Si beaucoup d’annonces ont été faites sur l’utilisation de biocarburants dans l’aviation récemment, il faut rester prudent. Des verrous techniques et économiques importants restent à surmonter avant leur généralisation.
Ces dernières années, beaucoup d’efforts ont été faits pour certifier des filières avec des biocarburants. Au total 7 filières permettant de mélanger des carburants dits durables avec des carburants fossiles ont été certifiées par l’ASTM International, l’organisme de normalisation qui rédige et produit des normes techniques concernant divers matériaux et produits, dont les carburants pour l’aviation. Ces derniers mois, des constructeurs et entreprises du monde de l’aviation ont multiplié les annonces de création de filières 100 % biocarburants. Boeing, Safran et Airbus, entre autres, ont indiqué vouloir obtenir une certification pour des avions volant avec 100 % de biocarburants d’ici 2030. « Ces annonces sont un peu prématurées. Bien sûr que l’on peut faire voler un avion avec 100 % de biocarburant, mais il est peu probable d’envisager une commercialisation à grande échelle dans les prochaines années. Même pour 2050/2060 nous n’y serons peut-être pas », nuance Philippe Marchand, retraité de chez Total et désormais expert indépendant.
L’étanchéité des joints à surmonter
La raison principale tient dans un verrou technique à faire sauter. Actuellement, la limite d’incorporation des carburants durables est de 50 % (avec 50 % de carburants fossiles classiques), pour deux raisons : l’universalité du carburant aviation et l’absence de molécules aromatiques dans les biocarburants. En effet, tous les carburants doivent être interchangeables et doivent tous pouvoir être utilisés dans n’importe quel avion et n’importe où dans le monde. Or, l’absence de molécules aromatiques dans quasiment toutes les filières de biocarburants pose un problème d’étanchéité au niveau des joints élastomères des circuits de carburant des avions actuels. Il faut entre 6 et 8 % de molécules aromatiques environ pour assurer l’étanchéité, il y en a entre 15 et 20 % dans les carburants classiques, et pas du tout dans les carburants durables. D’où un maximum de 50 % de biocarburants.
Deux solutions sont imaginées pour s’en affranchir. Il faudrait soit produire des biocarburants avec des molécules aromatiques pour assurer le comportement normal des joints, soit mettre au point des joints différents pour les futurs moteurs d’avions. « La production de biocarburants avec des cycles aromatiques reste trop chère, c’est la solution qui risque de sortir en dernier », estime Philippe Marchand. L’autre possibilité, développée essentiellement par Safran, est techniquement jouable, mais tant que des avions avec d’anciens moteurs seront en circulation, il ne sera pas possible de généraliser des filières avec plus de 50 % de biocarburants.
Une législation nécessaire pour imposer les biocarburants
L’autre problème fondamental des biocarburants dans l’aviation est qu’ils restent beaucoup plus chers que les énergies fossiles. « Les compagnies aériennes n’ont aucun intérêt à utiliser les biocarburants, sauf si elles y sont obligées », constate Philippe Marchand. La Commission européenne a d’ailleurs fait une proposition de réglementation cet été pour imposer l’usage des biocarburants dans le transport aérien sur l’ensemble de son territoire. La proportion de biocarburants obligatoires est au cœur des négociations, mais il s’agirait de 2 % pour 2025 et 5 % pour 2030. Des pourcentages qui restent pour l’instant assez faibles. Une législation au niveau international semble par contre impossible, puisqu’il faudrait convaincre tous les pays de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Or certains pays, comme la Russie ou la Chine, ne sont pas du tout intéressés.
Une filière de production de biocarburants en France
Si une obligation d’utilisation entre en vigueur, il faudra envisager de produire des biocarburants à grande échelle. Pour ne pas entrer en concurrence avec d’autres productions agricoles, il y a une volonté à ne pas utiliser des matières premières issues de l’agriculture, mais plutôt des déchets ou résidus comme les huiles de fritures. Seulement les ressources sont parfois limitées, notamment pour les huiles, et le potentiel va vite s’épuiser. C’est pourquoi le gouvernement français a lancé un appel à projets, dans le cadre du plan de relance, pour proposer des filières alternatives pour la production de biocarburants. Jusqu’à 200 millions d’euros pourront être débloqués pour un ou plusieurs projets. « Actuellement, les alternatives sont soit beaucoup plus coûteuses, comme la gazéification-synthèse, et n’ont donc pas de sens sur le plan économique, soit sont seulement au niveau de démonstration », explique l’expert. Il s’agirait donc de se concentrer sur les filières qui en sont encore au stade de la démonstration, pour voir s’il est possible de passer au niveau industriel. Les réponses à l’appel à projets sont attendues pour avril 2022.
Si l’utilisation de carburants durables rencontre des problèmes techniques, ils restent une option pertinente face aux carburants fossiles. Les autres alternatives ont en effet leurs propres défauts. Dans l’état actuel des connaissances, l’utilisation de l’électrique pour les vols internationaux reste une utopie. Et concernant l’hydrogène, le fait de brûler de l’eau va créer des traînées de condensation qui pourraient engendrer plus d’effet de serre que les hydrocarbures. « Il ne faut pas être trop enthousiaste pour les avions à hydrogène et électriques », prévient Philippe Marchand. À l’inverse, les biocarburants, de par l’absence de molécules aromatiques, sont moins polluants lors du vol que les carburants classiques. Reste à trouver un moyen de production à grande échelle.
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