Si dans notre vie de tous les jours la matière peut se trouver sous trois états différents (solide, liquide et gazeux), la réalité est bien plus complexe, notamment lorsque les conditions deviennent extrêmes. L’état plasma apparaît ainsi lorsqu’on augmente drastiquement les températures, alors que si on les fait descendre jusqu’à ce qu’elles frisent le zéro absolu, la mécanique quantique nous prédit des phases encore plus exotiques. La matière peut ainsi devenir superfluide ou encore supersolide, deux états quantiques qui ont été décrits pour la première fois respectivement en 1937 et 1969.
Supersolide : le chat de Schrödinger de la matière
Un superfluide se caractérise ainsi comme un fluide ayant une viscosité nulle, et qui, une fois agité, développe des tourbillons (vortex) capables de tourner indéfiniment, aucune friction n’entraînant de perte d’énergie cinétique. Prédite ultérieurement, la supersolidité se définit quant à elle comme un état où la matière se structure sous une forme cristalline, ordonnée et solide, qui cependant se comporterait comme un superfluide. Une fraction des atomes serait en effet capable de fluer sans friction au sein du réseau cristallin rigide qui définit le supersolide. Celui-ci représenterait ainsi une sorte de chat de Schrödinger de la matière, à la fois extrêmement rigide et extrêmement fluide. Une dualité qui peut sembler difficile à appréhender dans notre monde régi par la physique classique, mais dont l’existence vient pourtant d’être démontrée en laboratoire, à l’issue de plusieurs années de recherche minutieuse.
Une équipe menée par Francesca Ferlaino, physicienne au Département de Physique Expérimentale de l’Université d’Innsbruck et à l’Institut d’Optique Quantique et de l’Information Quantique de l’Académie des Sciences autrichienne, a en effet réussi à franchir une étape majeure dans la caractérisation de cet état supersolide. Les chercheurs ont réussi à créer et à observer en laboratoire des vortex au sein de supersolides dipolaires, en combinant modèles théoriques et expériences de pointe. Il faut préciser que l’équipe n’en est pas à sa première réussite dans le domaine. En 2021 déjà, elle réussissait pour la première fois à créer le tout premier supersolide « pérenne » en deux dimensions, à partir d’un gaz composé d’atomes d’erbium porté à très basse température. Un exploit technique qui a permis d’observer la structure cristalline de cet état quantique et a ouvert la voie à l’étape ultérieure : produire une perturbation au sein de ce supersolide pour en étudier le comportement.
Une première confirmation expérimentale d’un comportement superfluide
Afin de créer les vortex tant attendus, les chercheurs ont ainsi appliqué un champ magnétique pour faire doucement fluer un supersolide obtenu par refroidissement d’un gaz d’atomes de dysprosium, en prenant soin de ne pas dégrader ce fragile état. Comme prévu par les modèles théoriques, l’équipe a ainsi pu observer la formation de plusieurs tourbillons, confirmant pour la première fois de manière expérimentale le comportement superfluide des supersolides. Mais les résultats ne s’arrêtent pas là.
Les données, publiées dans la revue Nature, révèlent comment les deux états, supersolide et superfluide, coexistent et interagissent lorsqu’un supersolide est soumis à une agitation. Les observations montrent en effet que ce n’est pas un seul, mais bien plusieurs vortex disposés suivant un schéma régulier, qui se développent au sein du supersolide, chacun tournant à une vitesse spécifique.
Des implications dans de nombreux domaines et notamment dans le développement d’outils quantiques
Ces résultats très novateurs sur les propriétés de l’un des états les plus étranges de la matière pourraient avoir des implications dans le champ de la technologie quantique, et tout particulièrement pour le développement de l’informatique quantique supraconductrice. Les vortex observés lors de ces expériences sur les supersolides sont en effet assez analogues à ceux qui affectent les superconducteurs, où ils influencent les propriétés magnétiques et électriques de ces matériaux. Comprendre la formation et la dynamique de ces vortex est donc primordial pour stabiliser les matériaux superconducteurs et donc augmenter les performances des appareils quantiques, comme l’explique The Quantum Insider. En permettant de simuler en laboratoire des comportements de la matière qui se produisent normalement dans des conditions extrêmes, cette étude pourrait aider également à comprendre les processus quantiques se produisant au cœur des étoiles à neutron. Les changements de vitesses de rotation observés au sein de ces astres qui résultent de l’effondrement d’une étoile massive pourraient en effet être liés à des vortex superfluides, comme l’explique dans un communiqué Thomas Bland, co-auteur de l’étude.
Par Morgane Gillard
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