La start-up Française Eranova, créée en 2016, a développé une technologie innovante et respectueuse de l’environnement permettant de produire, à partir de macroalgues vertes, des substituts aux matériaux plastiques pétrosourcés. Multiprimée, la jeune pousse lève actuellement des fonds dans le but de faire monter en échelle sa technologie.
Basée à Port-Saint-Louis-du-Rhône, au sud d’Arles, en région Sud-PACA, Eranova a été fondée par deux spécialistes des matières plastiques – Philippe Lavoisier et Philippe Michon – et compte aujourd’hui une dizaine de salariés.
Travaillant en étroite collaboration avec plusieurs figures de proue de l’écosystème scientifique français – CEA Tech de Cadarache, École des Mines d’Alès, Centre d’étude et de valorisation des algues – la start-up compte par ailleurs parmi ses actionnaires le créateur de Greentech et Biovitis Jean-Yves Berthon, un « visionnaire des algues », tel que le décrit le cofondateur d’Eranova Philippe Michon.
Grâce à ses travaux de R&D démarrés avec Jean-François Sassi – expert de la biomasse végétale et algale dans les domaines de la chimie et des applications –, Eranova a développé un procédé permettant d’accroître les taux d’amidon présent naturellement dans les macroalgues vertes. Assurant également la reproduction des algues dans des bassins, Eranova a par ailleurs développé un autre procédé permettant d’éliminer leurs pigments chlorophylliens, et donc d’obtenir un amidon blanchi et sans odeur. Un amidon ensuite transformé pour donner vie à des biopolymères capables de se substituer aux emballages plastiques pétrosourcés en polyéthylène et polypropylène, ainsi qu’à certains élastomères. Un ensemble de débouchés qui pourraient à terme être rejoints par d’autres applications, comme nous l’explique Philippe Michon, co-fondateur et directeur général d’Eranova.
Techniques de l’Ingénieur : Quelles sont les étapes clés de l’histoire d’Eranova ?
Philippe Michon : Nous avions, dès les premières étapes qui nous ont conduits à la création d’Eranova, la volonté de créer une nouvelle génération de biopolymères. Nous sommes deux associés, Philippe Lavoisier et moi-même. Nous travaillons dans le domaine du plastique depuis une quinzaine d’années. Nous avons ainsi pu constater une évolution dans les demandes des clients, mais aussi dans les propositions des fournisseurs, notamment avec l’avènement, il y a une quinzaine d’années, des produits biosourcés. Ces produits utilisaient alors principalement des ressources agricoles : maïs, pomme de terre, canne à sucre… Philippe Lavoisier étant plutôt tourné vers le milieu marin, et ayant des relations avec le CEVA[1], en Bretagne, l’idée nous est venue d’évaluer la possibilité d’utiliser les algues comme ressource végétale pour créer cette nouvelle génération de biopolymères que j’évoquais. En plus de valoriser un produit qui pollue les littoraux, cette approche permet d’éviter l’utilisation de terres agricoles.
C’est ainsi que l’idée a commencé à prendre forme, aux alentours de 2012-2013. Nous avons ensuite réalisé des pré-travaux de recherche, et nous avons présenté un dossier à l’Ademe en 2017. Nous avons alors obtenu le label « Programme d’investissement d’avenir PIA 3 ». Cela nous a tracé une ligne à suivre pour être en accord avec les objectifs environnementaux de l’agence.
Quel est le principe de base de la technologie que vous avez développée ?
Les biopolymères présents jusqu’à présent sur le marché se basent sur l’extraction d’amidon de végétaux terrestres. Nous avons, de notre côté, identifié la présence d’amidon dans certaines algues. Nous avons donc travaillé sur un procédé permettant d’enrichir ces algues en amidon. Notre process breveté permet d’atteindre une productivité quatorze fois plus grande, à surface de production égale, que les ressources végétales conventionnelles.
Nous extrayons ensuite cet amidon par un process enzymatique qui nous permet d’obtenir, d’une part, l’amidon, mais aussi, d’autre part, les fibres. On peut donc valoriser la totalité de la biomasse. Mais cela n’est pas suffisant… Une algue est en effet verte et odorante. Nous avons donc mis au point un procédé breveté permettant d’éliminer le pigment, la chlorophylle. Cela nous permet d’obtenir un amidon blanchi, mais aussi sans odeur.
Vous parlez de surface de production. Très concrètement, comment ces algues sont-elles cultivées ?
Nous avons construit, à Port-Saint-Louis-du-Rhône, un ensemble de bassins. Nous en avons aujourd’hui neuf, qui représentent une surface de 1,3 ha. Dans ces bassins, nous assurons l’enrichissement en amidon des algues collectées sur les littoraux et amenées par les municipalités. Nous effectuons aussi leur reproduction. Nous cochons ainsi plusieurs cases sur le plan environnemental. La première consiste à donner un débouché à un polluant qui génère sulfure d’hydrogène et méthane en se décomposant. En éliminant ces algues, nous agissons aussi en faveur de la biodiversité en freinant les symptômes de l’eutrophisation[2]. En favorisant la reproduction des algues dans nos bassins – la biomasse algale double chaque semaine –, nous arrivons à des rendements de 800 à 1 000 tonnes de masse humide à l’hectare, ce qui nous permet d’extraire de grandes quantités d’amidon et de fibres sur une surface relativement restreinte. La réaction de photosynthèse associée à la croissance de ces algues permet également de capturer du CO₂.
