Des chercheurs ont développé un modèle mathématique qui intègre les dernières connaissances scientifiques sur la décomposition de la matière organique. Il devrait notamment servir à mieux appréhender la capacité du sol à stocker le carbone.
La matière organique dans le sol est composée d’environ 50 % de carbone. Elle représente donc un réservoir clé pour participer à l’atténuation du réchauffement climatique en captant le CO2 atmosphérique à travers la photosynthèse des plantes. Au cours des vingt dernières années, la compréhension de la dynamique de la décomposition de la matière organique a considérablement progressé. Des chercheurs de l’INRAE, de l’Université de Lorraine et d’AgroParisTech viennent de concevoir un nouveau modèle mathématique qui intègre les dernières recherches en chimie du sol et en écologie microbienne. Ce travail de recherche devrait notamment servir à mieux appréhender la capacité du sol à stocker le carbone. Il vient d’être publié dans la revue Nature communications.
Trois avancées scientifiques ont provoqué une petite révolution dans la façon dont les chercheurs appréhendent aujourd’hui le rôle de la matière organique. La première, apparue au cours des années 2000, concerne sa nature. « Avant, on pensait qu’une partie seulement de la matière organique pouvait être dégradée par les micro-organismes tandis que l’autre était récalcitrante, explique Julien Sainte-Marie, chercheur à AgroParisTech. Grâce à de nouvelles méthodes d’analyse par spectroscopie, on s’est rendu compte que la totalité peut être dégradée à condition qu’il y ait en face les décomposeurs adaptés : microbes, champignons… ». La deuxième, survenue dans les années 2010, s’explique par l’arrivée de l’analyse génomique. Grâce au séquençage rapide de l’ADN des micro-organismes, les scientifiques ont réussi à les regrouper par fonction. « Alors qu’ils se comptent par dizaines de milliers, voire centaines de milliers, nous avons réussi à les classer à l’intérieur de grandes familles et ainsi avoir une vision beaucoup plus simple de leurs actions dans le sol ». La troisième découverte est liée à l’arrivée de l’analyse protéomique qui permet de connaître les enzymes présentes dans un substrat au cours de la décomposition.
Tenir compte de la respiration cellulaire des micro-organismes
Ces nouvelles connaissances, provenant de différents champs disciplinaires, ont été agrégées dans le modèle mathématique, baptisé C-STABILITY. Il prend en compte la dynamique de stockage du carbone des sols dans le temps. Pour cela, il sépare la matière organique en deux avec d’un côté, celle dite vivante composée de décomposeurs dont le rôle est de piloter le processus de décomposition. De l’autre, celle dite morte, que l’on appelle le substrat, et qui sert de nourriture à ces décomposeurs. L’originalité du modèle est de décrire l’action ciblée des microbes et des enzymes en fonction de la composition des substrats et de sa polymérisation.
L’ensemble du cycle du carbone du sol, avec notamment la respiration cellulaire des micro-organismes, est pris en compte. « Par exemple, en présence de grandes chaînes de cellulose, les décomposeurs ne sont pas capables de les assimiler, analyse le chercheur. Ils vont alors sécréter des enzymes qui vont découper les longs polymères en petits morceaux. Les décomposeurs vont alors pouvoir les assimiler et créer de nouveaux composés microbiens tels que des protéines ou des lipides. Ce processus s’accompagne d’une respiration cellulaire avec le rejet de CO2 dans l’atmosphère. Ces nouveaux composés microbiens vont ensuite mourir pour devenir du substrat, avant d’être consommés à leur tour par d’autres décomposeurs. C’est l’ensemble du cycle du carbone qu’intègre notre modèle avec les organismes vivants qui consomment du substrat mort puis vont à leur tour mourir pour devenir du substrat. »
Même s’il a démontré son efficacité et sa pertinence sur le plan théorique, beaucoup d’étapes restent à franchir avant que ce modèle ne parvienne à suivre l’évolution de la matière organique sur le terrain. Des protocoles expérimentaux vont encore devoir être réalisés pour intégrer d’autres paramètres et des données extérieures, notamment sur la qualité des sols. À terme, il pourrait servir à mesurer l’impact d’un changement brutal de l’utilisation des sols, comme prédire les conséquences sur l’évolution de la matière organique du remplacement d’une forêt par un champ de culture.
Analyser les changements dans des territoires en transition
Surtout, il devrait permettre d’analyser des changements plus lents liés au réchauffement climatique. « Pour supporter la chaleur ou certains régimes de sécheresse, on observe par exemple le déplacement géographique d’espèces forestières qui remontent vers le Nord ou en altitude, ce qui change la nature des apports de matière organique végétale au sol, ajoute Julien Sainte-Marie. Les anciens modèles de dynamique des sols étaient pensés pour fonctionner dans des conditions stables. Notre modèle devrait être en mesure de décrire cette évolution et les conséquences sur la matière organique du sol et sa capacité à stocker le carbone dans ces territoires en transition ». Il semble tout de même trop complexe et son analyse trop fine pour s’appliquer à très large échelle, celle de la Terre entière. Par contre, il pourrait servir à étudier un certain nombre de situations typiques comme celle décrite précédemment. Et ensuite aider d’autres simulateurs, adaptés à faire des modélisations à l’échelle du globe.
Malgré les carences des anciens modèles, l’estimation des quantités de carbone stockées dans le sol est tout de même correcte aujourd’hui, car elle est confortée par des campagnes de mesures sur le terrain. À l’heure actuelle, il semble difficile de prédire quelles seront les conséquences du changement climatique sur le cycle du carbone dans la matière organique. « À ma connaissance, les scientifiques ne sont pas en mesure d’évaluer cet impact aujourd’hui car il est multifactoriel, poursuit le chercheur. Par exemple, il se pourrait que dans un premier temps, pendant la période de transition, la matière organique stocke plus de carbone, car les décomposeurs adaptés ne sont pas présents pour la dégrader. Mais inversement, il est possible que l’augmentation des températures hivernales ait un impact positif sur les capacités d’action des microbes et des enzymes… »
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