Créée en 2020, la start-up Thrasos développe une solution logicielle, FS-Guard, permettant d’optimiser les process de nettoyage industriels mais aussi de modéliser les encrassements des installations. Labellisée Greentech innovation, la jeune entreprise va ainsi permettre aux industriels de l’agroalimentaire, de la pharmaceutique ou encore de la cosmétique de réaliser des économies et de gagner du temps sans pour autant compromettre la sécurité sanitaire de leurs productions.
Thrasos a été fondée à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) par Mahieddine Chergui. Ingénieur en industries laitières diplômé de l’ENSAIA[1], il possède ainsi une expérience de plus de quinze ans dans le domaine de l’hygiène et optimisation des nettoyages industriels. Ce passé l’a ainsi amené à un constat : le manque de rigueur scientifique dans les process. Pour y remédier, l’actuel président de Thrasos a ainsi développé avec ses équipes une solution logicielle assurant deux grandes fonctions : l’optimisation des nettoyages, synonyme d’économies et de gain de temps, ainsi que la modélisation 3D des encrassements des circuits, permettant ainsi de mieux les localiser. De quoi, notamment, garantir une sécurité sanitaire maximale sur les installations, tout en évitant les sur-nettoyages.
Alors que débute tout juste sa commercialisation, en premier lieu auprès d’industriels de l’agroalimentaire, la solution FS-Guard pourrait également trouver sa place dans le secteur des industries pharmaceutique et cosmétique.
Mahieddine Chergui nous en dit plus sur l’entreprise qu’il a fondée et qui vient par ailleurs de lever pas moins d’un million et demi d’euros…
Techniques de l’Ingénieur : Quel parcours vous a mené à la création de Thrasos ?
Mahieddine Chergui : J’ai, à la base, une formation d’ingénieur dans le secteur laitier ; j’ai fait l’ENSAIA Nancy. J’ai travaillé pendant une quinzaine d’années pour le compte d’un fournisseur de produits d’hygiène destinés aux NEP[2], entre autres. J’ai notamment travaillé à leur optimisation. À l’issue de ces quinze années, je suis arrivé à la conclusion que ces installations souffraient de deux problèmes majeurs. Le premier tient au fait que le nettoyage est la seule opération unitaire[3], aujourd’hui dans une usine, à être quasi intégralement sous-traitée. Cela est assez étonnant, sachant qu’il s’agit d’une garantie de sécurité des aliments… Le deuxième aspect qui m’a amené à créer Thrasos est que ces nettoyages manquaient de rigueur scientifique. L’empirisme est certes l’une des bases de la science, mais cette approche atteint vite ses limites. Lorsque l’on parle de nettoyage, cela implique naturellement de parler d’encrassements. Or, l’approche empirique est très limitée pour permettre d’éliminer ces encrassements : ils se produisent dans des circuits que l’on ne peut pas inspecter à l’œil nu. D’où l’idée de développer Thrasos avec une approche à la fois pure player, et beaucoup plus scientifique.
Pour remédier aux problèmes que vous évoquez, vous avez développé une solution baptisée FS-Guard. Comment fonctionne-t-elle ?
Notre approche débute systématiquement par une phase d’analyse et d’audit de l’installation de NEP. Nous réalisons une évaluation qualitative de la NEP en suivant les recommandations de l’EHEDG[4]. Thrasos fait d’ailleurs partie de la fondation, et je suis moi-même membre du groupe de travail sur les NEP. Nous analysons donc l’installation de nettoyage avec une approche très rigoureuse, pour réaliser une véritable qualification, consignée dans un rapport.
Nous récupérons ainsi des données qui nous permettent de paramétrer notre logiciel. Ces données sont, en fait, des programmes de nettoyage, à partir desquels nous récupérons des informations telles que l’état de vannes, de pompes, de capteurs… Notre algorithme se charge ensuite d’analyser tout cela très finement afin d’exécuter le meilleur nettoyage possible sur chaque ligne, en fonction de sa configuration. Cela permet de gagner beaucoup de temps. L’algorithme analyse aussi l’historique des nettoyages et il ajuste le process de nettoyage en cas de défaillance de l’un des paramètres. L’algorithme apprend au fur et à mesure.
