Le BTU (British thermal units, 1 million de BTU est équivalent à 293 kWh thermiques) est l’unité standard pour mesurer le contenu énergétique d’un combustible. L’obtention d’1 million de BTU de gaz de schiste profond requiert 12 litres d’eau douce, plus précisément entre 2 et 22 litres en fonction du contexte géologique. Au niveau du célèbre bassin géant de Marcellus, dans le nord-est des USA, l’intensité hydrique est de 4 litres par million de BTU. Est-ce beaucoup ?
3,5 fois moins d’eau douce qu’avec le nucléaire
7 fois moins qu’avec le charbon
Pour obtenir 1 million de BTU d’uranium prêt à être utilisé dans une centrale nucléaire, ce sont en moyenne 42 litres (entre 30 et 53 litres) d’eau douce qui sont consommés. Et 87 litres pour le charbon. Le groupe AREVA a par exemple recours à l’usine de dessalement de l’eau de mer de Wlotzkasbaken en Namibie (voir ci-dessous) pour alimenter sa mine d’uranium de Trekkoppje.
Le fleuron du nucléaire français décrit ainsi le processus d’obtention du minerai, le fameux yellow cake : « Une fois extraite, la roche (contenant l’uranium ndlr) concassée et finement broyée sera déposée dans une série de fosses dotées d’un système collecteur et déployées sur une surface de plus de 3 km de longueur sur 810 m de largeur.
Dans un premier temps, elle y sera rincée par arrosage à l’eau douce pendant 40 jours afin d’en éliminer les chlorures. Elle sera ensuite lixiviée au moyen de solutions alcalines diluées, une opération qui consiste à dissoudre peu à peu l’uranium présent par infiltration à travers les tas. La solution ainsi obtenue est alors filtrée par une technologie spécifique (le procédé Nimcix d’échange d’ions). Le minerai, débarrassé de ses impuretés, est récupéré après séchage sous forme de concentré d’uranium, le yellow cake. Il peut alors être conditionné pour être expédié vers les usines de conversion des clients d’AREVA. »
Au nord du Niger, autour des villes d’Arlit et d’Akokan, AREVA pompe depuis 40 ans l’eau douce depuis les aquifères souterrains locaux (ci-dessous un mine d’uranium au Niger). Or l’eau douce est une ressource très précieuse dans la région sahélienne. Il est bien plus problématique de consommer un litre d’eau douce au nord du Niger (climat désertique) pour produire du combustible nucléaire que deux litres en Allemagne ou en Pologne (climat tempéré) pour produire du charbon. D’un point de vue théorique, le remplacement de l’intégralité du parc électro-nucléaire français par des centrales électriques au gaz naturel de schiste conduirait non seulement à une division par trois de la consommation d’eau douce mais éviterait surtout d’appauvrir les stocks d’eau douce sahariens et d’augmenter la concentration saline du littoral namibien.
Facteur aggravant pour le nucléaire, le rendement énergétique d’une centrale au gaz naturel (60% voir davantage) est supérieur à celui d’une centrale nucléaire (environ 33%), elle consomme moins d’eau douce pour le refroidissement par unité d’énergie électrique délivrée. La pollution thermique des rivières est donc inférieure. Selon les statistiques officielles (Agences de l’eau, RNDE-Ifen, EDF, 2005), les centrales thermiques françaises d’EDF (principalement des centrales nucléaires) ont englouti environ 57% (42 milliards de mètres-cubes d’eau douce) de l’eau douce consommée en France, contre 18% pour l’approvisionnement en eau potable, 14% pour l’agriculture et 11% pour l’industrie.
Le bilan est encore plus favorable à la filière gaz naturel de schiste si l’on intègre le fait que les centrales au gaz naturel, contrairement aux centrales nucléaires qui sont peu flexibles, constituent un parfait complément aux énergies renouvelables fluctuantes telles que l’éolien dont l’efficacité hydrique est la plus élevée de toutes les filières énergétiques. Pas une seule goutte d’eau douce n’est nécessaire pour qu’une éolienne produise de l’électricité. Le géant américain General Electric a mis au point des centrales à gaz bénéficiant d’une technologie prometteuse baptisée « FlexEfficiency ».
Elle permet des variations de puissance de 0 à 50 MW en quelques minutes, ce qui est idéal pour compenser les fluctuations de la ressource éolienne. La construction de ces centrales prend environ deux ans, ce qui est très rapide comparativement aux autres solutions de masse permettant de gérer la nature fluctuante de l’éolien et du solaire PV. L’acceptabilité sociale des centrales à gaz est plus élevée que celles des autres outils de flexibilité comme les lignes électriques à haute-tension pour interconnecter la France à ses voisins (échanges d’électricité, « stockage virtuel ») ou que les Stations de Transfert d’Energie par Pompage (hydro modulable par pompage-turbinage).
EDF a signé un accord de partenariat avec GE en décembre 2011, une centrale FlexEfficiency de 510 MW va être installée sur le site de Bouchain, dans le nord de la France.
