[Tribune de Raymond Bonnaterre]Au travers de divers commentaires exprimés dans les médias de notre pays, il ressort une vision assez partagée de l’état du monde qui me semble erronée. C’est celle qui généralise au reste du monde les difficultés économiques objectives de notre pays, avec un regard déformé par le malthusianisme et le pessimisme militants de certains de nos concitoyens.
Les convictions locales que traduit de façon la plus pertinente ce pessimisme de rigueur, semblent provenir d’un mode de pensée scientiste, proche de l’écologisme ambiant, et qui voudrait régir le mode de vie de nos contemporains à partir du concept de finitude du monde et d’épuisement imminent affirmé de ses ressources naturelles.
Un exemple schématique peut illustrer ce mode de pensée, c’est le concept de peak-oil vérifié à l’échelle des champs de pétrole californiens les plus anciennement exploités et qui a été improprement généralisé par certains à l’ensemble du monde, assimilé à une vaste Californie, tentant d’extraire les dernières gouttes d’hydrocarbure à l’aide de vieux derricks poussifs.
Cette vision simpliste et restrictive des ressources énergétiques de la planète, passant par zéro l’exploitation des gaz et des huiles de schistes, hostile aux biocarburants, ignorant les possibilités de substituabilité des sources d’énergie entre elles et de synthèse de combustibles liquides à partir de gaz naturel, de charbon, de biomasse ou même de CO2 (mais oui) est exemplaire de ce mouvement dirigé, malgré les apparences, plus par l’émotion que par la raison.
La ruée quasi mystique de certains pays européens (Espagne, Allemagne) vers les énergies renouvelables intermittentes subventionnées par dizaines de milliards d’euros, comme l’éolien ou le photovoltaïque, au mépris des contraintes de gestion financière des deniers de l’Etat les plus élémentaires et des règles communes de maintien d’une saine concurrence, au sein d’une économie de marché en place, illustre le caractère émotionnel de certaines décisions politiques dans ce domaine. A cela s’ajoute, dans le cas de l’Allemagne, la peur du nucléaire, ressource énergétique encore largement mise en œuvre mais qui devrait être un jour bannie de ce pays, tout en restant largement tolérée dans les pays voisins (France, Tchéquie, Suède), fournisseurs d’énergie électrique à bon-marché.
Mais à côté de ces angoisses et de ces comportements un tant-soit-peu schizophréniques, il existe une large part du monde, plutôt située autour du Pacifique, qui avance à grands pas, sans se soucier des soi-disant limites angoissantes des ressources naturelles, persuadée qu’elle va modifier en sa faveur l’équation économique qui la concerne. Je voudrais ici présenter quelques indicateurs qui illustrent l’avance de ce monde, très éloigné des frissons européens.
Le premier indicateur pertinent est démographique. Les projections des Nations Unies sur l’évolution des populations durant ce XXIème siècle montrent une population européenne qui se stabilise puis se contracte (FIG.I). De 740 millions de pingouins en 2010 elle devrait se retrouver vers les 640 millions à la fin du siècle dont un tiers aurait plus de 60 ans. Population vieillissante, effarée par l’évolution du monde, tombée sous le charme des théories apparemment bienveillantes du repli sur soi, de la frugalité et de la précaution. Dans un mouvement d’ensemble de pensée, où tout va de pair, du « précautionnisme » de droite au retour vers la frugalité écologique, aux racines altermondialistes.
Les populations européennes se recroquevillent sur leurs dernières idéologies à la mode, avec bonne conscience, sans que nul ne dénonce cet air du temps de plus en plus proche de la sénilité collective. Elles ont peur de manquer mais est-ce de ressources ou d’idées ? Emotions incontrôlables de personnes âgées (aisées) qui ne comprennent plus le monde. Rappelons cependant que le Cuivre peut-être avantageusement remplacé par de l’Aluminium dans ses applications électriques courantes, que les abondantes ressources de Lithium dans le monde permettront de produire plus d’un milliard de batteries recyclables pour véhicules électriques, que les minerais des 14 terres rares sont largement répandus sur terre, mais associés à des éléments radioactifs ce qui explique leur origine aujourd’hui presque exclusivement chinoise. Le monde ne manque de rien, le ciel ne lui tombera pas sur la tête, même si l’arrangement génétique (ou épi génétique) des connexions de nos neurones d’occidentaux aisés nous persuade du contraire.
