Ermium Therapeutics est le fruit des travaux de recherche menés par l’équipe Chimie et biologie, modélisation et immunologie pour la thérapie, depuis sa création en 2012 au sein du Laboratoire du CNRS Chimie et biochimie pharmacologiques et toxicologiques (LCBPT) de la Faculté biomédicale des Saints-Pères (Université Paris Cité). Sur la base de travaux menés antérieurement par son fondateur, le Dr Jean-Philippe Herbeuval, l’équipe de chercheurs est en effet parvenue à comprendre comment une molécule, développée au départ en tant qu’antihistaminique, parvient à bloquer la production d’interférons. En agissant au niveau d’un récepteur cellulaire qui n’est autre que le corécepteur du VIH, cette molécule aux caractéristiques particulières entraîne en effet le déclenchement d’un signal, qui va à son tour bloquer la réponse interféron, mais aussi l’inflammation. Le tout sans perturber les fonctions naturelles de ce récepteur, et donc sans effets secondaires majeurs.
L’équipe se concentre ainsi désormais sur le développement de dérivés de cette molécule, dans le but d’en augmenter encore un peu plus l’efficacité, tout en s’assurant d’une toxicité la plus faible possible. Une perspective particulièrement prometteuse, qui a ainsi attiré des scientifiques de renom.
Outre sa douzaine de salariés, Ermium Therapeutics bénéficie en effet depuis février dernier d’un conseil scientifique (Science advisory board, ou SAB) particulièrement prestigieux : Piet Wigerinck, ex-directeur scientifique de Galapagos, biotech elle aussi spécialisée dans le développement de molécules innovantes ; Martine Smit, professeure de biochimie à la faculté des sciences de l’Université libre d’Amsterdam ; Graeme Milligan, directeur adjoint de la Faculté des sciences médicales, vétérinaires et de la vie de l’Université de Glasgow ; ou encore Michel Bouvier, directeur général de l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie (IRIC) de l’Université de Montréal. Un panel auquel s’ajoute, donc, celui par qui tout a commencé, le Dr Jean-Philippe Herbeuval, Directeur de recherche au CNRS et co-fondateur d’Ermium Therapeutics. Le chercheur et entrepreneur lève le voile sur la genèse de la jeune pousse qui, après un financement initial de 6,3 millions d’euros, a annoncé en juin dernier une nouvelle levée de fonds qui n’a permis rien de moins que de doubler la mise.
Techniques de l’Ingénieur : Avant d’en venir à la naissance d’Ermium Therapeutics, pouvez-vous tout d’abord nous dresser un panorama de la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement vis-à-vis des maladies auto-immunes ?
Dr Jean-Philippe Herbeuval : Le nombre de maladies auto-immunes est en forte progression. On a rarement vu ça. Le lupus, par exemple, n’est plus considéré comme une maladie rare depuis trois ans. Ce n’est pas un bon signal… Les maladies auto-immunes constituent un ensemble de près de 300 pathologies et on en découvre de nouvelles presque tous les ans. Les solutions thérapeutiques restent rares. Il est certes possible d’utiliser les corticoïdes ou l’hydroxychloroquine, mais leurs effets négatifs à long terme sont très importants. On a aussi les anticorps, ce que l’on appelle aussi les biothérapies, qui fonctionnent plutôt bien, mais qui ne bloquent qu’un seul facteur inflammatoire, là où les maladies auto-immunes sont multiparamétriques. De plus, ces molécules sont très coûteuses à produire et sont administrées par voie intraveineuse. Le développement d’un traitement efficace contre une maladie auto-immune telle que le lupus devient donc urgent. Or, pour l’heure, aucun médicament ne fonctionne de manière entièrement satisfaisante… Il est donc urgent de se tourner vers une autre solution, et notamment la médecine de précision.
Comment Ermium Therapeutics a-t-elle vu le jour ? Quel a été votre parcours avant d’aboutir à la création de cette start-up ?
Lors de mon post-doctorat réalisé à partir de 2001 aux États-Unis au sein du NIH[1] – le plus grand centre de recherche biomédicale au monde, basé près de Washington D.C. –, j’ai tout d’abord travaillé sur des molécules qui s’appellent les interférons[2]. Nous avons tous déjà eu l’expérience de leurs effets : dans le cas de la grippe par exemple, ce sont eux qui sont responsables de la fièvre, des douleurs, ou encore de l’accélération du rythme cardiaque… Ils mettent le corps en état de choc. Ces molécules font partie des plus puissantes que nous ayons dans notre corps. Elles sont en effet capables d’activer entre 300 et 600 gènes. Il n’existe aucune autre molécule capable de faire cela dans l’organisme.
