Les résultats des élections espagnoles du 20 décembre dernier n’ont pas permis de dégager une majorité claire. Pour l’heure, nul ne peut prédire qui dirigera le pays et encore moins quelle sera sa politique.
Victoire en trompe l’œil
Pour la première fois depuis les élections libres, aucun des deux grands partis politiques ne s’est imposé. Les conservateurs (PP) arrivent en tête du scrutin avec 123 sièges, soit 28,7% des voix, en nette baisse par rapport à 2011 (le PP avait réuni 44,6%). Les socialistes obtiennent 22% des voix et 90 sièges au Congrès. Des résultats très décevants pour les deux partis. Et pour cause, ils ont vu éclore deux nouvelles forces politiques devenues incontournables. Le PSOE est concurrencé sur sa gauche par Podemos, un parti né il y a 3 ans du mouvement des Indignés. Décidé à mettre fin aux politiques d’austérité menées dans le pays depuis la double crise immobilière et économique, Podemos a su convaincre nombre d’Espagnols qui se sentent sacrifiés sur l’autel des coupes budgétaires. Le Parti d’extrême-gauche a presque fait jeu égal avec le PSOE, mais a obtenu moins de députés (69) en raison des particularités du système électoral. Enfin, Ciudadano’s (centre-droit) déçoit quelque peu les attentes avec 40 sièges. Dans cette configuration très particulière, aucun parti, même allié à sa formation politique la plus proche (PP/C’s ou PSOE/Podemos), n’obtient la majorité absolue de 175 députés. Les sièges restants (28) sont attribués à des formations régionales telles que ERC-CATSI (Catalan) ou encore Coalition des Canaries. La future majorité sera composée d’ici le 13 janvier prochain, date de formation de la nouvelle assemblée. Le chef de gouvernement devra pour cela composer avec différentes tendances pour construire une majorité parlementaire solide. Ainsi, pour la première fois outre-Pyrénées, le parti qui n’a pas terminé en tête du vote (le PSOE) pourrait néanmoins diriger le pays à la faveur de combinaisons politiques. Si aucune majorité n’est trouvée, la Constitution prévoit qu’un nouveau scrutin devra être organisé.
Fin du bipartisme
Cette élection a un caractère historique. Aucun des deux grands partis (le PP et le PSOE) ne s’est clairement imposé et la montée en puissance de Podemos, et dans une moindre mesure Ciudadano’s, a mis à bat le bipartisme qui était la règle depuis la chute du Franquisme et l’avènement de la démocratie en 1975. Si les jeunes élus de Podemos et C’s participent à renouveler une classe politique espagnole vieillissante, ils modifient également de nombreux rapports de force. Désormais dominée au niveau national par quatre partis, la vie politique va se complexifier avec des coalitions de circonstances. C’est notamment le cas sur la politique énergétique. Si tous les partis appellent à « un Pacte d’Etat sur l’énergie », une obscure expression reprise tous les quatre ans lors des élections, ils divergent en revanche sur de nombreux aspects. De fait, la fin du bipartisme en Espagne a considérablement complexifié l’équation énergétique du pays.
L’atome en question
Jusqu’alors, l’opposition droite/gauche avait un sens dans le secteur énergétique espagnol. Les conservateurs prônaient une plus grande libéralisation des marchés de l’énergie (électricité, gaz, carburants), un développement des énergies renouvelables sans soutien public ou presque, et la poursuite de l’énergie nucléaire. Les réformateurs outre-Pyrénées critiquaient la libéralisation excessive des marchés de l’énergie (mais l’acceptent dans le cadre européen), souhaitaient la fin progressive du nucléaire et considèrent qu’il faut soutenir les énergies renouvelables pour qu’elle deviennent la principale source d’énergie à un horizon plus ou moins lointain. Ceci était le schisme idéologique de l’échiquier politique espagnol, que l’on peut d’ailleurs retrouver dans d’autres pays européens.
Cette opposition a quelque peu volé en éclat avec l’avènement de Podemos et de Ciudadano’s en particulier. Ainsi, la formation de centre-droit appelle, à l’instar du PSOE et Podemos, à la fermeture des centrales nucléaire en fin de vie utile (40 ans). Une position qui isole le PP, désormais le seul parti politique espagnol significatif à prôner la poursuite de l’atome. Il s’agit d’un sujet qui revient régulièrement sur la table, en raison de l’Almacén Temporal Centralizado, un site de stockage des déchets nucléaires situé à Villar de Cañas (Cuenca) dont la construction est régulièrement retardée à cause de l’opposition des communautés locales. Le Royaume dispose d’un parc de huit centrales nucléaires (cinq en fonctionnement cumulant sept réacteurs) dont les licences d’exploitation expirent prochainement (trois en 2020, trois l’année suivante et une en 2024). Il reviendra donc au prochain gouvernement et au suivant de statuer sur le futur de ces installations, et notamment sur le cas de Santa María de Garoña, la doyenne des centrales, actuellement à l’arrêt pour « raisons administratives ». Le rapport de force politique semble désormais pencher vers l’abandon progressif de l’atome. Pour autant, le lobby nucléaire garde des relais importants à Madrid et rappelle à l’envi qu’avec seulement 7,3% des capacités installées, il a produit un peu plus de 20% de l’électricité consommée dans le pays en 2014.
Brouillard
Le nucléaire n’est pas la seule énergie à l’avenir incertain. Les acteurs des énergies renouvelables ne savent plus à quel saint se vouer. L’Espagne a été, avec l’Allemagne, un leader européen des énergies vertes, solaire et éolien en tête. Le Royaume a ainsi installé plus de 3 300 Mégawatts-crête (MWc) de panneaux photovoltaïques en 2007 et 2008. Ce développement massif de l’énergie solaire a été permis par l’introduction d’un mécanisme de tarif d’achat similaire à celui de l’Hexagone. Las ! L’explosion des demandes de raccordement a considérablement alourdi le coût de cette mesure dédiée aux énergies renouvelables creusant un peu plus le fameux « déficit tarifaire » (différence entre les coûts et les revenus du secteur électrique). Arrivé au pouvoir en 2011, Mariano Rajoy a opéré des coupures drastiques dans les subventions, permettant de rééquilibrer le système, mais au prix d’une casse sociale estimée à plus de 45 000 emplois selon l’Unef, une association professionnelle du secteur.
Cette problématique s’est invitée au cœur de la campagne électorale avec l’annonce en novembre de la cessation de paiement d’Abengoa, l’un des fleurons espagnols de l’industrie solaire. Si la procédure de conciliation en cours avec ses créanciers n’aboutit pas, ce serait la plus grande faillite de l’histoire du pays. Le ministre de l’Economie a laissé entendre qu’un nouveau partenaire entrerait dans le capital pour rassurer les banques qui ont mis le groupe sous tutelle. Pour autant, la compagnie est devenue le symbole d’une filière fragilisée par le retrait du soutien public, mettant dans l’embarras le gouvernement conservateur sortant. Celui-ci devrait être amené à d’importants sacrifices s’il veut conserver le pouvoir. La politique énergétique pourrait bien être l’un d’eux.
Par Romain Chicheportiche
Réagissez à cet article
Vous avez déjà un compte ? Connectez-vous et retrouvez plus tard tous vos commentaires dans votre espace personnel.
Inscrivez-vous !
Vous n'avez pas encore de compte ?
CRÉER UN COMPTE