David Brook, journaliste pour le New York Times, revient sur le contexte américain autour des gaz de schiste, dans un pays qui a toujours su tirer le meilleur parti de ses ressources sous-terraines.
Les Etats-Unis ont reçu beaucoup de bénédictions de la nature, et on a jadis vu le peuple s’unir pour profiter ensemble de ces richesses. Mais ce temps-là est révolu. Le pays est plus divisé et sclérosé que jamais par les intérêts particuliers. Aujourd’hui, nous sommes incapables d’être sur la même ligne pour profiter des ressources les plus abondantes.
Il y a quelques années, un génie des affaires du nom de George P. Mitchell a aidé à offrir un tel cadeau. Comme Daniel Yergin écrit dans « La Quête », son histoire de préhension de l’innovation énergétique, Mitchell s’est battu à travers les vagues de scepticisme et surtout l’opposition pour extraire le gaz naturel à partir des schistes. La méthode que lui et son équipe ont utilisée pour libérer le gaz piégé, appelé fracturation hydraulique, a porté ses fruits au delà de toutes les espérances. En 2000, les gaz de schiste ne représentaient que 1% de l’approvisionnement en gaz naturel aux Etats-Unis. Aujourd’hui, il est de 30 %, en augmentation constante.
John Rowe, le directeur général du producteur américain d’électricité Exelon, qui tire la quasi-totalité de sa production de centrales nucléaires, affirme que les gaz de schiste sont l’une des révolutions énergétiques les plus importantes jamais connues. C’est un cliché, Yergin m’a dit, mais la fracturation a changé la donne. Cette technique a transformé le marché de l’énergie.
Les Etats-Unis semblent maintenant posséder, selon les estimations, des réserves de gaz naturel pour une période de 100 ans. Rappelons le : les gaz de schiste constituent à l’heure actuelle les plus propres des combustibles fossiles. Cette énergie « propre » est aujourd’hui une source d’énergie moins chère et qui remplace déjà de plus en plus les vielles et polluantes centrales à charbon. Il pourrait servir d’appoint idéal, affirme par exemple Amy Jaffe, de l’université de Rice, jusqu’à ce que les sources renouvelables comme l’éolien et le solaire soient matures.
Plus d’indépendance énergétique grâce aux gaz de schiste
L’exploitation des gaz de schiste a produit plus d’un demi-million de nouveaux emplois, non seulement dans les Etats traditionnellement riches en ressources naturelles comme le Texas, mais aussi dans des lieux économiquement en grosse difficulté comme la Pennsylvanie occidentale et, bientôt, l’Ohio. Si les tendances actuelles se poursuivent, il y a des centaines de milliers de nouveaux emplois à venir. Les entreprises chimiques s’appuient fortement sur le gaz naturel, et l’abondance de cette nouvelle source a conduit des entreprises comme Dow Chemical à investir aux États-Unis plutôt qu’à l’étranger.
La société française Vallourec a entamé la construction d’une usine de 650 millions de dollars à Youngstown, dans l’Ohio, pour faire des tubes en acier pour les puits. Des états comme la Pennsylvanie, l’Ohio et New York vont récolter des milliards de dollars de recettes supplémentaires dans les années à venir. Les consommateurs en profitent également : Aujourd’hui, le prix du gaz naturel a baissé de moitié depuis trois ans. Au rayon des avantages, l’Amérique est moins dépendante de fournisseurs étrangers, ce qui stratégiquement n’est pas rien…
Toutes ces bonne nouvelles appellent bien sûr, comme toujours, leur lot d’inconvénients. Les Etats-Unis sont aujourd’hui polarisé entre le « forons et forons encore » des conservateurs, qui semblent avoir une hantise de toute forme de réglementation, et certains environnementalistes, qui semblent considérer les combustibles fossiles comme « moralement corrompus », imaginant que nous pouvons passer à l’exploitation efficace du vent et l’énergie solaire du jour au lendemain.
La révolution des gaz de schiste met d’autres industries en difficulté : ainsi, l’industrie du charbon est en concurrence directe avec celle des gaz de schiste. Aussi, la rentabilité des centrales nucléaires est très largement remise en question par celle de l’exploitation des gaz de schiste. Les changements sont aussi considérables en ce qui concerne les modèles économiques des entreprises tournées vers les énergies renouvelables, dont la viabilité se trouve de moins en moins assurée. Des « forces » se sont donc rassemblées, au fur et à mesure, contre les gaz de schiste, avec les conséquences que l’on peut imaginer.
Les militants du « pas de ça chez nous » se battent pour éviter ou faire suspendre les explorations, pendant que les écologistes crient à l’apocalypse pour mobiliser et faire peur.
Les contaminations causées par des entreprises malhonnêtes
Comme chaque source d’énergie, la fracturation a ses dangers. Le processus consiste à injecter de grandes quantités d’eau et de produits chimiques en profondeur. Si c’est bien fait, cela ne doit pas contaminer les réserves d’eau douce, mais des entreprises malhonnêtes ont réalisé ces fracturations de manière complètement sauvage et on a observé des cas de contamination du sous-sol.
Les puits, qui sont parfois sous des zones résidentielles, sont desservis par de gros camions qui endommagent les routes et dénaturent les quartiers résidentiels. Quelques entreprises peu scrupuleuses pourraient ainsi discréditer l’ensemble du secteur.
Ces problèmes sont réels, mais pas insurmontables. Une étude exhaustive de l’Institut de Technologie du Massachusetts a conclu qu’avec les 20 000 puits de schiste forés dans les 10 dernières années, le bilan environnemental des gaz de schistes est « globalement acceptable ». En d’autres termes, les risques inhérents à l’exploitation peuvent être gérés s’il existe un régime réglementaire raisonnable, et si le grand public a une notion équilibrée et réaliste des coûts et des avantages.
Ce type d’équilibre est exactement ce que notre système politique ne permet pas. Jusqu’à présent, l’administration Obama a fait un bon – et délicat – travail en essayant de promouvoir la fracturation alors qu’il enquêtait par ailleurs sur ses inconvénients. Le grand public, pour sa part, semble porter peu d’intérêt pour la percée, chez les exploitants, de cette technique de fracturation (même si cela pourrait avoir un impact majeur sur l’économie du 21e siècle).
La discussion est dominée par les intérêts personnels et les positions extrémistes. Il devient une arme dans les guerres politiques, avec les Républicains vantant les mérites de la fracturation hydraulique, et des Démocrates faisant l’objet de pressions pour dénoncer la fracturation comme un procédé dangereux et ultra polluant. Ainsi, dans le Nord-Est des Etats-Unis, les compagnies exploitant les gaz sont diabolisées continuellement et sans relâche.
Il y a quelques semaines, j’ai rencontré John Rowe qui est une des personnes les plus dignes de confiance dans le secteur de l’énergie aux Etats-Unis, pour l’écouter parler de cette manne. Il n’a aucun intérêt personnel à cet égard : en effet, son entreprise pourrait être lésée financièrement par la généralisation de la fracture hydraulique. Mais il sait combien l’exploitation des gaz de schiste pourrait signifier pour l’Amérique. Ce serait un crime pour nous de dilapider cette bénédiction.
Par David Brook
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