Tout cela résume le premier volet de FS-Guard, qui est, si je puis dire, le niveau 1. Cela permet à l’industriel d’obtenir une optimisation et une véritable expertise sans faire appel à des intervenants extérieurs.
Le deuxième niveau de notre solution concerne quant à lui la modélisation des encrassements. Nous avons développé une brique technologique à ce sujet, dont le brevet est en cours.
Elle permet, notamment sur des échangeurs thermiques, de modéliser les encrassements et l’efficacité des nettoyages. L’idée était d’utiliser une technique non invasive : nous n’utilisons pas de capteurs. C’est ce qui nous distingue. Nous réalisons en fait un jumeau numérique de l’installation, qui reprend tous les paramètres de production, les formats des échangeurs, les paramètres du fluide qui circule en production, ses caractéristiques physico-chimiques notamment, ainsi que les paramètres de nettoyage. Nous mettons ainsi en œuvre une analyse assez poussée. Les premiers résultats que nous avons obtenus sont d’ailleurs très bons. Entre les résultats de nos modélisations et l’encrassement réel observé sur le terrain, la fiabilité est de l’ordre de 80 à 85 %.
À quels domaines de l’industrie votre solution se destine-t-elle ?
Aujourd’hui, nous nous concentrons sur le domaine agroalimentaire, car il s’agit de notre cœur de métier, c’est là où se trouve l’essentiel de notre expertise. C’est aussi là que se trouvent le plus de NEP. Bien évidemment, d’autres industries suscitent notre intérêt : l’industrie pharmaceutique, l’industrie cosmétique, notamment, ressemblent sous bien des aspects à l’agroalimentaire ; on a des vannes, des tuyaux, des cuves… Et tout cela est connecté à des NEP pour assurer un nettoyage des installations.
Quel est le degré de maturité de votre solution ? Quels sont vos objectifs tant en matière de calendrier que de modèle économique ?
Les deux briques technologiques qui composent FS Guard sont prêtes. Nous avons déjà plusieurs preuves de concept industrielles installées, dans l’industrie laitière et dans le domaine de la boisson. Nous avons d’ailleurs déjà commencé à commercialiser la solution auprès de certains clients. 2023 sera vraiment l’année de lancement à grande échelle.
La solution sera disponible sur abonnement, en « SaaS[5]-like ». C’est-à-dire pas totalement en SaaS : nous avons d’abord, comme je le disais, une phase d’audit, au forfait, puis un abonnement pour la solution logicielle en tant que telle. La sécurité est par ailleurs au cœur de nos préoccupations. Nous sommes ainsi accompagnés par une société de cybersécurité sur toutes les étapes de développement et de déploiement.
Concrètement, comment les industriels pourront-ils accéder aux informations fournies par votre solution ? Sera-t-elle dotée, par exemple, d’une interface web ?
Exactement ! L’industriel disposera d’une plate-forme, accessible à plusieurs niveaux en fonction des utilisateurs au sein de l’usine : opérateur, responsable d’atelier etc. Cette plate-forme leur permettra d’accéder à tout l’historique de l’installation de nettoyage, aux optimisations réalisées, aux gains obtenus sur le plan pratique mais aussi économique. Nous avons d’ailleurs nos propres indicateurs permettant d’évaluer l’efficacité des optimisations d’un site à l’autre. Cela sera notamment bénéfique pour les grands groupes agroalimentaires, qui mènent souvent de nombreuses optimisations sur différents sites. Notre solution va permettre aux directions en charge de ces sujets d’adopter les mêmes schémas d’optimisation quel que soit le site. Il ne faut en effet pas standardiser les nettoyages en tant que tels, car chaque circuit est différent, mais standardiser leurs optimisations.
