Chaque année, près de 5 200 tonnes de micrométéorites atteignent le sol de notre planète. Voici le résultat d’un programme international mené depuis près de 20 ans dont les découvertes ont été publiées récemment dans la revue Earth & Planetary Science Letters. Cécile Engrand est cosmochimiste, chercheuse au laboratoire IJCLab de l’Université Paris-Saclay (CNRS/IN2P3) et spécialiste de l’analyse de ces micrométéorites. Coauteure de cette étude, elle nous en dit plus sur les micrométéorites et l’intérêt de les étudier. Entretien.
Techniques de l’Ingénieur : Qu’est-ce qu’une micrométéorite ? Quelle est la différence avec une étoile filante ?
À quoi ressemble donc une micrométéorite ?
Les micrométéorites sont des assemblages de petits minéraux et de matière organique. La plupart des micrométéorites comptent environ 2 % de carbone, le reste étant constitué d’assemblages de petits minéraux. Les minéraux les plus abondants dans les météorites sont des silicates et les sulfures de fer. Certains d’entre eux existent sur Terre, comme des olivines ou des pyroxènes, mais leurs compositions sont différentes de celles de la matière extraterrestre.
Les petits minéraux individuels – des « grains » d’une taille d’environ 50 à100 nm – se sont formés au tout début de la formation du système solaire il y a 4,5 milliards d’années. Ils se sont directement formés à partir du gaz qui était autour du Soleil à ce moment-là, ou ils ont été hérités du nuage pré-solaire qui a servi à former le système solaire. Ces grains se sont collés mécaniquement les uns aux autres jusqu’à former une particule un peu plus grosse et ils sont ainsi restés ensemble depuis 4,5 milliards d’années. C’est cette matière qui a servi à former les planètes, par accrétions successive. Certaines poussières ont échappé à la formation planétaire, et ce sont celles-ci que l’on étudie.
D’où viennent les micrométéorites ?
Les micrométéorites proviennent de la ceinture d’astéroïdes, entre Mars et Jupiter, et des comètes. Et il y a plusieurs types de comètes : celles qui ont été capturées par Jupiter et des comètes qui viennent de beaucoup plus loin, par exemple du nuage de Oort.
Si on résume, on trouve trois populations de grains dans les micrométéorites. D’abord, celles qui viennent probablement des comètes proches : elles contiennent principalement des silicates et un peu de carbone. Puis, il y a celles qui viennent des comètes de plus loin dans le système solaire, et qui contiennent plus de carbone (les micrométéorites « ultra-carbonées »). Et enfin, il y a des particules qui sont directement reliées aux météorites et qui proviendraient des astéroïdes. Rappelons qu’une météorite est un caillou qui vient de l’espace, de taille centimétrique ou plus : nous avons des évidences qu’elles viennent de la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter.
Mais attention : les micrométéorites ne sont pas de la poussière de météorite ! Si vous prenez une météorite et que vous la réduisez en poudre, vous n’obtenez pas des micrométéorites. Il y a certes des ressemblances, mais dans les micrométéorites, les minéraux sont plus petits et les abondances divergent. La mission spatiale japonaise Hayabusa 2 a rapporté sur Terre des échantillons d’un astéroïde en décembre 2020. L’été prochain, Paris-Saclay en analysera une partie pour comparer ces échantillons avec les micrométéorites. Cela devrait nous permettre d’en savoir plus.
Quelles analyses fait-on sur les micrométéorites ?
Il y a plusieurs analyses possibles. La condition préalable est de préparer les échantillons de manière différente. Chaque micrométéorite sera ainsi fragmentée en plusieurs morceaux. Par exemple, une particule de 100 micromètres sera fragmentée en trois. Sur chaque morceau, nous pourrons faire des analyses complémentaires. La première est au microscope électronique à balayage avec un détecteur de rayons X pour être sûr qu’il s’agit bien d’une micrométéorite et pour identifier son type. Ensuite, nous faisons des sections ultra-minces sur un autre fragment pour l’observer au microscope électronique en transmission. Cela permet de caractériser la minéralogie à une échelle plus fine et de regarder les grains de l’ordre de 50 nanomètres. Nous pourrons ainsi caractériser tous les grains individuels qui se sont collés les uns aux autres pour former les micrométéorites.
Il est aussi possible de faire des analyses isotopiques pour mesurer et caractériser l’histoire de la particule depuis qu’elle a été formée. Nous pouvons aussi faire de la microscopie infrarouge pour caractériser les assemblages minéraux et organiques. À l’Université Paris-Saclay, nous avons la chance d’avoir eu l’invention de la nanospectroscopie infra-rouge par Alexandre Dazzi il y a une quinzaine d’années. Cette technique permet d’investiguer la composition minérale et organique à l’échelle de quelques dizaines de nanomètres. D’autres techniques nécessitent la destruction de la particule : c’est par exemple le cas si l’on veut caractériser les acides aminés en chromatographie en phase liquide.
Qu’est-ce que les micrométéorites nous apprennent sur la Terre primitive ?
Ce qui nous intéresse est de comprendre comment ces petites particules se sont formées, comment les grains se sont collés les uns aux autres et comment les poussières ont évolué. Cela nous donne des informations sur les mécanismes qui étaient là au tout début de la formation du système solaire.
Un autre axe de recherche porte sur les micrométéorites ultra-carbonées, environ 1 % des micrométéorites que l’on découvre. Contrairement aux plus répandues, elles sont dominées par de la matière organique. On pense qu’elles viennent de très loin, des régions de formation des comètes. L’apport extraterrestre de matière organique sur la Terre primitive, il y a environ 4 milliards d’années, est quelque chose qui est vraiment regardé très sérieusement. Ce qui nous intéresse est de trouver dans ces micrométéorites des composés organiques qui auraient pu participer à l’apport prébiotique sur la Terre primitive.
Les acides aminés en particulier sont intéressants, et on les trouve dans la matière extraterrestre. C’est une preuve que la chimie complexe qui est capable de former ces molécules peut se faire ailleurs que sur Terre, y compris sur les astéroïdes et les comètes. L’apport en acides aminés via les micrométéorites a pu participer à l’inventaire de la matière qui a participé à former la vie. Mais attention : on ne va pas dire que la matière extraterrestre ou les météorites ont apporté la vie sur Terre ! En revanche, on dit que cet apport extraterrestre pouvait contenir des composants qui ont pu servir à la chimie complexe à ce moment-là et qui ont aidé à aboutir à l’apparition de la vie.
Photo Une : spherule cosmique © J. Duprat C./Engrand, CNRS
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