Les yeux sont bien souvent tournés vers l’éolien et le solaire photovoltaïque quand on parle énergie renouvelable (EnR). Pourtant, la production de biogaz est tout aussi importante pour décarboner l’économie. Les tensions d’approvisionnement en gaz en Europe suite à la guerre en Ukraine ont rappelé que la méthanisation est une technologie complètement mature. Pour la première fois, l’Agence internationale de l’énergie y a consacré une partie de son dernier rapport sur les EnR, en rappelant ses vertus : création d’activité locale et d’emploi, amélioration de l’indépendance énergétique, valorisation des déchets organiques, substitution aux énergies fossiles dans l’industrie et le transport, réduction des émissions de CO2 et de méthane, production d’engrais.
Diversité des ressources primaires, diversité des usages, diversité des tailles de production, font aussi partie des caractéristiques du biogaz, lui permettant de s’adapter aux différentes configurations des pays. L’AIE relève ainsi que l’Europe, première productrice de biogaz (700 PJ), valorise majoritairement la cogénération d’électricité et de chaleur, avec néanmoins une montée en puissance de l’injection dans les réseaux sous forme de biométhane. La Chine, deuxième sur le podium avec 340 PJ, a développé historiquement les petits méthaniseurs pour des usages directs dans le résidentiel. Si elles sont prédominantes, ces productions domestiques commencent à laisser la place à des installations de taille industrielle sous l’impulsion des politiques incitatives chinoises.
+33% d’ici 2028
L’AIE estime que 1 621 PJ (450 GWh) de biogaz a été produit en 2022 dans le monde, et ce chiffre pourrait atteindre 2 157 PJ (600 GWh) en 2028. Les pays à la pointe ont des mécanismes de soutien pour porter cette croissance. L’Inde, les États-Unis et l’Allemagne visent particulièrement l’utilisation du bioGNV pour les véhicules. En Europe, le biométhane représente déjà 20 % du gaz utilisé dans le transport. Cette solution a encore un coût de production élevé : sur le marché européen, l’AIE estime qu’il est entre 55 et 90 €/MWh. Comparativement, le prix du gaz fossile s’échange actuellement autour de 25-30 €/MWh (référence marché spot TTF), mais il avait dépassé les 70 € d’octobre 2021 à janvier 2023. Selon l’AIE, une taxe carbone de 90 €/tCO2 renchérirait le gaz fossile de 18 €/MWh, ce qui permettrait au biogaz d’être plus facilement compétitif.
La purification du biogaz en biométhane pour son injection dans les réseaux de gaz est portée par de nombreux pays. L’Union européenne a fixé un objectif ambitieux en ce sens dans son plan REPowerEU. Peut-être trop ambitieux d’ailleurs, car il nécessite de multiplier par sept la quantité de biométhane injecté par les États membres d’ici 2030.
La France compte faire sa part. Fin 2023, l’ex-ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a annoncé le lancement d’un appel d’offres pour la création de nouvelles installations de méthanisation. Les sites, qui devront avoir une capacité supérieure à 25 GWh/an, bénéficieront d’un contrat d’achat de 15 ans du biométhane injecté dans les réseaux de gaz. L’objectif est de générer à terme une production globale supplémentaire de 1,6 TWh/an, alors que le volume déjà produit s’élevait à 11,8 TWh/an fin janvier 2024. La filière biométhane est une des seules des énergies renouvelables à avoir dépassé les objectifs qui lui avaient été fixés en France pour 2023, avec un bond de + 18 % entre 2023 et 2022.
La France a un très fort potentiel
Pour 2030, la stratégie française énergétique en cours de révision pourrait viser 15 % de biométhane dans la consommation de gaz française, alors qu’on frôle actuellement à peine 3 %. Une part non négligeable néanmoins puisque le compteur était à zéro en 2010. La dynamique française se situe parmi les plus positives d’Europe comme le montre un benchmark réalisé par SIA Partners. Les données, consolidées à fin 2022, montre que notre continent produit 44 TWh de biométhane par an, la France en assurant un quart. De fait, sur les 1 200 sites de production, l’Hexagone en compte 514* et l’Allemagne plus de 250. Tous les autres pays européens ont moins d’une centaine de sites. Mais la taille joue beaucoup : au Danemark, une cinquantaine de sites injectent près de 6 TWh, ce qui correspond déjà à 19 % de la consommation de gaz de ce pays qui vise le 100 % pour 2030 !
Les ressources utilisées pour la méthanisation sont, par ordre d’importance, les déchets agricoles, les cultures énergétiques, les autres déchets organiques et les boues d’épuration. Si les cultures énergétiques ont été très tôt développées par l’Allemagne et ont longtemps été majoritaires, elles stagnent depuis 2016, tandis que le recours aux déchets agricoles a fortement augmenté, porté par la priorité que la France leur donne. Ils sont désormais en tête, mais les mélanges sont encore très divers selon les pays (voir graphe ci-dessous).
Évidemment, selon ses ressources en déchets et selon l’importance de son secteur agricole, chaque pays européen n’a pas le même potentiel de développement du biométhane d’ici à 2050. L’Allemagne et le Danemark ont déjà atteint de forts niveaux, avec respectivement 62 % et 41 % de leur potentiel, selon SIA Partners. D’autres pays comme l’Italie, le Royaume-Uni, la Belgique, la Suisse, la Suède et l’Autriche sont entre 20 et 35 %. La France, en ayant pour l’instant exploité tout juste moins de 5 % de son potentiel de méthanisation, dispose vraiment d’une opportunité pour alimenter plus fortement sa consommation de gaz avec du biométhane, tout en créant de nouvelles activités rémunératrices pour les agriculteurs.
* Les gestionnaires de réseau de gaz en comptaient 656 à fin janvier 2024
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