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Gabriel Plassat : « Accompagner l’innovation et anticiper les changements, les clés d’une (r)évolution numérique aux nombreux enjeux »

Posté le 21 juin 2022
par Gabriel Plassat
dans Innovations sectorielles

Pilote de la Fabrique des Mobilités au sein de l’ADEME (Agence de la transition écologique), Gabriel Plassat anime un dispositif d’accompagnement de l’innovation, grâce auquel il invite à imaginer les changements induits par le numérique et auxquels nous serons confrontés à l’avenir, afin de mieux les anticiper. Gabriel Plassat est également auteur d'articles pour les Techniques de l’Ingénieur et conseiller éditorial sur l'offre « Véhicule et mobilité du futur ».
Gabriel Plassat, Pilote de la Fabrique des Mobilités au sein de l’ADEME, est également conseiller éditorial sur l’offre T.I. « Mobilité et véhicules du futur ». Crédit: G. Plassat

Techniques de l’Ingénieur : Quelle(s) formation(s) avez-vous suivie(s) ?

Gabriel Plassat : Je suis ingénieur motoriste, avec une spécialité en moteur thermique et pétrole. J’ai travaillé plusieurs années chez un constructeur automobile, puis un équipementier.

En 2001, je suis entré à l’ADEME, toujours en tant que spécialiste des moteurs thermiques et des carburants, afin de réaliser des bilans environnementaux, mais aussi évaluer et comparer les filières, l’objectif étant de parvenir à apporter le meilleur conseil possible en termes de pratiques.

Qu’est-ce que représente, pour vous, l’innovation ?

Innover revient à changer un secteur, transformer le quotidien des personnes. En termes de mobilité par exemple, l’apport du numérique via les applications a profondément modifié la manière dont on se déplace aujourd’hui, quel que soit le mode de transport utilisé. Cette innovation doit être estimée à tous les degrés, tant à l’échelle du système que de la chaîne de valeur ou encore des rapports de force.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le dispositif d’accompagnement que vous proposez ?

Ce dispositif s’adresse au personnel de l’ADEME. Il concerne tous les secteurs, et pas uniquement la mobilité. Concrètement, il est composé de deux volets. Le premier se décline en une formation académique au cours de laquelle sont abordés des thèmes relatifs à l’innovation et à ce que peut lui apporter le numérique, mais aussi à la manière dont les entreprises innovent.

Le second volet est plus proactif puisqu’il permet d’apporter des solutions à des problèmes concrets auxquels peuvent être confrontés les acteurs en matière de transition écologique. Ces solutions peuvent relever du réglementaire, de la pratique ou encore du collaboratif avec l’inclusion d’acteurs issus du monde industriel, des collectivités, de la recherche…

Comment faites-vous pour vous adresser à des interlocuteurs parfois très différents ?

Nous agissons de manière adaptée en fonction des acteurs, puisque leur vision et leur temporalité sont différentes.

Pour ma part, je m’intéresse particulièrement au processus cognitif et culturel accompagnant le changement. En effet, engager de nombreux acteurs différents sur des enjeux de plus en plus complexes implique de travailler autrement.

Les acteurs du numérique ont notamment un grand rôle. Ils transforment de manière importante des secteurs, à l’instar de celui de l’information à travers les GAFA, ou encore celui de la mobilité. Or, il me paraît important de déterminer ce qui rend ces acteurs quasi incontournables en cas de réussite, au point qu’ils entravent toute possibilité de concurrence.

Aujourd’hui, nous pouvons expliquer ce processus de réussite, même s’il reste souvent difficile de le reproduire. Quelques-uns y parviennent heureusement, à l’instar de certaines plates-formes.

Qu’est-ce qui a motivé votre intérêt pour le numérique ?

En 2007, je me suis intéressé au fonctionnement des transports et de la logistique afin d’en déterminer les évolutions et les futurs acteurs qui le composeraient. L’iPhone venait de naître, les plates-formes Uber ou BlaBlaCar n’existaient pas : nous étions à la préhistoire de ces aventures.

Mon approche du numérique s’est faite à travers elles ; plus précisément, je cherchais à comprendre comment les acteurs du numérique construisent les monopoles, le fonctionnement de leurs plates-formes et leurs différences avec un industriel historique.

Prévoir le futur des transports nécessite d’en connaître les acteurs influents et les changements de rapport de force. J’avais anticipé cette évolution et créé, en 2009, un blog dont le premier article s’intitulait « Le passage de l’industrie des objets à l’industrie des services : une chance pour l’environnement, le citoyen et l’industrie ». J’y évoquais les progrès à venir et les services qui nous seraient proposés via notre téléphone, ainsi que le décalage de rapport de force vers l’Asie.