figure.1 : populations mondiales par grands continents depuis 1950 et projection jusqu’en 2100
En face de cette crispation collective européenne, l’Asie connait en ce moment un profond essor économique et démographique, avec ses mauvais côtés de pollution des fleuves et de l’air qu’il faudra corriger. Le Fogg de Londres dans les années cinquante valait bien celui de Pékin d’aujourd’hui. La décision de mettre fin à la politique de l’enfant unique en Chine illustre cet optimisme ambiant et cette volonté de devenir le plus puissant pays du monde. Les grands pays asiatiques atteindront rapidement, en quelques décennies, un statut de pays hautement développé et se mettront, peut-être, alors, à douter à leur tour. C’est l’Afrique, forte de ses hommes et femmes et de ses ressources agricoles et intellectuelles qui devrait prendre le relai du développement mondial durant la deuxième moitié du siècle. Une condition nécessaire à cet essor africain, cependant, que les dirigeants africains par certains excès, ne fassent pas fuir les détenteurs étrangers de technologies et de capitaux désirant s’investir dans leur pays.
Un autre indicateur de la progression du niveau de vie moyen dans le monde me semble être la consommation d’huiles végétales, servant à l’élaboration sophistiquée et répandue, de divers plats cuisinés familiaux ou industriels.
Les productions d’huiles végétales, selon la FAO, ont atteint les 160 millions de tonnes en 2012. Ces masses ont été multipliées par huit en 50 ans grâce, entre autres, au développement des plantations de palmier à huile. Rapportées à la population mondiale, chaque terrien consomme aujourd’hui en moyenne 25 litres d’huile par an, soit quatre fois plus qu’en 1961. (FIG.II). Bien sûr, nombreux de nos contemporains locaux abhorrent l’huile de palme, disqualifiée par son rapide développement incompréhensible pour eux et par un marketing commercial négatif de basse moralité.
figure.2 : Productions mondiales moyennes annuelles d’huiles végétales en litres par habitant
Un autre indicateur pertinent de l’accroissement du niveau de vie mondial concerne la consommation de produits dérivés du pétrole, associée aux transports individuels et collectifs, à la pétrochimie et plus largement au développement industriel.
figure 3 : Consommations mondiales de produits raffinés de pétrole et de biocarburants
La consommation mondiale de liquides dérivés du pétrole et de biocarburants, tirée par l’Asie, progresse annuellement d’un million de barils par jour. Les projections des grands organismes en charge du suivi des questions énergétiques telles que l’EIA américaine ou l’IEA de l’OCDE confirment le maintien de cette tendance pour les années à venir.
Cette progression des consommations des produits dérivés du pétrole et de leurs ersatz explique pour une part le maintien des prix mondiaux du pétrole brut, malgré les opinions de multiples prévisionnistes qui incitent, sans succès, à jouer ces cours à la baisse. Ne croyez, surtout pas, à une baisse imminente des cours mondiaux du pétrole, même si certains boursicoteurs vous l’affirment! Le développement du monde, la fugacité relative de la ressource qu’il faut inlassablement renouveler (en investissant pour contrer une « déplétion » annuelle de 4 à 5 millions de barils par jour), ses prix de transport onéreux, nécessitent des cours à plus de 100 dollars le baril pour en assurer une saine exploitation, surtout pour les nappes ou les formes marginales les plus ingrates qui déterminent les cours.
Un autre paramètre d’importance, relié au précédent, permet d’apprécier la croissance du niveau de vie mondial. C’est l’ampleur du parc de véhicules routiers. Sur la base d’une croissance annuelle de ce parc estimée à 40 millions de véhicules en 2012 et à 41,5 millions en 2013, le parc mondial de véhicules routiers en fin 2013 peut être estimé voisin de 1, 18 milliard de véhicules. L’Asie, l’Océanie et le Moyen-Orient doivent héberger le tiers environ du total. (FIG.IV).
Pour l’IEE japonaise, le parc mondial de véhicules à moteur sur la base d’une croissance annuelle de 2,3% par an devrait atteindre les 2 milliards d’exemplaires en 2040. Cette croissance moyenne entre 2005 et 2011 ayant atteint les 3,5% selon l’OICA, il est fort probable que les deux milliards d’exemplaires seront atteints bien avant 2040.
figure.4 : Evolution du parc mondial de véhicules routiers (OICA) en milliard d’unités
En conclusion, les quelques exemples choisis ici de consommations d’huiles végétales, de produits pétroliers et d’évolution de l’ampleur du parc automobile mondial montrent que l’histoire du monde se poursuit (malgré sa fin annoncée hâtivement) avec un formidable basculement en cours du leadership des nations de l’occident transatlantique de l’après-guerre vers celles des rives du Pacifique. Le monde vu du Pacifique représente très mal les peuplades européennes éloignées tout à fait en haut à gauche de la carte. C’est ainsi qu’il faut voir le monde de demain, ce qui ne peut que renforcer notre pessimisme local.
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