Après plusieurs années de pure complicité avec Pierre Vezelay, le Directeur Général d’une grande entreprise industrielle qui l’avait pourtant recruté, Antoine fut confronté à la plus décevante épreuve de sa longue carrière professionnelle. Trahi, abandonné, manipulé, utilisé, Antoine avait mille raisons d’éprouver colère, tristesse et écœurement. Comment Pierre, qui lui avait divulgué tant de confidences, avec qui il avait si souvent effectué de longs et prolifiques voyages professionnels, avec qui il avait réussi tant de projets innovants ; comment ce bon père de famille, cet homme qui avait l’air si simple, si sincère ; comment ce manager qui avait toujours été si bienveillant à son égard, qui l’avait toujours encensé auprès des autres, qui l’avait toujours couronné d’exceptionnelles évaluations professionnelles, comment, en ce début de cinquième année d’une si exemplaire collaboration, pouvait-il aujourd’hui annoncer aussi cyniquement :
« Bonjour Antoine, je suis confus de débuter cette nouvelle année de la sorte, mais je suis dans l’obligation de vous annoncer que l’entreprise souhaite que vous la quittiez… Rassurez-vous, nous n’avons rien à vous reprocher, mais nous souhaitons réorganiser notre département et nous ne pouvons pas vous proposer de nouvelles fonctions correspondant à vos compétences. Bien entendu, nous saurons assumer les responsabilités de cette décision douloureuse et vous négocierez les conditions matérielles de votre départ avec notre directeur des ressources humaines ».
Qui était en réalité ce personnage soudainement si distant, cyniquement capable d’adopter un langage si « aérien » pour virer un proche suppléant qu’il avait porté aux nues jusqu’alors ? Comment une entreprise – économiquement à l’aise – peut-elle à la fois glorifier et congédier un de ses plus précieux et plus dévoués collaborateurs ? Comment un être humain normalement constitué peut-il se faire le porte-parole zélé d’une telle schizophrénie ? Comment peut-on à ce point faire coexister deux naturels tellement contraires ?
Les ruptures sont de douloureuses épreuves humaines car elles nous confrontent au sentiment de finitude. Les ruptures de contrat dans les entreprises ne font pas exception à la règle. De nombreux conflits prennent naissance à cause de finitudes mal gérées. Les plans sociaux traités selon une approche technocratique sont les plus violents. Il n’est pas difficile, dans de telles conditions, de comprendre la colère des salariés.
En effet, après de longues années passées dans l’entreprise et faute de recevoir le moindre signe de reconnaissance – ne serait-ce que pour leur fidélité – ces derniers éprouvent alors le douloureux sentiment d’être des choses que l’on jette à la poubelle. Les entreprises qui négligent cette phase de reconnaissance, se rendent coupables de « grossièreté managériale ». Les salariés, se sentant offensés par tant d’irrespect et de goujaterie, exigent alors, tout aussi violemment, une réparation « sonnante et trébuchante » à la hauteur de la maltraitance qu’ils subissent. Seules les entreprises humanistes semblent se rendre compte à quel point il est approprié, et accessoirement plus profitable, d’accompagner le deuil de salariés plongés dans l’angoissante insécurité de nébuleux impératifs de gestion.
Les dispositifs mis en œuvre pour accompagner un salarié licencié nous renseignent explicitement sur les orientations culturelles d’une entreprise. Si vous voulez savoir où vous mettez les pieds, commencez par vous renseigner sur la manière dont cette entreprise se sépare de ses membres… En tout état de cause, les dispositifs en place, s’ils témoignent du respect de votre entreprise pour la souffrance qu’elle vous inflige, ne pourront pas vous éviter la confrontation avec cette angoisse de finitude.
Finitude
L’angoisse découlant de toute situation irréversible est un signal qui vous informe de l’expérience de la finitude. La mort est la plus angoissante des situations irréversibles. Cette conscience angoissante du bornage de la durée de votre vie, vous la devez à votre valeur de finitude.
Un divorce, une séparation, un licenciement, un départ à la retraite, un anniversaire, la clôture d’un projet, un sentiment d’incompétence (conscience de la limite de vos capacités), etc.… sont d’autres instances de la finitude.
Vous trouverez ci-dessous quelques exemples de comportements liés à l’angoisse de finitude dans les organisations :
- Difficultés à jeter (une tâche non importante, un document inutile, de vieux vêtements, le contenu d’une armoire…).
- Difficulté à DIRE NON.
- Déni des points forts de la concurrence.
- Résistance au développement personnel, à la formation, au recours à une aide
- Refus de sortir d’une dépendance (drogue, tabac, alcool, nourriture, travail…).
- Déni de ses limites personnelles (stress, concentration, résilience, compétence…).
- Mauvaise gestion des ressources (déni de conscience que les ressources (aussi) sont limitées).
- …
Le processus de deuil est un outil précieux pour permettre la naissance de quelque chose de nouveau et notamment pour accompagner les organisations vers le changement.
Sachant ce que vous savez : quelle est la meilleure façon de réussir une séparation lorsqu’un certain niveau d’attachement s’est développé entre deux contractants ?
- A la manière de Pierre Vezelay : déconnecté et sans états d’âmes.
- Avec tact ainsi qu’une empathie concrétisée par une solide compensation.
- En apportant du soutien jusqu’à l’acceptation de celui ou celle qui subit la rupture
- Autre suggestion ?
N’hésitez pas à nous donner votre avis via le post d’un commentaire dans la zone prévue à cet effet à la suite de l’article . Racontez-nous également vos propres expériences analogues.
Par Dino Ragazzo
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