Reconnaissant la réalité du réchauffement climatique et l’urgence de la situation, François Fillon dit viser « une ambitieuse stratégie industrielle de transfert d’usage du pétrole et du charbon vers des énergies non carbonées » qui repose essentiellement sur la mise en place d’un prix de 30€ pour la tonne de carbone, sur le nucléaire et les énergies renouvelables.
M.Fillon se félicite de la COP21 mais regrette qu’elle ne s’est « pas encore traduite par des plans d’action contraignant » et lui assène une critique cinglante : « on ne peut pas se contenter d’un discours ou d’intention généreuse ». Pourtant, la lecture de son programme énergétique laisse apparaître des doutes sur l’ambition réelle du candidat Fillon sur l’énergie et le climat.
Une politique fiscale sans ambition sur le carbone
Avec un prix actuel de 7 à 10€/tCo2 sur les marchés du carbone européen, un objectif de 30€ semble téméraire. Mais le candidat reprend ici la recommandation basse d’une étude de RTE (Réseau Transport d’électricité), sans intention de viser à plus long terme 50 ou 100€ comme elle le recommande pourtant vivement. De plus, le marché de carbone européen ETS (European Trading Scheme) est déjà entré dans sa 3e phase de réforme avec l’objectif clair de relever le prix du carbone, tandis que le dernier gouvernement a entériné la progression de la Contribution Climat Energie (CCE), qui passera de 22€/tCo2 à 56€ et 100€/tCo2 en 2020 et 2030. Le programme de M Fillon n’est donc ici que l’expression de son accord vis-à-vis d’un processus déjà engagé.
Solaire au sol et éolien terrestre : moins chers que le nucléaire
François Fillon est convaincu que la lutte contre le réchauffement climatique ne peut se faire sans le nucléaire, qui est selon lui une énergie moins chère que celles dites renouvelables.
Il propose ainsi de prolonger la durée d’exploitation des 58 réacteurs nucléaires tout en reculant sur les subventions aux énergies renouvelables (ENR), qui pèseraient trop lourd sur la facture d’électricité des Français. Le candidat justifie cette position en comparant les 55 Milliards (Mds) d’euros que coutera le programme de prolongation de vie des centrales (d’après EDF) aux 73 Mds de la CSPE (une taxe qui finance les ENR) prévus entre 2014 et 2025. Monsieur Fillon oublie de préciser que la cour des comptes a chiffré à 100 Mds ce programme de prolongation ou qu’environ 64% de la Contribution au Service Public de l’Electricité était consacré aux ENR en 2015, une proportion qui représenterait moins de 55 Milliards d’euros, appliquée aux 73 Mds de CSPE pour les ENR.
Le raisonnement qui conduit le candidat Fillon à ces propositions est discutable. Plutôt que de comparer des prévisions de taxes à l’évaluation d’un programme d’investissement, il apparaît plus pertinent d’évaluer le coût d’un MWh d’électricité produit par différentes technologies.
Le groupe de conseil financier LAZARD, connu pour son sérieux, a publié son analyse du cout du MWh d’électricité le 15 décembre 2016;
- Le solaire au sol est à 55 $/MWh (49$/MWh à 61 $/Mwh)
- L’éolien terrestre est à 47 $/MWh (32 – 62 $/Mwh)
- Le nucléaire est à 116 $/MWh (97 – 136 $/Mwh)
- Les centrales à gaz sont à 84€/MWh (68 – 101 $/Mwh)
- Les centrales à gaz à cycle combiné sont à 63$/MWh (48 – 78 $/Mwh)
- Les centrales à charbon sont à 101 $/MWh (60 – 143 $/MWh)
- Les centrales à fioul sont à 246$/MWh (212 – 281 $/Mwh)
L’intermittence des ENR entraine un coût de stockage. La France dispose déjà d’importants moyens de stocker l’électricité, mais le cabinet Lazard a aussi chiffré le coût des systèmes ENR avec stockage :
- Le solaire avec stockage est à 92$/MWh
- L’éolien avec stockage est à 118 $/MWh
Ces travaux montrent que le solaire au sol et l’éolien terrestre peuvent – aujourd’hui – fournir une électricité des plus compétitives. Cette nouvelle donne commence à peine à être reprise dans la presse, comme le montre un article du figaro « le nouveau solaire deux fois moins cher que l’EPR ». Les résultats des derniers appels d’offre dans le monde illustrent aussi ce constat. Au Mexique par exemple, un appel d’offre ouvert à tous types d’énergie avec comme seul critère de sélection le coût, a attribué 95% des 5 776 MW à l’éolien terrestre et au photovoltaïque au sol. En France, les lauréats en solaire au sol ont obtenu des tarifs d’achat moyen de 62,5€/MWh et le dernier tarif d’achat dont pouvait bénéficier l’éolien en France était de 82€/MWh pendant 10 ans suivis de 28 à 82€/MWh pendant 5 ans.