Une partie du méthane alimentant la centrale peut provenir d’unités de biométhanisation. Il peut aussi provenir d’unités de méthanation du dihydrogène obtenu par électrolyse lors de surproduction éolienne ou solaire. Peu à peu, la part du gaz fossile pourra ainsi diminuer.
4 fois moins d’eau douce qu’avec le pétrole conventionnel
Il faut fournir 52,5 litres (30 à 75 litres) d’eau douce pour produire 1 million de BTU de pétrole conventionnel. Avec les sables bitumineux, comme par exemple en Alberta (Canada), le bilan est encore plus lourd : 180 litres, soit 15 fois plus que pour le gaz de schiste.
L’Arabie Saoudite, pays producteur de pétrole, produit aujourd’hui l’essentiel de son eau douce en dessalant l’eau de mer, et le rejet des saumures n’est pas sans conséquences sur les écosystèmes littoraux. En Lybie, l’eau provient principalement de nappes d’eau douce fossiles, une ressource par définition épuisable.
Le remplacement du parc automobile français actuel, très largement dominé par le pétrole (diesel et essence), par des véhicules carburant au gaz de schiste (GNV, gaz naturel Véhicule) permettrait une amélioration d’un facteur quatre du bilan hydrique. Il y a aujourd’hui plus de 13 millions de véhicules au gaz naturel dans le monde, en particulier en Argentine, au Brésil, en Inde, en Iran et au Pakistan. Il s’agit d’une technologie parfaitement au point. En France l’AFGNV, l’Association Française du Gaz Naturel Véhicule, agit pour promouvoir cette filière.
14 000 fois moins d’eau douce qu’avec le biodiesel de soja
Le comparatif hydrique entre les filières gaz de schiste et biocarburants est particulièrement instructif. Ce sont 60000 litres d’eau douce qui sont consommés en moyenne pour obtenir un million de BTU de bioéthanol de maïs. Et 168 000 litres avec le Biodiesel de soja. Ce qui est respectivement 5000 et 14000 fois supérieur aux 12 litres d’eau douce nécessaires pour le gaz de schiste.
Des techniques qui évoluent
Les entreprises nord-américaines mettent au point de nouvelles techniques pour extraire de gaz naturel de schiste. Une entreprise canadienne, GasFrac Energy, a par exemple remplacé l’eau douce injectée pour le fracking par du propane liquide. GasFrac Energy et eCorp ont reçu l’autorisation de recourir à cette technologie pour extraire le gaz de schiste dans l’état de New York.
Il sera peut-être possible dans le futur d’utiliser du diazote (N2, qui est le constituant principal de l’air à hauteur de 80%) ou du dioxyde de carbone (CO2) à la place de l’eau, des chercheurs travaillent sur cette approche de dry fracking. Notamment pour extraire le gaz de schiste dans les secteurs où l’eau douce est difficilement disponible, ou qui sont trop peuplés pour que soient acceptés les va-et-vient des camions-citernes sur les routes.
NIMBY
La France serait riche d’un gisement de 5000 milliards de mètres cubes de gaz naturel de schiste selon une étude préliminaire du Département Américain à l’Energie.
Dans un pays qui importe 98% du gaz naturel qu’il consomme (provenant de Norvège, des Pays-Bas, de Russie et d’Algérie) ainsi que la totalité du pétrole (provenant principalement de mer du Nord, de l’ex-URSS, de Lybie et d’Arabie Saoudite), et où plus de 75% de l’électricité provient du nucléaire (uranium importé principalement du Niger, du Kazakhstan et du Canada), est-il vraiment pertinent d’utiliser le critère « consommation en eau douce » pour s’opposer aux projets d’exploitation du gaz de schiste ?
Ce qui est certain, c’est que les réflexes NIMBY (Not In My Backyard, pas dans mon jardin) s’inscrivent rarement dans une perspective d’intérêt général.
Par Olivier Danielo, journaliste scientifique
En savoir plus:
- L’eau douce consommée par les mines d’uranium du groupe AREVA au Niger
http://niger.areva.com/niger/liblocal/docs/NIGER_DP_VF.pdf
- Le point de vue de Greenpeace à propos de cette activité minière:
http://energie-climat.greenpeace.fr/au-niger-areva-empoisonne-l-eau-l-air-et-la-terre
- De l’eau pour l’énergie ! Production de carburants et d’électricité
http://www.ifpenergiesnouvelles.fr/actualites/evenements/nous-organisons/panorama-2011
- Centrales électriques au gaz naturel, la technologie FlexEfficiency de General Electric (GE) :
- Le GNV (Gaz Naturel Vehicule), par GDF Suez :
- Association Française du Gaz Naturel Véhicule
- US DoE. Energy Demands on Water Resources: Report to Congress on the Interdependency of Energy and
Water. December 2006
(page 56, « Uranium ») - http://www.naturalgaswaterusage.com/Water-and-Energy/Pages/information.aspx
Lire aussi :
- Les biocarburants menacent les réserves d’eau douce
- Etats-Unis et gaz de schiste : la révolution énergétique ?
Cet article se trouve dans le dossier :
Gaz de schiste, débat explosif
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