RTE ne fait pas les choses à moitié. Le gestionnaire du réseau de transport élaborait déjà régulièrement un solide bilan prévisionnel pour la décennie à venir mais, suite à une saisine du gouvernement en 2019, il a élaboré une large et complexe vision prospective à l’horizon 2050, rendue publique fin octobre. Ces « Futurs énergétiques 2050 », compilés dans un rapport de plus de 600 pages, envisagent de nombreuses options pour l’avenir.
Il faut dire que RTE a de quoi se poser des questions. Même si le système électrique français est robuste, plusieurs signaux inquiètent : un parc nucléaire vieillissant, des énergies renouvelables stigmatisées dans le débat public, des économies d’énergie encore trop faibles, des investissements nécessaires dans les réseaux. Tout cela dans la perspective de décarboner entièrement l’économie dans les 25 ans qui viennent, en particulier par de nouveaux usages de l’électricité permettant de se passer d’énergies fossiles, par exemple dans la mobilité. Contraintes et enjeux sont élevés ; il est donc utile d’anticiper les besoins d’adaptation à l’avenir.
Trois trajectoires possibles de consommation d’électricité
RTE a défini une trajectoire de référence de la consommation d’électricité en France en adaptant la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) aux plus récentes évolutions, par exemple sur la démographie, sur le rythme de rénovation des bâtiments ou sur le besoin de produire de l’hydrogène. Il en résulte une augmentation de 35 % par rapport à aujourd’hui, soit 645 TWh consommés en 2050, en incluant les effets du changement climatique
Le gestionnaire de réseau a aussi considéré deux autres trajectoires tout autant possibles que la première. Une trajectoire dite de « Réindustrialisation profonde » fait grimper la consommation d’électricité à 755 TWh, en appuyant le développement de l’industrie agroalimentaire, la chimie et la pharmacie, les produits électriques et électroniques et l’industrie manufacturière. Une trajectoire de « Sobriété » permet de limiter la consommation à 555 TWh et repose sur des changements de comportements qui ont été chiffrés comme la part de télétravail (50 % contre 20 % dans la trajectoire de référence), l’augmentation des circuits courts pour les marchandises (conduisant à une baisse de 20 % des km.tonnes transportés contre 9 %), le nombre de personnes par véhicule (2,2 contre 1,7), ou l’allongement des durées de vie des équipements, le réemploi et le recyclage de matière.
A ces trois tendances envisageables de consommation, RTE ajoute une multitude de variantes pour jauger les effets de certaines variations de l’efficacité énergétique, du niveau d’électrification, du recours à l’hydrogène, etc., le tout dans le cadre de flexibilités plus grandes mais aussi de pointes de consommations plus importantes, y compris l’été à cause de la climatisation.
Six scénarios autour de la trajectoire de référence
Les principaux modes de production d’électricité sont connus : énergies renouvelables pilotables (l’hydraulique reste stable à 22 GW quelles que soient les options) ou variables (éolien, photovoltaïque), nucléaire existant ou neuf, centrales thermiques. RTE propose de les combiner de six manières différentes, mais pour… la seule trajectoire de référence de consommation. Trois de ces scénarios sont orientés vers la prédominance des énergies renouvelables et trois autres s’appuient sur le renouveau du nucléaire, tous assurant la sécurité d’approvisionnement :
- M0 est un scénario prévoyant une électricité 100 % renouvelable en 2050 (208 GW de solaire, 74 GW d’éolien terrestre et 62 GW d’éolien en mer) et une sortie du nucléaire existant échelonnée jusqu’à 2050. Selon RTE, ce scénario impose plus de flexibilité, comme il l’a déjà analysé dans un précédent rapport avec l’Agence internationale de l’énergie.
- M1 tend également vers le 100 % renouvelable mais avec plus de solaire (214 GW) notamment en toiture, et moins d’éolien (59 GW terrestre et 45 GW en mer). Il reste encore 16 GW de nucléaire en 2050 pour une sortie définitive en 2060 (hors EPR de Flamanville).
