs et de bactéries
- De nombreuses solutions offertes aux industriels pour remplacer les phtalates
- Produire des bioplastiques à partir de résidus de maïs et de bactéries
- La start-up Bysco valorise le byssus de moule en matières textiles
- Transformer le CO2 en polyester avec Fairbrics
- Eranova : des algues vertes aux biopolymères