Quelles économies un industriel peut-il espérer obtenir grâce à votre solution ?
Même si cela sera très variable d’une usine à l’autre, nos premiers résultats obtenus sur un important site laitier montrent une économie d’eau d’environ 40 % sur les premiers lavages, et de 50 % sur les consommations énergétiques.
Optimiser à l’excès les nettoyages ne pourrait-il pas aboutir à un accroissement des risques sanitaires liés aux installations, notamment sur le plan microbiologique ?
Nous travaillons bien évidemment en étroite collaboration avec les directions qualité des sites. Les process de nettoyage obtenus après optimisation sont validés selon les procédures en vigueur dans ces usines. Notre approche va d’ailleurs plus loin que ce qui est fait actuellement pour lutter contre les risques microbiologiques : aujourd’hui, il n’y a pas de quantification des encrassements ; il n’y a donc pas non plus de quantification de l’élimination du dépôt. L’approche est toujours « a posteriori » : on lave ; on définit des paramètres de productions, souvent de manière plus ou moins aléatoire, puis on regarde les résultats d’analyse microbiologique… Dans un monde parfait, où tout serait maîtrisé, on n’aurait jamais de problèmes bactériologiques. L’actualité nous montre malheureusement que ça n’est pas le cas… Les nettoyages ne sont en effet pas toujours efficaces, parce qu’il est très compliqué de savoir où se situent les encrassements dans un circuit entièrement fermé. Notre brique technologique aide à identifier les risques potentiels d’encrassement, les zones où le nettoyage n’est pas suffisamment efficace.
Les règles que nous avons mises en place au niveau de nos algorithmes permettent de les empêcher de sur-optimiser jusqu’à générer des temps de nettoyage complètement irréalistes.
Vous venez d’annoncer une levée de fonds d’un million et demi d’euros. Quels sont les objectifs de ce financement ?
Nous avons deux objectifs avec cette levée de fonds : renforcer notre équipe de R&D, ainsi que les équipes commerciales et celles dédiées au déploiement de la solution. Nous sommes aujourd’hui 11 et nous espérons être une quinzaine l’an prochain, et sans doute beaucoup plus encore en 2024 et 2025. Nous prévoyons une grosse accélération sur cette période. Nos premiers résultats sont en effet très encourageants.
Nous travaillons par ailleurs avec des organismes comme l’Agence de l’eau, qui ont bien compris l’intérêt de notre approche.
Nous avons aussi d’autres projets, qu’il serait prématuré de dévoiler dès maintenant, mais qui sont en tout cas toujours axés sur la recherche d’efficience scientifique dans un environnement très empreint d’empirisme. Nous nous positionnons comme un véritable pure player de l’optimisation : nous ne vendons ni consommables ni équipements. Il existe certes déjà beaucoup d’acteurs de l’optimisation des NEP, mais peu d’entre eux font la démarche d’aller jusqu’à la génération d’un programme optimisé associé à une modélisation des encrassements. C’est ce qui rend notre démarche crédible et qui fait, par exemple, que nous sommes labellisés Greentech Innovation par le ministère de la Transition écologique. Il y a en ce moment beaucoup de greenwashing et cette labellisation vise à donner de la visibilité aux véritables offreurs de solutions. Ce label est extrêmement important à nos yeux.
[1] École Nationale Supérieure en Agronomie et Industries Alimentaires
[2] Nettoyage en place : systèmes de nettoyage en général automatiques destinés aux installations industrielles de production. Aussi appelée CIP (Clean in Place), cette approche permet un nettoyage des cuves, tuyauteries et autres machines sans démontage.
[3] Toute production fait appel à une suite coordonnée d’opérations fondamentales distinctes et indépendantes du procédé lui-même, appelées opérations unitaires (source).
[4] European Hygienic Equipment Design Group. Fondation pour la promotion de la conception hygiénique des équipements et des installations de l’industrie agroalimentaire, créée en 1989.
[5] Software as a service
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