- M23 arrive aussi au 100 % renouvelable mais en faisant plutôt appel à de grands parcs photovoltaïques (125 GW) et éoliens (72 GW terrestre et 60 GW en mer). Le nucléaire évolue comme dans M1.
- N1 est le premier des trois scénarios privilégiant un maintien voire un renforcement du nucléaire. Il mélange un développement des renouvelables de même nature que M23 mais avec moins de capacité (118 GW de solaire, 58 GW d’éolien terrestre et 45 GW en mer). L’ancien nucléaire évolue comme dans M1 et M23, et plusieurs paires de nouveaux EPR sont construits (13 GW en 2050).
- N2 est comme N1 mais il accentue le développement du nucléaire neuf (23 GW de nouveaux EPR) au détriment de celui des renouvelables (90 GW de photovoltaïque, 52 GW d’éolien terrestre et 36 GW en mer).
- N03 pousse le curseur encore plus loin en prolongeant plus longtemps les anciens réacteurs (pour certains, au-delà de 60 ans) afin d’en garder encore 24 GW en 2050. Il prévoit aussi un rythme élevé de construction de nouveaux EPR auxquels s’ajouteraient quelques GW de petits réacteurs modulaires (soit un total de 27 GW). Les sources renouvelables seraient alors plus réduites (70 GW de solaire, 43 GW d’éolien terrestre et 22 GW en mer).
Des annonces centrées sur la trajectoire de référence
Quels enseignements tire RTE de ce travail prospectif ? On peut en identifier quatre principaux.
- Il est nécessaire de développer les énergies renouvelables, quel que soit le scénario, pour atteindre la neutralité carbone (au minimum deux fois plus d’éoliennes qu’aujourd’hui et cinq à dix fois plus de surfaces pour le photovoltaïque). Ce constat est sans appel, d’autant plus que l’analyse environnementale sur l’occupation des sols ou l’approvisionnement en ressources minérales ne montre pas d’enjeu majeur.
- Les défis industriels et d’acceptation sociétale sont très élevés, tant pour développer de nouveaux réacteurs nucléaires que des sites de production d’électricité renouvelable. Dans tous les cas, un renforcement du réseau électrique est aussi nécessaire. Pour les filières éolienne et solaire, il s’agit d’arriver à des rythmes d’installation parmi les plus forts vus en Europe. Pour la filière nucléaire, l’enjeu est de retrouver une capacité industrielle à construire rapidement des réacteurs à un coût raisonnable (ce qui est loin d’être le cas actuellement) tout en prévoyant de sécuriser les contraintes amont (enrichissement de l’uranium de retraitement et usage du MOX) et aval (gestion des déchets radioactifs).
- Les coûts des différents scénarios sont du même ordre de grandeur, en incluant les coûts induits par l’adaptation du système électrique, de 59 milliards d’euros par an pour N03 à 80 Md€/an pour M1. Entre M23 et N2, l’écart n’est que de 10 Md€ (respectivement 71 et 61 Md€/an). Il diminue presque de moitié si le coût du nucléaire reste élevé et si celui des renouvelables continue sa baisse. Si on prend en compte un coût moyen pondéré du capital de 4 % pour les énergies renouvelables et de 7 % pour le nucléaire (vu la différence de risque porté par les investisseurs), ces deux scénarios sont alors au même niveau de coût.
- La trajectoire de sobriété permettrait de soulager les besoins d’investissement. Une première évaluation de RTE souligne que la réduction des coûts complets annualisés serait de 8 à 10 Md€ en 2050 par rapport à la trajectoire de référence dans le cas d’une plus grande sobriété.
Face à la richesse de l’étude de RTE et notamment de ce dernier enseignement, il est dommage que les annonces se soient concentrées principalement sur la trajectoire de référence. Dès lors, le message, largement repris par de nombreux personnages politiques tels la ministre Barbara Pompili est que la forte hausse de la consommation d’électricité est inéluctable et que les scénarios avec nucléaire sont les plus intéressants. Gageons que les compléments d’étude annoncés par RTE pour début 2022 viendront redonner de la nuance dans ce point de vue.
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