En comparaison, l’Angleterre s’est engagée à acheter l’électricité du réacteur nucléaire EPR d’EDF à 116€/MWh pendant 35 ans. Concernant l’EPR de Flamanville, le coût du MWh est difficilement évaluable avant la fin des travaux, mais certaines estimations l’ont chiffré à 92€/MWh lorsque le chantier était de 8,5 Mds d’euros, alors qu’il est désormais de 10,5 Mds d’euros.
D’après la cours des comptes, le coût du MWh des centrales plus anciennes que l’EPR est quant à lui passé de 49,6€/Mwh en 2010 à 59,8€/MWh en 2013 suite aux investissements dus aux normes de sécurité post-Fukushima et à la maintenance des centrales . Ce coût continuera donc encore d’augmenter avec le programme de prolongation d’exploitation des centrales évalué à 100 milliard d’ici 2030, alors qu’il dépasse déjà les niveaux indiqués par Lazard en solaire au sol.
Monsieur Fillon estime que « notre politique énergétique doit se fonder de manière raisonnée sur des critères objectifs ». Il est vrai que le critère économique ne doit pas être le seul, concernant la sureté par exemple, les ENR ne présentent aucun risque d’accident majeur nécessitant de déplacer des milliers de personnes. Un tel évènement dans le nucléaire français pourrait couter entre 120 et 450 Milliards d’euros d’après la cour des comptes.
Des propositions contradictoires sur les énergies renouvelables
François Fillon propose de viser un objectif de 0% d’électricité fossile le plus rapidement possible, de supprimer la CSPE ainsi que les tarifs d’obligation d’achat pour les nouvelles installations ENR, de privilégier les appels d’offres pour les grosses unités et d’autoriser l’autoconsommation.
Toutes ces propositions sont déjà en place. La fermeture des centrales à charbon est prévue pour 2023 dans la Programmation Pluriannuelle de l’Energie. Le mécanisme d’obligation d’achat a été supprimé en 2016 pour la majorité des ENR (notamment Solaire au sol et Eolien terrestre), des appels d’offres sont prévus jusqu’en 2019 et l’autoconsommation est déjà autorisée.
Les seules nouveautés que propose le candidat sont de supprimer la CSPE en reportant le financement des ENR sur la CCE, et de remplacer les tarifs d’obligation d’achat restants par un crédit d’impôt. Cette dernière mesure, beaucoup moins incitative qu’un tarif d’achat, menace le secteur du PV en toiture, tandis que le candidat prône paradoxalement l’autoconsommation.
Certes, le PV en toiture est plus coûteux que le solaire au sol : le tarif d’obligation d’achat fin 2016 est de 123€/Mwh contre 62,5€/Mwh en solaire au sol. Mais cette performance approche celle du nucléaire de type EPR et cette technologie a fait des progrès considérables. Il y a 5 ans, le tarif était encore de plus de 400€/Mwh !
Un manque d’ambition pour réduire les émissions de CO2 françaises
En France, les émissions de carbone proviennent principalement du transport, puis de l’habitat et enfin de l’agriculture. Le candidat républicain dit viser une « ambitieuse stratégie de transfert d’usage du pétrole et du charbon vers des énergies décarbonées », mais concrètement, ses propositions sont au nombre de neuf en ce qui concerne l’électricité, qui est déjà à 90% décarbonée, contre quatre pour l’habitat et quatre autres pour la mobilité électrique. L’agriculture BIO et l’agroécologie, dont les sols sont de véritables puits de carbone, sont totalement absentes de son programme « environnement et transition énergétique ».