Quel est justement le bilan écologique du procédé que vous avez développé ?
Nous n’avons pas encore réalisé de mesures, mais la littérature scientifique donne des chiffres en matière de capture de CO₂ à l’hectare 7 à 10 fois plus importants pour les algues que pour une forêt.
Sur le plan de la fin de vie des matériaux, nous avons pris le parti de permettre leur intégration au sein de la filière de recyclage des plastiques conventionnels, d’origine fossile. Nous plastifions nos amidons afin de les rendre compatibles avec les filières de recyclages existantes. C’est en effet sur cette voie que mise principalement l’Europe, plutôt que sur d’autres approches comme la biodégradation en milieu naturel ou la compostabilité.
Quels types de polymères parvenez-vous à obtenir ?
Nos produits déjà sur le marché sont des alternatives aux emballages plastiques en polyéthylène et polypropylène, ainsi qu’à certains élastomères. Nous n’avons en revanche pas encore de produits sur le marché utilisant nos fibres. Les process de validation des produits sont plus longs… Mais nous avons des matériaux en cours d’évaluation.
En valorisant à la fois les amidons et les fibres, nous parviendrons à valoriser près de 95 % de la biomasse algale.
Comme vous l’évoquiez, vous disposez actuellement d’une installation pilote à Port-Saint-Louis-du-Rhône. Pouvez-vous nous la décrire plus en détail ? Quelle production permet-elle de réaliser ?
Ce pilote permet de traiter annuellement 500 à 600 tonnes d’algues sèches et de créer environ 300 tonnes de biomatériaux. Cela a nécessité un investissement d’un peu plus de 6 millions d’euros. En plus des bassins de culture et d’enrichissement que je décrivais, ce pilote dispose d’une unité de compounding, qui nous permet de fabriquer la résine que nous vendons à des transformateurs. Nous avons aussi un laboratoire de recherche. L’installation a été construite en 2021, et nous l’avons inaugurée en mars 2022.
Nous sommes aujourd’hui au stade industriel sur certains produits. Nous avons des produits commercialisés chez des acteurs de la grande distribution tels que Carrefour et Intermarché. Nous avons aussi des contacts avec Le Slip Français, ainsi que des entreprises de flaconnage pour la cosmétique.
Notre seule limite reste celle du volume. 300 tonnes, dans le monde du plastique, cela reste assez peu.
Quelles sont donc vos ambitions en matière de développement ?
Nous sommes en phase de passage à l’échelle, avec l’ambition de nous installer sur une surface de cent hectares, grâce à un investissement de plus de 60 M€. Nous avons été lauréats du plan France 2030, avec à la clé une participation de 17 M€. Nous sommes aussi aidés par la Banque européenne d’investissement, qui nous accorde un prêt de 30 M€. Nous avons également lancé un financement participatif avec la plateforme Wiseed, afin d’assurer notre fonctionnement et de financer nos études. Cela va aussi nous permettre d’impliquer des citoyens dans ce projet à la fois environnemental et sociétal, de par la réindustrialisation qu’il permet.
Notre objectif à terme est celui de produire les résines de base et ce au plus près des lieux de consommation. La problématique algale est mondiale. Nous envisageons donc d’octroyer des licences de notre technologie, afin de répliquer notre modèle dans de nombreux pays. Nous sommes notamment en cours de négociations en Indonésie et au Maroc.
Sur notre région d’attache actuelle de l’Étang de Berre, nous pouvons récolter en un an entre 3 et 5 000 tonnes, ce qui nous permettrait de produire, sur nos bassins, à peu près 65 000 tonnes d’algues et de capter par la même occasion environ 7 000 tonnes de CO₂. Cela avec le dimensionnement d’une unité de cent hectares.
Nous sommes aujourd’hui, à ma connaissance, les seuls au monde à faire cela. Nous pensons véritablement avoir de l’avance sur le sujet. Et outre les biopolymères, il y a très certainement de nombreuses autres applications possibles, la clé étant la production de biomasse : papier à base d’algues, production d’hydrogène… L’Europe incite d’ailleurs les pays de la communauté à s’orienter vers la production d’algues. Nous sommes, je pense, pour une fois en avance !
[1] Centre d’étude et de valorisation des algues
[2] Phénomène causé par un déséquilibre ou une augmentation des apports en phosphore et en azote, d’origine humaine, et qui a pour conséquence une production végétale accrue qui réduit progressivement la pénétration de la lumière dans l’eau. (Source : Inrae)
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