Marie a longtemps hésité avant d’exposer cette expérience tellement elle est empreinte de la honte de s’être empêtrée dans cette situation. Aujourd’hui, conséquence d’un éprouvant mais salutaire travail d’introspection, elle accepte de se livrer, non par impudeur, mais pour sortir de la solitude qui accompagne toujours la honte. Elle espère que le récit de son accident de parcours pourra apporter un soutien à tous ceux et celles qui traversent, ou ont traversé, une mésaventure analogue : celle d’avoir failli.
Comment est-ce que tout cela a commencé ?
Marie a toujours été farouchement attachée à son autonomie et à son intégrité. Personne n’a jamais réussi à lui faire renier ses valeurs, même lorsque les enjeux étaient de taille. Issue d’une famille modeste, elle a réussi à accéder à un très honorable niveau d’études supérieures tout en exerçant une activité professionnelle. Mais Marie est une entrepreneuse. Son statut de salariée, juridiquement soumise à l’autorité toujours arbitraire des échelons supérieurs de la hiérarchie, l’empêche d’exercer une grande partie des talents qu’elle a acquis au long de sa carrière enrichie par le développement simultané de ses connaissances. Aussi, à la quarantaine, lassée de devoir s’humilier à vendre ses talents et son parcours atypiques à des recruteurs robotisés par la répétitivité de leur tâche, Marie décide de lancer un projet qui lui donne l’opportunité de se sentir enfin utile : rapprocher les hommes et les aider à travailler harmonieusement ensemble. Forte de cette noble motivation, Marie monte donc sa boite : une société de conseil en organisation.
Vide
Dès le départ, même si son niveau de rémunération est bien en deçà du niveau qu’elle avait acquis en tant qu’ex salariée, les choses se passent plutôt favorablement. Grâce à la confiance d’une poignée de clients récurrents, assurée quant à leur éternelle fidélité, Marie se consacre presque exclusivement a à élaborer des solutions approfondies pour résoudre les différents problèmes que ses clients lui soumettent régulièrement. Elle se rend bien compte qu’elle néglige son activité commerciale de prospection de nouveaux clients, la progression encourageante du chiffre d’affaires lui laisse reléguer cette activité commerciale au second plan. Pendant plus d’une décennie, les clients se montrent particulièrement satisfaits des services rendus. Marie exulte. Exquise sensation d’utilité et de liberté qui font souvent regretter à Marie de ne pas s’être lancée plus tôt. Hélas, après 12 années de bonheur professionnel et familial, tout bascule. Chute vertigineuse du chiffre d’affaires liée- selon Marie, à la crise qui frappe pratiquement tous les acteurs de la vie économique. En un an, Marie perd 80% de sa clientèle. Pendant un certain temps, les réserves de Marie lui permettent de traverser, tant bien que mal, cette tempête dévastatrice mais les conséquences sur sa vie personnelle et matérielle sont catastrophiques. En effet, Marie possède d’indéniables talents d’observatrice et ne peut s’empêcher de remarquer que les nouveaux prospects qu’elle s’est mise à démarcher abondamment ne semblent ni convaincus par ses valeurs, ni par sa démarche. Marie se sent de plus en plus incompétente, incapable de convaincre ses prospects, incapable de valoriser ses compétences, incapable d’inspirer confiance, incapable de gagner sa vie. Le sentiment d’être un imposteur l’envahit chaque jour davantage. Est-ce que les décideurs sont cyniques au point de ne pas miser sur les valeurs humanistes qu’elle cherche à promouvoir ? Au terme de 4 années d’acharnement professionnel stérile, comment ne pas échapper à la dépression et à ces terribles sentiments de dévalorisation, de solitude et de vide existentiel qui habitent Marie à présent?
Bilan
Marie se reproche aujourd’hui d’avoir été inconséquente en n’ayant pas cherché à anticiper qu’après le beau temps, la pluie finit toujours par arriver. Elle avait pourtant appris, comme tout le monde, la fable de la cigale et la fourmi. Son vécu professionnel et ses compétences en marketing ne lui laissaient pourtant aucun doute sur l’inéluctable réalisation de ce risque de crise. En se laissant griser-comme une gamine – par ses espoirs et son succès grandissants, Marie prend conscience qu’elle s’est elle-même anesthésiée. Maintenant, sa honte se nourrit du constat que – grâce à des options professionnelles moins ambitieuses, des privilèges hérités ou des activités protégées – de nombreuses personnes de son entourage familial ou professionnel échappent aux ravages de cette crise économique. Non pas qu’elle voudrait qu’ils pâtissent, comme elle de la conjoncture, mais avec tout son bagage intellectuel et professionnel, après tant d’efforts également imposés à sa famille, Marie vit sa situation comme une profonde injustice du sort. La rancœur qui la submerge, et qu’elle condamne, ne fait qu’ajouter à sa honte. A quoi bon tous ces efforts ? A quoi bon toutes ces compétences ? Est-ce là le sens de la vie ? La société ne sait-elle donc pas reconnaître ceux et celles qui – par leur courage et leur investissement personnel- la font avancer ? Marie doit-elle interpréter ce cruel message de la vie comme une injonction à faire profil bas, à rentrer dans le rang du salariat, à ne pas s’exposer, à rester à sa place… ?
Comment Marie peut-elle se sortir d’une pareille épreuve ?
- Marie s’est doublement plantée en surestimant ses capacités à réussir son projet et en étant inconséquente. Il est temps qu’elle redevienne réaliste et qu’elle se préoccupe d’assurer sa sécurité matérielle et celle de sa famille. Sa priorité c’est de trouver un boulot sûr lui garantissant des revenus réguliers même s’ils sont bien en deçà de sa valeur.
- Marie ne doit pas renoncer à son rêve. Elle doit persévérer. Il lui faut trouver des soutiens qui l’aideront à rencontrer des prospects qui partagent ses valeurs… Tant pis pour la sécurité matérielle. Après la pluie vient aussi le beau temps.
- Il n’y a rien que Marie puisse faire. La crise finira bien par passer. Marie n’a aucune raison de douter de ses capacités puisqu’elles lui ont toujours réussi dans le passé. Qu’elle poursuive son douloureux exercice d’introspection pour restaurer tout d’abord sa confiance en elle. Cette nouvelle compétence lui permettra de venir en aide à ceux qui, comme elle, se sont embourbés dans une issue analogue et qui ont du mal à s’en sortir seuls…ainsi à ceux qui risquent de s’engager dans cette même pente.
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Par Dino Ragazzo
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