Au cours de mes cinq années passées aux États-Unis, j’ai découvert que les interférons de type I pouvaient avoir un effet délétère, notamment dans le cadre d’une infection par le VIH. Pour être plus précis, j’ai travaillé sur les cellules qui produisent ces interférons, les cellules dendritiques plasmacytoïde, ou pDCs, pour Plasmacytoid dendritic cells. Elles ont été découvertes en 1999, et j’ai commencé mes recherches au NIH en 2001… On était donc au tout début de l’étude de ces cellules. Ces pDCs produisent mille à dix mille fois plus d’interférons que n’importe quelle autre cellule du corps. Ce sont des super-productrices d’interférons. Dans le cadre de mes recherches autour du VIH, j’ai découvert que l’excès d’interférons induit un trouble que les patients infectés par le VIH connaissent bien : une lymphopénie, c’est à dire la mort des lymphocytes T.
Après ces cinq années passées aux États-Unis, je suis rentré en France, où j’ai décroché le concours du CNRS en 2006. Je suis alors entré à l’hôpital Necker de Paris, avec comme objectif principal de découvrir des voies pour bloquer ces pDCs, et donc la production d’interférons.
Au cours de mes derniers mois passés aux États-Unis, j’avais aussi découvert que, de manière un peu surprenante, l’histamine[3] a un effet immunorégulateur sur la production des interférons par les pDCs. Or, l’équipe de Necker dans laquelle j’ai été recruté, dirigée à l’époque par Michel Dy, était spécialiste, entre autres, de l’histamine. Ma petite découverte a priori un peu anodine est ainsi devenue un véritable sujet de recherche.
Grâce aux travaux qui ont suivi, nous avons tout d’abord pu confirmer que l’histamine bloquait effectivement la production d’interférons par les pDCs. Puis nous avons découvert qu’un analogue de l’histamine – une molécule « miracle » baptisée CB[4], développée au départ en tant qu’antihistaminique – avait aussi un effet anti-interférons. Elle est donc devenue notre molécule de référence, et ce depuis plus de dix ans maintenant. Elle est en effet extrêmement stable. Elle a, de plus, été très bien étudiée sur le plan pharmacologique. Il s’agit donc de la molécule à la base de toutes mes expériences.
À l’issue de ce projet passionnant mené à l’hôpital Necker, j’ai voulu mieux comprendre comment cela fonctionnait, en cherchant à découvrir le récepteur impliqué dans ce mécanisme. En 2012, j’ai donc créé l’équipe CNRS Chimie et biologie, modélisation et immunologie pour la thérapie (CBMIT), à la Faculté des Saint-Pères de Paris. Un an et demi plus tard, nous avons ainsi découvert le récepteur par lequel l’histamine et d’autres molécules de la même famille se fixent sur les cellules. Il s’agissait en l’occurrence d’un récepteur que je connaissais bien, le corécepteur du VIH : le récepteur CXCR4. C’est Nikaïa Smith, une doctorante qui travaillait à l’époque dans notre équipe et qui est sans doute l’une des étudiantes les plus brillantes que j’ai jamais connues, qui a réalisé cette découverte. Ce fut une véritable surprise. CXCR4 est en effet l’une des molécules les plus étudiées en biologie. Près de 15 000 publications lui sont consacrées. Son rôle physiologique est en effet très important : ce récepteur sert à faire bouger les cellules. Quand son ligand naturel SDF-1[5] se fixe sur CXCR4, il induit la migration des cellules. Les cellules immunitaires, bien entendu, mais malheureusement aussi les métastases, qui tirent parti de ce mécanisme pour aller coloniser l’organisme. De nombreuses études en cancérologie ont donc été réalisées pour bloquer ce récepteur CXCR4. Comme il s’agit aussi du corécepteur du VIH, de nombreuses autres études ont été réalisées pour tenter de bloquer son interaction avec le virus du SIDA.