J’essayais, par ce biais, d’éveiller les acteurs européens sur l’importance de réagir et de ne pas laisser passer les opportunités du numérique. Mon objectif, qui rejoint celui de l’ADEME, était d’aboutir à des mobilités efficaces, peu polluantes et économes.

Les constructeurs automobiles ont peu suivi ces préconisations. En revanche, de nombreuses start-up ont vu le jour – et parfois réussi – dans le domaine de la mobilité.

J’essaie d’imaginer les évolutions afin d’inciter les acteurs à agir pour ne pas simplement les subir. Par exemple, la Chine est aujourd’hui un acteur majeur du véhicule électrique et investit massivement dans ce secteur. Il me semble important que l’Europe réagisse en proposant des véhicules électriques efficaces, économes et légers.

Quels sont vos projets, actuels et futurs ?

L’évolution est parfois difficile. Je souhaite pouvoir accompagner, à travers une veille, le développement de solutions différentes de celles proposées actuellement.

J’ai également un projet qui s’appelle l’Extrême défi, dont l’objectif est de construire en France, et si possible en Europe, une industrie de véhicules électriques sobres et efficaces, peu coûteux, interopérables pour les territoires périurbains et ruraux.

Ce défi doit durer trois ans. Il rassemble des équipes dédiées à la conception, ainsi que des territoires dans lesquels seront expérimentés et étudiés les prototypes créés. L’objectif est d’accompagner le développement d’une industrie de plus gros volumes, en standardisant au maximum les composants.

Outre le numérique et la mobilité, je m’intéresse particulièrement à l’intelligence collective, qui permet de faire interagir des acteurs hétérogènes. Certains se sont manifestés afin de se joindre au projet de l’Extrême défi. D’autres en revanche, tels que des constructeurs automobiles historiques, peuvent se montrer réticents face aux évolutions et il faut parfois les y contraindre, à l’instar de la fin annoncée par l’Europe des véhicules thermiques en 2035.

Mon objectif est de faire émerger une autre industrie, en allant chercher de nouveaux partenaires.

Quel regard portez-vous sur l’industrie, les sciences, la recherche ? Quels défis, nouveaux ou non, qu’ils relèvent par exemple du financement, de la formation, de la recherche, devront être relevés ?

Il est essentiel de former des ingénieurs à la complexité, d’avoir des programmes de recherche, de développer de hautes technologies, sans pour autant laisser de côté les low-tech.

L’ADEME, pour sa part, a pour rôle d’identifier les besoins de recherche, mais aussi les blocages, avant de financer des programmes de recherche incluant différentes parties prenantes. Elle soutient notamment l’Extrême défi. Nous souhaitons, quant à nous, impliquer des partenaires industriels afin qu’ils apportent des ressources dans un premier temps, qu’ils subventionnent des prototypes dans un second.

Parvenir à coordonner des partenaires multiples et lever les verrous est un défi passionnant.

Quel conseil donneriez-vous à un ingénieur, un technicien ou un scientifique qui arrive sur le marché du travail ?

De faire preuve de curiosité, d’être expert dans un domaine et de maintenir un haut niveau de complexité, mais également d’être transversal avec d’autres expertises.

Quelles compétences/qualités sont, selon vous, indispensables en général et plus particulièrement sur vos domaines d’expertise ?

Il me semble essentiel de savoir faire preuve d’empathie, de se mettre à la place d’un acteur – même controversé – pour comprendre ses contraintes.

Avez-vous recours à une veille technologique ? Dans ce cadre, à quels domaines vous intéressez-vous et quelles sont vos sources principales d’information ?

Je m’appuie beaucoup sur les réseaux sociaux et les newsletters. Le flux d’information est continu, mais l’innovation en ce domaine a permis d’améliorer les méthodes de travail.

Que vous apporte la collaboration avec Techniques de l’Ingénieur, en tant qu’auteur et conseiller scientifique ?

Cette collaboration permet l’instauration d’un dialogue dans lequel peuvent se partager les savoirs. Rédiger un article ou animer un webinar implique par ailleurs de se former encore et encore. Il est en effet impératif de maîtriser un sujet pour mieux le transmettre.

Les contributions de Gabriel Plassat aux Techniques de l’Ingénieur

Gabriel Plassat collabore avec les Techniques de l’Ingénieur en tant que conseiller scientifique au sein du comité d’experts de l’offre « Véhicule et mobilité du futur ».

Ses domaines d’expertise portent sur la mobilité, le numérique et les systèmes de transport intelligents.

Webinar

Le rôle des GAFA dans la mobilité

Offre

Véhicule et mobilité du futur

Articles

– Systèmes de transports et mobilités pour les biens et les personnes

– Les GAFA dans le secteur des transports – La calèche, l’automobile et après

– Systèmes de transports pour les biens et les personnes

– Filières énergétiques actuelles et futures pour le transport routier de marchandises


Cet article se trouve dans le dossier :

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