Loin des grandes négociations internationales, que faire en France pour enrayer le déclin de la biodiversité ? Une étude de Solagro liste certaines actions, en particulier dans le monde agricole et plus globalement dans la gestion des espaces naturels.
Le 19 décembre 2022 sera close la 15e conférence internationale de l’ONU sur la biodiversité qui se tient à Montréal. Cette rencontre internationale est importante, car elle doit définir un nouveau cadre mondial pour agir les dix prochaines années, alors que les précédents engagements n’ont pas été tenus. Les 196 membres de la Convention sur la diversité biologique doivent trouver des solutions pour lever les antagonismes entre préservation et utilisation de la biodiversité, ce qui est loin d’être évident. Pour rappeler l’ampleur du phénomène, les spécialistes estiment que 75 % de la surface des écosystèmes continentaux et 40 % des océans ont été fortement dégradés. Un million d’espèces risquent de disparaître à courte échéance…
L’IPBES, la plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, pointe régulièrement les liens ténus entre les modes de vie des humains et l’ensemble de ce que la nature peut apporter. Cet équivalent du GIEC a ainsi par exemple montré en juillet dernier qu’environ 50 000 espèces servent à différentes pratiques (nourriture, matériel, énergie, soins, activités de loisirs, etc.), dont 10 000 tout particulièrement à l’alimentation dans les pays en développement.
Œuvrer à toutes les échelles
Soumise à la surexploitation des ressources, à la dégradation des sols, de l’eau et de l’air, la biodiversité est menacée et va l’être encore plus avec le bouleversement climatique. Pourtant, de nombreuses pistes existent pour faire face au risque d’extinction des espèces animales et végétales. Y compris en France où la pression n’est pas moindre qu’ailleurs. Par exemple, 21 % des mammifères des milieux humides et aquatiques sont menacés en métropole, selon l’Office français de la biodiversité.
Une récente étude de Solagro permet d’imaginer comment faire sur notre territoire pour ne pas dépasser les limites planétaires, ce qui passe par la révision des pratiques d’un des principaux responsables, l’agriculture. Solagro se base sur son scénario de transition agricole et alimentaire, Afterres 2050, qui envisage d’agir à différentes échelles où la biodiversité est impactée : la parcelle (diversité génétique locale), l’exploitation (réduction des intrants chimiques), le paysage (renforcement et diversification des infrastructures agroécologiques), ainsi que via les importations de produits agricoles.
Douze actions phares sont identifiées. Les trois premières concernent la gestion des espaces naturels et agricoles. Il s’agit d’augmenter les surfaces forestières de 3 millions d’hectares d’ici 2050 tout en protégeant et en exploitant mieux les forêts. La sylviculture doit s’adapter à des peuplements en futaie jardinée (mélange d’arbres de différentes essences et de différents âges) dans des forêts de type mosaïque ; les volumes de bois prélevés doivent augmenter de façon modérée (18 millions de m³ pour le bois d’œuvre et 13 Mm³ pour le bois d’industrie) et des réserves intégrales être créées sur 3 % des forêts. L’artificialisation des terres doit par ailleurs être limitée à 300 000 hectares d’ici 2050, en contenant les besoins (maîtrise des surfaces bâties, densification de l’habitat, moins de circulation automobile, etc.), en favorisant la nature en ville (via des corridors biologiques), et en dédiant 100 000 hectares à la transition énergétique sur la base d’une multiplication des coactivités agricoles (écopastoralisme, pâturage sous panneaux photovoltaïques, etc.). Pour maintenir et restaurer les habitats naturels, la part des infrastructures agroécologiques dans la surface agricole utile (SAU) doit passer à 5 %. Cela est possible en réduisant la taille moyenne des parcelles, en doublant le linéaire de haies, et en consacrant 10% de la SAU à de l’agroforesterie.
L’agroécologie au cœur des pratiques
Du côté des pratiques agricoles et alimentaires, cinq actions sont au cœur de la protection de la biodiversité. En premier lieu, Solagro estime qu’il est souhaitable et possible de réduire de 90 % l’usage des pesticides en ayant plus des deux tiers des exploitations en agriculture biologique et le reste en production intégrée et en agriculture de conservation. Cette agroécologie repose sur le choix de semences paysannes et d’espèces indigènes, sur le mélange des variétés, sur l’allongement des rotations, sur des cultures intermédiaires, sur une plus grande part de légumineuses, sur la couverture des sols, etc. Elle doit se coupler à une réduction des élevages et à des modes moins intensifs : en privilégiant les élevages sous labels, les pâturages plutôt que l’alimentation concentrée, la mixité des races etc., on peut réduire le cheptel bovin de 8 à 4,3 millions de vaches en 2050 et maintenir le cheptel ovin à son niveau. Solagro prévoit aussi la fin des élevages en cages pour les poulets et les porcs. Pour stopper la déforestation due à nos importations, la recommandation est de réduire celles des cultures à risque (soja, huile de palme, bois tropical) et de consommer les aliments tropicaux (notamment crevettes, cacao et café) plus sobrement. De même, pour mettre fin à la surexploitation des ressources marines, notre régime doit réduire de 85 % la consommation de poissons piscivores (soit passer d’une moyenne de 27 g/jour actuellement à 4 g/jour en 2050) en privilégiant les poissons herbivores, la pêche côtière, la pisciculture durable, les circuits courts et en développant la production de crustacés et d’algues.
Enfin, les quatre dernières actions envisagées par Solagro concernent la lutte contre le changement climatique qui lui-même met à mal la biodiversité. Une partie des solutions déjà citées y participe, comme la généralisation de l’agroécologie, l’augmentation des surfaces de forêts, des infrastructures agroécologiques, des couverts et de l’agroforesterie pour séquestrer du carbone. On peut y ajouter la réduction de 30 % de la consommation d’eau en irrigation et la division par trois de la consommation d’eau en été. La substitution des ressources fossiles par des ressources renouvelables est possible dans l’agriculture, en particulier par la méthanisation qui permet de produire du biogaz et d’utiliser le digestat des matières organiques en tant qu’engrais. Enfin, la réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture par 2,5 participe de l’effort global de la société pour atteindre la neutralité carbone.
Derrière toutes ces actions très concrètes se joue la survie de milliers d’espèces animales et végétales. N’attendons pas demain, quand il sera trop tard.
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