De notre côté, ce que nous avons découvert est que la fixation de toutes petites molécules chargées positivement et composées d’un groupement amine – une monoamine – induit, non pas un blocage, mais un signal, contrairement à toutes les autres qui agissent comme des bloqueurs. Comme ces molécules sont très petites et chargées positivement, elles parviennent en effet à pénétrer plus en profondeur dans la partie extracellulaire du récepteur CXCR4. Cela leur permet donc de déclencher un signal, et c’est ce signal qui va bloquer la réponse interféron. Et même plus, puisque cela bloque aussi l’inflammation…
Nous sommes alors en 2014. Je présente à ce moment-là un projet de maturation, en vue de déposer des brevets, à ce qui s’appelait à l’époque la SATT[6] IDF Innov, aujourd’hui la SATT Erganeo. Nous avons alors l’ambition de réaliser une preuve de concept sur l’animal. Nous avons ainsi testé le CB, mais aussi une autre molécule qui déclenche également un signal anti-interférons, sur un modèle de souris atteinte de lupus[7], et ce pendant 53 jours, ce qui correspond à peu près à une douzaine d’années de traitement chez l’être humain. Et là, miracle ! Nous avons découvert que la pathologie se révèle complètement bloquée, à la fois sur le plan du mécanisme lié aux interférons, sur le plan de l’inflammation, mais aussi au niveau des auto-anticorps. Ce dernier résultat a été une très bonne surprise, plutôt inattendue…
Nous avons ainsi déposé un premier brevet. La SATT IDF Innov nous a accordé un second financement pour aller plus loin. Nous avons en effet cherché à générer des molécules originales, dérivées du CB ou de l’histamine. Cela nous a conduits à déposer deux nouveaux brevets, avec preuve de concept animale, mais aussi sur des cellules de patients humains atteints de lupus. Nos nouvelles molécules générées en laboratoire se sont révélées encore plus efficaces, tout en présentant moins de cytotoxicité. J’ai rencontré à ce moment-là, en 2018, Thierry Laugel, alors président de Kurma Partners[8], qui m’a proposé de créer une start-up.
Nous avons conclu un accord qui consistait à nous associer avec une entreprise de chimie, Domain Therapeutics, basée à Strasbourg. J’ai aussi peu de temps après, en 2019, été lauréat du concours d’innovation i-Lab, organisé par Bpifrance. Trois semaines plus tard, avec l’appui de la SATT, nous avons ainsi créé tous les trois – Thierry Laugel de Kurma Partners, Pascal Neuville de Domain Therapeutics et moi-même – Ermium Therapeutics, financée au départ à hauteur de 6 millions d’euros… Nous avons dès lors pu nous atteler au développement de tout un ensemble de molécules – un « pipeline » – à visée anti-interférons. Nous en avons pour l’heure une dizaine en vue, et notre objectif est de parvenir à en dégager deux ou trois en tant que candidats-médicaments.
Quelle approche avez-vous adoptée pour produire et progressivement affiner ces molécules particulièrement prometteuses ?
Nous sommes partis des premières molécules que nous sommes parvenus à synthétiser en laboratoire, qui avaient déjà pour caractéristique principale de perdre leur effet antagoniste. Nous étions ainsi déjà assurés de ne pas gêner la fonction normale du récepteur CXR4. À partir de ce noyau de molécules, nous avons obtenu de nombreux dérivés. Nous disposons également d’une série « backup », « de secours », qui sont elles aussi dérivées des premières molécules produites, et qui se révèlent également prometteuses.
Au fil des améliorations que nous leur avons apportées, nous sommes parvenus à augmenter l’efficacité de ces molécules d’un facteur dix à vingt. De plus, elles fonctionnent très bien in-vivo.
Plus globalement, l’avantage, dans ce projet, est que nous partons de très petites molécules. En plus d’avoir une durée de vie très courte dans le corps, et donc de pouvoir agir en « on/off », ces substances présentent ainsi l’avantage d’avoir une chimie assez simple. Nous pouvons donc générer beaucoup de molécules assez facilement, afin d’étudier leur profil de toxicité et les améliorations qu’elles sont susceptibles d’apporter. Quand une molécule est jugée suffisamment efficace sur le plan thérapeutique, nous cherchons ensuite à améliorer son absorption, à diminuer sa toxicité, etc. C’est ainsi que nous avançons.
Que savons-nous des mécanismes qui conduisent les interférons à se maintenir à un niveau élevé chez les patients atteints de lupus ?
C’est une bonne question… On sait que les pDCs, les cellules qui produisent les interférons, sont constamment activées. On ne comprend en revanche pas encore les raisons de cet emballement. On sait comment l’emballement se produit, mais pas pourquoi. C’est le cas, plus globalement, pour toutes les maladies auto-immunes. On en comprend de mieux en mieux les processus, mais pas les raisons de leur croissance folle observée depuis plusieurs années. Des facteurs génétiques jouent très certainement un rôle. L’environnement a également sans doute sa part de responsabilité : les particules fines, les cocktails de polluants… mais aussi l’alimentation et les cosmétiques. Tous ces facteurs se combinent et soumettent le corps à de nouveaux stress.