Au niveau de l’habitat, les propositions de M.Fillon consistent à prolonger le dispositif de crédit d’impôt déjà existant pour les travaux de rénovation, à instaurer une franchise de TVA pour les artisans, à aligner les conditions du prêt à taux zéro des bâtiments anciens sur celles des bâtiments neufs et à faire progresser le niveau de qualification des artisans de la construction. Le crédit d’impôt pour la transition énergétique comme le prêt à taux 0 sont des processus dont la lourdeur administrative est décourageante et sont surtout réservés aux classes aisées. François Fillon ne propose pas ici de mesure simplificatrice pour recourir à ces aides, ni de moyen de les orienter vers l’isolation, qui est l’intervention la plus efficace en terme d’économies d’énergie. De plus, aucun grand programme de rénovation des bâtiments n’est proposé, notamment sur le parc de bâtiment publics. Or, la franchise de TVA et la formation des artisans de la construction sont surtout avantageuses si un marché existe pour leur activité. Il est peu probable que les propositions du candidat accélèreront significativement l’effort de l’Etat dans ce domaine.
Concernant le transport, François Fillon propose d’engager la mise en concurrence de la SNCF, de moderniser et remettre à niveau le réseau ferroviaire, de confier aux régions le rôle d’autorités organisatrices pour lancer des appels d’offres, de donner aux régions toutes les compétences sur leur territoire pour la meilleure organisation du transport et d’inciter au développement des véhicules à énergie propre.
Le secteur particulièrement émetteur de l’aviation n’est pas une seule fois mentionné. L’ouverture du marché du transport ferroviaire à la concurrence est actée par une directive européenne, l’organisation du transport régional est déjà grandement géré par les régions et il n’est pas précisé si les subventions aux véhicules électriques seront augmentées ou non. Le candidat LR exprime la volonté de recourir à la commande publique pour privilégier l’électrique et de jouer un rôle majeur dans la mise en place des infrastructures de recharges rapides, mais dans quelle mesure cette intention va-t-elle se concrétiser ? On ne sait pas, puisque qu’aucun de ces objectifs n’est chiffré.
Le gouvernement Fillon s’engage-t-il à convertir progressivement à l’électrique la flotte de véhicules publics? Trouvera-t-on d’ici 2020-2025 un équipement complet en infrastructure de recharge le long de plusieurs autoroutes? Verra-t-on de grands projets soutenus par l’état de nouvelles lignes de TGV pouvant porter concurrence à l’avion ou aux camions? Ce genre de proposition est absent du programme des républicains.
Aujourd’hui encore, la balance commerciale extérieure française est pénalisée par l’importation de pétrole et la pollution qu’il génère est de plus en plus sérieuse. D’après Airparif, 95% des Franciliens sont potentiellement concernés par les particules fines. L’impact en termes de réduction d’espérance de vie est chiffré à entre 4 mois et 2 ans selon différentes études et des centaines d’hospitalisations couteuses pourraient être évitées. Par exemple, plus de 2000 enfants se sont rendus aux urgences pour pathologies respiratoires entre le 30 novembre et le 7 décembre 2016, contre 1516 pour la même période, en 2015.
En conclusion, on remarquera que la transition énergétique version Fillon reste floue. Peu de propositions chiffrées, un choix du nucléaire assumé et des mesures en faveur des énergies renouvelables dont l’impact sur ces nouvelles filières reste insondable. Les propositions pour l’habitat et le transport, elles aussi, semblent cosmétiques au regard des enjeux actuels de la décarbonisation de ces secteurs.
Par Gabriel Brézet
Gabriel Brézet est ingénieur de formation. Il a suivi un double cursus avec un mastère spécialisé en économie de l’énergie. Il travaille aujourd’hui dans le secteur des énergies renouvelables.
Lire le programme des candidats
François Fillon est probablement le seul homme politique à avoir pris conscience que les émissions GES devaient être réduites le plus vite possible et que l’électronucléaire nous fournissait une électricité décarbonée, faisait rentrer des recettes à l’exportation et donnait à la France son indépendance électrique.
Mais il a écouté les experts du climat et de la production électrique.
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