Face aux besoins croissants de flexibilité nécessaire au réseau électrique, les data centers auraient un potentiel d’action important d’ici 10 ans. Un livre blanc du Gimélec révèle les différents leviers disponibles dans les centres de données.
Les études et rapports se multiplient sur le secteur numérique pour mieux déterminer son poids – tant positif que négatif – dans la transition énergétique. L’Ademe a montré récemment l’impact de la croissance de ce secteur en termes de consommation des métaux. L’Agence a également pointé le cas particulier des data centers dont le développement est actuellement très fort, en France comme ailleurs dans le monde. Dans cette étude, elle rappelle que les centres de données numériques ont des moyens pour réduire leur consommation d’énergie, d’eau et de fioul. Des actions d’efficacité énergétique sont listées comme solution, ainsi que le recours à des sources d’énergie renouvelables.
En filigrane apparaît aussi la possibilité pour les data centers de participer au marché de la flexibilité de la demande d’électricité. Le sujet est loin d’être anodin, comme le révèle un livre blanc publié début novembre par le Gimélec. Le groupement des entreprises de la filière électronumérique française a en effet évalué la progression possible des data centers installés en France et a estimé la part de la puissance de ce parc qui serait mobilisable pour répondre au besoin de flexibilité du réseau électrique. Le niveau moyen serait de 2,1 GW en 2035. Soit 70 % du niveau actuel d’effacement de l’industrie en France.
Un parc de data centers en très forte croissance
Ce potentiel est très significatif alors même que le Gimélec a pris des hypothèses très prudentes et qu’il n’a considéré que les data centers commerciaux d’hébergement (appelés colocation), ce qui exclut les centres des grands acteurs numériques (GAFAM) et les salles informatiques hébergées dans les entreprises et administrations (estimées à environ 5 000, mais souvent de petite taille). Examinons ces hypothèses.
Tout d’abord, la puissance informatique installée des data centers en colocation est en forte croissance : en moyenne +16 % par an en France depuis 2016. Pour l’avenir, le livre blanc prend deux options : une basse avec une croissance de 11 % par an, et une haute avec un taux de 20 %. Le parc, qui représentait 566 MW en 2022, passerait ainsi à une puissance entre 2,2 et 5,2 GW en 2035. Les consommations d’électricité induites seraient entre 18,5 et 43,6 TWh.
Ces nouvelles consommations participeraient de l’électrification du pays dans le cadre de la transition énergétique (fabrication d’hydrogène par électrolyse, process électriques dans l’industrie, pompes à chaleur dans le bâtiment, véhicules électriques). Elles mettent le gestionnaire de réseau RTE au défi d’arriver à les satisfaire avec un système de production qui sera de plus en plus alimenté par des énergies renouvelables variables. D’où un besoin de pouvoir activer des flexibilités de la demande via les batteries des véhicules électriques, le tertiaire et l’industrie… et donc a fortiori les data centers.
RTE envisage d’ailleurs déjà des offres de raccordement intelligentes où, pour minimiser ses coûts d’investissement dans le réseau, il répondra aux fortes demandes de raccordement des data centers, notamment en Île-de-France, en échange d’un engagement de leur part à effacer une partie de leur consommation jusqu’à 1 200 heures par an.
Utiliser groupes électrogènes et batteries
L’analyse du Gimélec fait ressortir plusieurs leviers de flexibilité dans les centres de données. On peut les regrouper en trois grandes catégories. La première est celle des groupes électrogènes de secours dont les data centers sont actuellement équipés pour pallier tout défaut d’approvisionnement d’électricité. Ces groupes ont généralement une autonomie de 72 heures et pourraient donc servir au réseau sur une large gamme temporelle. Si la question d’alimenter ces groupes électrogènes en biocarburants se résout (prix abordable, approvisionnement assuré) pour réduire leurs émissions de CO2, ils pourraient participer fortement à la flexibilité électrique, comme ils le faisaient d’ailleurs déjà avant 2014 pour les mécanismes d’effacement.
La deuxième catégorie est celle des batteries électrochimiques. Toujours pour assurer la continuité des services numériques, les data centers disposent déjà de systèmes d’alimentation sans interruption de ce type : ils pourraient servir de temps à autre au soutien du réseau en fréquence ou en tension sur des durées courtes (5 à 15 minutes). À ces systèmes existants pourraient être ajoutés d’autres stockages stationnaires par batteries de plus fortes puissances et pour de plus longues durées (deux à trois heures). Ils pourraient remplacer en partie les groupes électrogènes, mais aussi soutenir le réseau en injection ou en soutirage d’électricité, selon que le besoin de flexibilité exige une baisse ou une hausse de la consommation.
Signal économique à créer
La troisième catégorie est celle relative au fonctionnement même des serveurs informatiques. La chaleur qu’ils dégagent conduit à utiliser des systèmes de refroidissement pour maintenir une température optimale. Ils représentent généralement 40 % de la consommation d’électricité d’un data center ! Ces systèmes pourraient moduler leur production de frigories – et donc leur consommation électrique – soit en faisant varier la température de consigne dans les salles des serveurs, soit en utilisant l’inertie d’un stockage de glace en cas de systèmes à eau glacée. Il faut ajouter la possibilité pour les serveurs de décaler leur charge numérique soit dans le temps pour profiter d’un moment où le réseau sera moins tendu, soit dans une autre zone géographique plus propice.
Au regard de toutes ces possibilités de flexibilité, le Gimélec a déterminé que chacune d’entre elles pouvait être mobilisée entre 5 et 20 % de la puissance informatique installée (voir tableau ci-dessous).
Le livre blanc du Gimélec note que des aspects réglementaires seront à modifier pour permettre certaines flexibilités des data centers, et qu’un signal économique doit être créé entre les gestionnaires des centres en colocation et leurs clients pour les faciliter. L’intérêt financier peut venir d’une rémunération de la flexibilité ou bien d’une optimisation tarifaire des achats d’électricité. Mais, à n’en pas douter, les opérateurs de ces centres de données ont d’abord une révolution intellectuelle à opérer : aujourd’hui très demandeurs de services au réseau électrique (capacités de raccordement, stabilité du réseau), ils vont devoir se transformer en fournisseurs de services de flexibilité.
Capacité de flexibilité électrique des data centers en colocation en France en 2035 (en MW). Source : Gimélec
Option basse du parc (2198 MW) | Option haute du parc (5182 MW) | |||||
Syst. d’alimentation sans interruption (support en tension) | 110 | 220 | 259 | 518 | ||
Syst. d’alimentation sans interruption (support en fréquence) | 165 | 330 | 350 | 700 | ||
Stockage stationnaire par batteries | 110 | 330 | 259 | 777 | ||
Groupes électrogènes de secours | 110 | 440 | 259 | 1036 | ||
Refroidissement | 110 | 330 | 259 | 622 | ||
Déplacement de la charge numérique : | ||||||
– temporel | 110 | 330 | 259 | 777 | ||
– géographique | 110 | 220 | 259 | 518 |
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