France Stratégie est un organisme de réflexion, d’expertise et de concertation, rattaché au Premier ministre, et chargé d’animer le débat public. En s’attaquant au brûlant sujet de la transition énergétique allemande, Etienne Beeker, l’auteur de la note d’analyse, a relancé le débat dans l’Hexagone. Les services du Premier ministre rappellent que le rapport n’engage que son auteur, et pas le gouvernement.
Le nucléaire : la pomme de discorde
Suite à la catastrophe de Fukushima, le gouvernement allemand, sous pression de son opinion publique, a décidé l’arrêt de 7 premières tranches puis progressivement de toutes les centrales nucléaires en 2022, et leur remplacement par des énergies renouvelables. La baisse a été immédiate puisque la production nucléaire s’élevait à 84,6 TWh en 2016, soit 14,2% de la production électrique contre 25% avant 2011. Le planning d’arrêt des tranches restantes n’a depuis pas été remis en cause. De ce fait, Berlin a envoyé un signal fort, mais négatif, sur une filière dont la France s’est fait une spécialité. Plus encore, Paris place le nucléaire comme un outil phare pour répondre aux besoins énergétiques tout en luttant contre le changement climatique, et accessoirement trouver des débouchés pour son industrie. Depuis les experts français de l’énergie sont parfois suspectés d’entretenir un avis très critique, voire de mauvaise foi, sur les résultats de la stratégie allemandes en faveur du climat.
Objectif rempli sur les Enr…
La transition énergétique allemande, ou Energiewende, s’est caractérisée par une montée en puissance rapide des Enr, à commencer par le photovoltaïque et l’éolien qui représentaient fin 2016 une capacité installée respective de 40 GW et 49,6 GW. Un parc impressionnant auquel il faut ajouter une importante exploitation de la biomasse. L’Allemagne est en passe de remplir son objectif d’énergies renouvelables qui pèseront 35% du mix électrique en 2020. Pour autant, Etienne Beeker, estime que la fin programmée des tarifs d’achat engendre une forte incertitude sur l’avenir des Enr en Allemagne. Par ailleurs, il dénonce le coût pour le consommateur de cette politique pro-Enr : « Aujourd’hui l’horizon s’est obscurci. L’Allemagne produit certes un tiers de son électricité grâce aux énergies renouvelables mais elle paie cette performance remarquable au prix fort, le prix de l’électricité pour les petits consommateurs ayant plus que doublé entre 2000 et 2013 ». Or, la décision d’arrêter le nucléaire ne datant que de 2011, on peut raisonnablement douter qu’elle soit à l’origine des hausses de tarifs. Ces dernières, comme le rappelle d’ailleurs l’auteur, sont davantage dues à un consentement de la population de faire reposer sur ses épaules la majorité des coûts du système électrique pour épargner l’industrie lourde, grande pourvoyeuse d’emplois outre-Rhin.
…. mais pas sur les GES
Malgré la hausse spectaculaire du parc renouvelable, l’arrêt des sept premières tranches nucléaires s’est également traduit par la mise en service de centrales thermiques fonctionnant au charbon ou au lignite, bon marché mais très émetteur de gaz à effet de serre (GES). De fait, selon la note, l’Allemagne réduira ses rejets de seulement 33,5% à 36,5% en 2020 contre l’objectif fixé de 40%. Ce passage par la case charbon est très décrié en France, notamment lors d’épisodes de pics de pollution attribués à ces centrales thermiques. Du côté allemand, le charbon fait office d’outil de transition pour pallier la fin du nucléaire. Mais ces centrales devront être progressivement converties au gaz naturel, moins polluant. Pour autant, comme le rappelle Etienne Beeker : « Les énergies fossiles représentent toujours 80 % du mix énergétique total outre-Rhin, le pétrole restant archi-dominant dans les transports et le gaz dans l’industrie et le chauffage, révélant l’ampleur du chemin à parcourir pour décarboner le secteur ».
Avantage comparatif du VE
Le véhicule électrique est un bon exemple d’innovation dont l’impact est très différent selon les choix énergétiques faits par les pays. La France pousse fort dans cette direction et est devenue cette année le premier marché européen avec plus de 100 000 VE immatriculés. Paris mis gros sur le VE pour réduire la pollution liée au transport qui représente 38% des émissions de GES, un chiffre un peu moins élevé en Allemagne (30%). Or, l’industrie automobile allemande s’est spécialisée sur les grosses cylindrées et dispose d’une expertise reconnue mondialement, et ce, malgré le scandale des moteurs truqués. Le passage au véhicule électrique, dont l’essentiel de l’innovation réside dans l’électrochimie, va poser des problèmes à l’industrie allemande qui représente 800 000 emplois. Par ailleurs, le bilan carbone du VE dépend notamment des sources de production de l’électricité injectée dans le véhicule. Or, si le bilan du parc électrique français est très faiblement carboné (environ 80 gCO2/KWh), celui de l’Allemagne est beaucoup plus élevé : 500 grammes de CO2/kWh. De fait, le bilan carbone du VE diffère largement d’un côté à l’autre du Rhin. Cela explique aussi pourquoi Berlin aura tant à perdre en terme de compétitivité à accepter la proposition française d’instaurer un prix plancher du carbone en Europe.
Chacun sa transition
Au final, le rapport apporte des éclairages pertinents sur les mécanismes ayant permis à l’Allemagne de diminuer dans un premier temps ses émissions (grâce à la modernisation de la RDA) avant de les stabiliser. Mais certaines omissions ne rendent pas compte de la vision à long terme et de la cohérence globale de la transition allemande. A l’instar des lignes haute-tension (comme Nordlink) tirées vers la Norvège pour bénéficier de ses STEP. La coopération européenne est en l’espèce cruciale pour réussir la transition énergétique du continent même si elle ne ne passera pas forcément par les mêmes stratégies en fonction des pays et de leur héritage énergétique. En l’espèce, il n’existe pas de recette magique universelle. Etienne Beeker ne dit pas autre chose : « Cette dépendance à l’égard des réseaux des pays voisins démontre que le modèle énergétique allemand ne peut pas être généralisé, mais aussi que la coordination européenne entre transitions énergétiques devient une urgente nécessité ».
Romain Chicheportiche
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