Même si la politique industrielle est souvent moins commentée que la politique, force est de constater que dans l’opinion publique l’idée selon laquelle les intérêts européens sont incompatibles avec les intérêts français a fait son chemin.
Dernier exemple en date, le projet de privatisation des barrages français. Devant la pression de Bruxelles, l’état envisage de privatiser une partie du secteur énergétique français, en l’occurence 150 de ses barrages. L’idée est de se mettre en conformité avec les réglementations européennes de mise en concurrence sur le marché de l’hydraulique.
Aujourd’hui, le sujet est symbolique puisqu’il est le signe, pour certains, que l’Europe impose à la France des mesures qui vont contre son intérêt général. D’autant plus qu’avec les barrages, on touche à un secteur hyper stratégique, celui de la production nationale de l’électricité. On oublie souvent que les barrages hydroélectriques servent aussi de réservoir d’eau froide pour refroidir les centrales nucléaires. Cela rajoute à l’intérêt stratégique.
Pour autant, l’exploitant privé d’un barrage français pourrait-il refuser de refroidir une centrale nucléaire qui en aurait besoin ? Non, bien sûr. C’est l’état qui gère les appels d’offres, et qui choisit le meilleur candidat par rapport au cahier des charges qu’il a lui-même établi.
Nous sommes donc là dans un cas de transfert d’exploitation commerciale, pas de souveraineté. Pour autant, le sujet crispe. Le cas de la privatisation des autoroutes a eu beaucoup d’écho, et les usagers ont pu constater que privatisation ne rimait pas toujours avec baisse des prix.
Ainsi, l’image de l’Europe pour ses concitoyens est fragilisée. Mais au-delà des réglementations économiques, qui évoluent pour s’adapter à un marché mondialisé, l’Europe a aussi un rôle à jouer plus en amont, au niveau de la recherche et de l’innovation. Car c’est bien là que se jouent les enjeux industriels de demain. Enjeux qui ont beaucoup plus à voir avec notre souveraineté.
Que fait l’Europe pour l’innovation ?
L’Europe abrite seulement 7 % de la population du monde, mais représente 20 % de l’économie mondiale en termes de PIB.
Outre un leadership sur certains secteurs comme la transition énergétique ou la santé, la création d’organismes comme le conseil européen de la recherche, créé en 2007, et destiné à financer des projets à fort potentiel mais dont le retour sur investissement n’offre que peu de garanties, montre que l’Europe s’est saisie de ces enjeux.
Mais est-ce suffisant ? Aujourd’hui les investissements engagés par les géants américains et chinois sur des domaines comme l’intelligence artificielle, la e-santé, la robotique, les batteries, défient l’imagination. Et surpassent la puissance de feu européenne dans les grandes largeurs, d’un facteur 4 en moyenne.
Pourtant, ce qu’on appelle la troisième révolution industrielle, et qui va changer drastiquement nos modes de vie, se joue aujourd’hui. L’Europe connaît parfaitement les implications stratégiques à long terme immenses derrière ces enjeux. Mais elle n’a pas aujourd’hui la puissance financière suffisante pour engager ces combats de front. Au risque de devenir à moyen terme un simple marché et plus une force industrielle ? Ce n’est pas exclus.
Le problème de l’investissement
Des politiques européennes sont menées, aux niveaux territorial et national pour rendre l’industrie continentale plus agile, plus synergique, et donc plus compétitive.
Et ceci sur l’ensemble des secteurs de l’industrie. Les cinq Fonds structurels et d’investissement européens ont, depuis 4 ans, investit aux alentours de 405 milliards d’euros dans l’économie réelle. C’est tout de même une somme colossale. Qui doit être utilisée plus efficacement.
Au total, ce sont tout de même près de 1,7 million de projets d’investissement qui ont été sélectionnés en vue d’un soutien de l’UE dans l’ensemble de l’Europe, en plus des 2,7 millions de bénéficiaires des programmes de développement rural.
Dans ce contexte économique hyper polarisé, difficile d’imaginer qu’un pays puisse, sans l’Europe, dégager les financements nécessaires pour innover aujourd’hui sur les domaines technologiques à fort potentiel.
C’est bien la contradiction qui se pose aujourd’hui aux citoyens qui voteront à partir du 23 mai. S’il est facile de trouver les limites du modèle européen, il paraît bien ambitieux d’imaginer s’en affranchir.
Par Pierre Thouverez
Cet article se trouve dans le dossier :
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