Lundi 28 octobre 2019, l’ex-PDG de PSA Peugeot Citroën Jean-Martin Folz a remis le rapport « La construction de l’EPR de Flamanville » aux ministres de l’Economie et de la Transition écologique. Les anti-nucléaires et les pro-nucléaires ne s’y sont pas trompés, le rapport Folz va bien au-delà du simple constat, même si l’exercice est particulièrement celui d’un équilibriste.
Réactions en chaîne
Ainsi, Greenpeace, que l’on ne présente plus, a réagi au quart de tour. « Depuis le départ, cet exercice de style vise à “sauver” la filière nucléaire en imposant la construction de six EPR en France malgré l’absurdité du projet, son coût astronomique, ses déchets nucléaires dangereux, des délais de construction trop longs et incompatibles avec l’urgence climatique et la transition écologique. Le plus effarant, c’est de voir que le lobby nucléaire étatique est prêt à tout pour y arriver, notamment à imposer ce choix en catimini et à détourner les investissements verts de l’Europe. Le seul “plan d’action” viable pour EDF et les contribuables serait d’investir massivement dans les énergies renouvelables et les économies d’énergie », indique Alix Mazounie, chargée de campagne sur les questions d’énergie pour Greenpeace France dans une réaction parue le jour même.
La SFEN (Société française d’énergie nucléaire), de son côté, rapporte ce mercredi que « si les retards et les difficultés successifs de l’EPR de Flamanville sont une déception, à commencer pour la filière nucléaire elle-même, la 3ème filière industrielle française, le rapport Folz rendu public lundi 28 octobre dernier a le mérite d’analyser et de synthétiser, pour la première fois, l’ensemble des aspects de ce projet sans exception, mais aussi de proposer des recommandations. »
Son de cloche similaire du côté de la Fédération des mines énergies (FNME-CGT), le syndicat majoritaire d’EDF. Dans un communiqué de presse daté du 30 octobre, la FNME-CGT rappelle avoir, depuis le début du projet, alerté sur une planification et des coûts irréalistes. Néanmoins, « Tirer sur l’ambulance EPR c’est facile, et permettrait ainsi de crucifier le modèle d’entreprise intégrée EDF avec le dernier pan du service public de l’électricité… Il omet pour partie les problématiques liées au changement de contexte étatique (passage d’EDF EPIC à EDF SA) et réglementaire (évolutions des codes et standards) ainsi que, depuis les années 1990, à la dégradation du tissu industriel (poids de l’industrie divisé par deux dans le PIB) et à la financiarisation du secteur de l’énergie », insiste le syndicat. Et d’estimer que ce qu’il faut désormais, c’est « un programme (y compris à long terme), un tissu industriel solide, et le gréement de compétence permettant à l’ingénierie d’être en situation réelle d’Architecte-ensemblier. »
Les points positifs
Comme le souligne la SFEN, « le rapport Folz constitue un jalon important dans le programme d’instruction, en cours, du projet de Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) publié fin janvier 2019 et qui précisait : ‘’le gouvernement conduira avec la filière, d’ici 2021, un programme de travail permettant d’instruire, entre autres, l’option de construire de nouveaux réacteurs nucléaires’’. Pour ce faire, il paraissait nécessaire de faire le point des difficultés cumulées sur l’EPR Flamanville… mais aussi de faire un retour d’expérience sur la construction des deux réacteurs EPR qui fonctionnent aujourd’hui à pleine puissance en Chine. »
Or c’est exactement ce que fait le rapport. Après avoir « démonté » l’imbroglio historique qui a conduit à une vaste dérive des coûts et des délais dans le chantier de Flamanville-3 (pêle-mêle, de la « gouvernance inappropriée » au « manquement dans le management de projet », « organisation complexe des ressources d’ingénierie », « études insuffisamment avancées lors du lancement », « estimations irréalistes » au départ, etc.), l’ancien PDG de PSA tire la sonnette d’arrêt avant l’hallali.
Comparaison
Jean-Martin Folz signale d’abord, qu’« avant de conclure ce rapport sur les difficultés rencontrées à Flamanville, il n’est pas inutile de se pencher sur les meilleures performances du chantier de Taishan (Chine, ndlr). Les deux EPR qui sont aujourd’hui en fonctionnement industriel normal – le premier depuis près d’un an – ont été construits en 110 et 113 mois, soit un dépassement de 5 ans du délai initialement annoncé, pour un coût d’environ 95 milliards de RMB, soit 60 % de plus que le budget prévu ». Son rapport ajoute que d’abord, en commençant quatre ans après le chantier de l’EPR finlandais d’Olkiluoto et deux ans après celui de Flamanville, les EPR chinois ont bénéficié du retour d’expérience des débuts de chantier.
Ensuite construire des tranches jumelles sur le même site a été un atout, « confirmant les acquis de l’expérience d’EDF », car la majorité des tranches françaises construites jusqu’alors sont jumelles, et c’est d’ailleurs cela qui a facilité leur installation en un temps record.
Enfin, J-M Folz souligne que la direction de projet a été présente dès le début et n’a pas changé… Ce qui constitue un facteur de réussite que l’ex-PDG de PSA estime hautement important. Sans oublier que le programme nucléaire chinois bat son plein avec plusieurs tranches en chantier en même temps.
Conclusion
Au final, le rapport conclut que les mesures correctives décidées par EDF en 2015, notamment « la mise en place d’une équipe de projet puissante, disposant de moyens propres importants et d’effectifs pérennes, clairement indépendante des entités d’études et d’ingénierie auxquelles elle fait appel à son initiative… » mais aussi le rachat de Framatome par EDF et la création commune Edvance ont permis de « rationaliser et de simplifier l’organisation des ressources scientifiques et techniques dans les projets nucléaires ». En outre, une profonde remise à niveau des capacités industrielles et des ressources humaines a été engagée chez Framatome, et « elle doit être menée activement à son terme. »
Reste qu’il faut porter « une attention particulière » aux métiers de soudage, avec des efforts de formation initiale et d’entretien des compétences. Le rapport juge qu’en la matière, « EDF a manifestement un rôle à jouer. »
La dernière phrase de conclusion est ainsi rédigée : « Il s’agit concrètement d’afficher des programmes stables à long terme de construction de nouveaux réacteurs en France et d’entretien du parc existant qui donnent aux entreprises concernées la visibilité et la confiance nécessaires pour qu’elles engagent les efforts d’investissement et de recrutement indispensables. »
Et Bruno Le Maire n’a plus eu qu’à indiquer que le PDG d’EDF avait un mois pour apporter les réponses bien tracées par le rapport Folz.
Dernier petit obstacle à lever, le timing pour la présentation d’un nouveau programme de construction (le ministre de l’Economie l’a déjà demandé à Jean-Bernard Lévy en septembre pour une remise avant 2021) et surtout qu’un gouvernement donne son feu vert à un nouveau programme nucléaire ; pour l’heure, la ministre de la Transition écologique Elisabeth Borne ne veut pas entendre parler de décision politique sur de nouvelles constructions avant le démarrage de Flamanville-3.
Ce qui, avec le calendrier remanié d’EDF, en début octobre, amène jusqu’en 2023… (à noter, après les élections présidentielles). Là, à l’aune des errements contenus dans le rapport Folz, la SFEN dit : c’est un peu tard, avec le risque de voir se reproduire un « gap » dans les compétences avant le début de la construction d’une nouvelle tranche…
Mais le calendrier politique est largement disjoint du calendrier industriel… A suivre donc.
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