Le 2 décembre 2023 lors de la COP28 à Dubaï, la France a signé une déclaration, aux côtés de 21 autres pays, dont les États-Unis, les Émirats arabes unis, et le Japon, appelant à tripler les capacités de production nucléaire mondiales d’ici 2050 par rapport à 2020. Alors que la production nucléaire a représenté 9,2 % du mix électrique mondial en 2022, mais 21,5 % de l’Union européenne, la question de l’approvisionnement en uranium s’avère particulièrement stratégique pour l’Europe. C’est l’une des questions majeures explorées par le dernier rapport annuel de l’agence européenne d’approvisionnement Euratom (ESA), publié le 29 janvier 2024.
Cette question intéressera les experts du secteur alors que les cours de l’uranium s’envolent depuis septembre 2023. Si le cours de référence – celui de l’oxyde d’uranium (U3O8) – était plutôt stable, autour de 50 dollars la livre (environ 450 grammes) sur les premiers mois de l’année 2023, il a atteint 106 dollars la livre entre le 16 et le 22 janvier 2024. C’est son plus haut niveau depuis 2007, lorsque le cours avait atteint 140 dollars.
Le regain des tensions géopolitiques en ligne de mire
Le regain d’intérêt mondial pour le nucléaire, combiné à la guerre en Ukraine lancée en février 2022 et au coup d’État au Niger en juillet 2023, participent activement à cette hausse des prix. Et pour cause, le Niger et la Russie comptent parmi les premiers fournisseurs européens en uranium. D’après le rapport de l’ESA, les approvisionnements européens proviennent majoritairement de quatre pays. En haut de ce podium pour l’année 2022, se positionnent le Kazakhstan (26,8 %), le Niger (25,4 %) et le Canada (22 %). La Russie (16,9 %) suit, loin devant l’ Ouzbékistan (3,8 %), l’Australie (2,8 %), l’Afrique du Sud et la Namibie (2,2 %). La nouvelle situation géopolitique invite donc les entreprises à varier leurs approvisionnements. En particulier, les livraisons d’uranium en provenance de Russie ont baissé de 16 % entre 2021 et 2022. Elles ont été contrebalancées par la hausse des importations en provenance notamment du Kazakhstan, de l’Ouzbékistan et du Canada.
Garantir la continuité d’approvisionnement en uranium
En plus de la production électrique, des millions d’Européens dépendent chaque année des diagnostics et thérapies utilisant des rayonnements ionisants. En ce sens, « des ruptures d’approvisionnement auraient des conséquences désastreuses pour les populations, les hôpitaux et l’industrie », rappelle l’ESA.
Face à « un risque accru lié à l’approvisionnement russe et lié à la nouvelle situation géopolitique », l’ESA appelle l’industrie nucléaire et les exploitants d’électricité à mieux anticiper et à « s’efforcer de garantir un approvisionnement régulier et suffisant, quelle que soit la structure du marché d’approvisionnement ». L’agence appelle en ce sens à conclure des « contrats pluriannuels provenant de diverses sources d’approvisionnement ». En ligne avec cette recommandation, les livraisons d’uranium à l’UE se sont faites à 98 % dans le cadre de contrats pluriannuels en 2022.
L’agence recommande en plus aux États membres qui adoptent la production d’énergie nucléaire la définition de conditions à remplir pour garantir la sécurité des chaînes d’approvisionnement. Elle appelle aussi ces industriels à se doter d’ « un niveau de stocks approprié » et d’avoir des « itinéraires et moyens de transport alternatifs ».
L’ESA l’affirme : « Une sécurité d’approvisionnement idéale implique au moins deux fournisseurs alternatifs pour chaque étape du cycle du combustible et, si possible, au moins un fournisseur européen de services ». Ainsi, l’agence invite à moyen terme à engager des investissements dans l’UE et dans ses pays partenaires « fiables et à faible risque » pour développer la prospection et l’exploitation de nouveaux gisements, « dans le respect des aspects de durabilité ».
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