Au-delà du traitement des maladies auto-immunes telles que le lupus, vos avancées ouvrent-elles éventuellement la voie à d’autres applications thérapeutiques ?
Nous avons déjà travaillé sur un modèle animal qui se révèle assez proche de la Covid-19. Il s’agit d’une preuve de concept sur souris atteinte de grippe sévère. Cela implique la présence d’une grande quantité de facteurs inflammatoires et d’interférons dans les poumons de ces souris. Avec le CB, mais aussi avec nos propres molécules en cours de développement, nous avons procédé à des essais de pulvérisations intra-nasales. Les molécules testées se retrouvent ainsi dans les poumons des rongeurs, où elles se sont révélées capables de complètement contrôler la production d’interférons et des facteurs inflammatoires, qui retombent quasiment à zéro. Cela semble donc fonctionner extrêmement bien. Mon rêve serait donc naturellement de travailler par la suite sur la Covid-19, sur le plan académique… Même si notre stratégie d’entreprise n’est pas encore orientée dans cette voie.
Quelles sont justement les prochaines grandes étapes de votre calendrier ?
Nous visons l’obtention d’un candidat-médicament d’ici à la fin de l’année 2023. Il nous faudra ensuite un an d’expérimentation animal – des tests chez le macaque – avant de nous lancer dans un essai clinique de phase I. Si cet essai se révèle concluant, il est possible qu’un grand laboratoire pharmaceutique soit intéressé par la molécule et qu’il en fasse alors l’acquisition. Mais nous pourrions également être amenés à poursuivre les essais jusqu’en fin de phase II. Il est en tout cas, pour l’heure, assez compliqué d’avancer une date de commercialisation. Je dirais toutefois que cela est possible d’ici 6 à 7 ans environ.
À plus court terme, nous avons connu un tournant très important au mois de mars 2022 : nous avons réalisé une levée de fonds avec l’entrée au capital du fonds d’investissement irlando-américain Fountain Healthcare Partners[9]. Outre les financements apportés, ils nous ont surtout amené un savoir-faire et un réseau international de très haut niveau. Cela va nous permettre d’accélérer fortement le projet.
Je tiens aussi à souligner l’importance des soutiens apportés par le CNRS, qui me libère notamment 15 % de mon temps pour le consacrer à Ermium ; et surtout qui rend possible le développement des projets interdisciplinaires, intégrant par exemple la chimie et la biologie… Le soutien de Bpifrance a également été crucial. J’ai par exemple bénéficié du programme de formation Deeptech Founders, qui m’a vraiment permis d’apprendre un nouveau métier, celui d’entrepreneur. La subvention du concours national de l’innovation i-Lab nous a également apporté un financement de 245 000 €, qui nous a permis de créer l’entreprise.
Tout cela est quasiment unique en Europe. Il faut reconnaître que la start-up nation, ce n’est pas que des mots… Les financements de l’État changent beaucoup de choses. Ils permettent aussi de valoriser la recherche fondamentale et de faire le pont entre découverte scientifique et application médicale ou sociétale. Les gens ont en effet souvent du mal à voir à quoi cela peut servir. Mais dès que ces découvertes trouvent des applications dans la deeptech, les médicaments par exemple, cela devient tout de suite très concret. Le monde de demain est en train de se dessiner, et la France n’est pour une fois pas à la traîne dans ce domaine.
- [1] National Institutes of Health
- [2] Protéines produites notamment par les cellules du système immunitaire.
- [3] Molécule présente, entre autres, dans tous les tissus des mammifères, connue notamment pour son rôle dans l’apparition de certaines manifestations allergiques.
- [4] Clobenpropit
- [5] Stromal cell-derived factor 1, aussi connu sous le nom de CXCL12
- [6] Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies, réseau national qui fédère 13 sociétés créées dans le cadre du Programme des Investissements d’Avenir (PIA).
- [7] Une maladie chronique auto-immune atteignant notamment la peau et d’autres organes comme les reins ; et qui se caractérise par un maintien des interférons à un niveau élevé.
- [8] Entreprise fondée en 2009 à Paris et spécialisée dans le financement de l’innovation dans le domaine médical et des biotechnologies.
- [9] Fonds de capital-risque basé à Dublin, en Irlande.
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