Détecter les cellules tumorales isolées dans le sang (on parle alors de cellules tumorales circulantes ou CTC) ou dans les ganglions lymphatiques ou la moelle osseuse (on parle alors de cellules tumorales disséminées ou CTD) peut s’apparenter à rechercher une aiguille dans une botte de foin car quelques cellules (voire même une seule !) peuvent conduire à une métastase, mais elles sont environnées par des millions de cellules normales. Heureusement, ces cellules possèdent certaines caractéristiques, par exemple des protéines à leur surface, qui les différencient des cellules saines environnantes. Elles peuvent ainsi être « attrapées » avec des anticorps spécifiques agissant comme des crochets. Reste à mettre au point un système pour accomplir cette recherche en routine et en toute fiabilité.
Dans le cadre du PIC (Programme Incitatif et Coopératif) sur la maladie micrométastatique à l’Institut Curie, l’équipe de Jean-Louis Viovy (unité « Physicochimie Curie » Institut Curie/CNRS/UPMC) en collaboration avec le Nikon Imaging Centre@Institut Curie-CNRS, Fluigent, une société fondée en novembre 2005 par Jean-Louis Viovy, directeur du Laboratoire Physicochimie de l’Institut Curie et Dominique Stoppa-Lyonnet, chef du Service de génétique oncologique de l’institut, et des cliniciens de l’Institut Curie et de l’Institut Gustave-Roussy, a développé un « tamis à cellules » pour capturer et étudier les cellules tumorales, de façon automatisée et avec une grande spécificité.
Nommé Ephesia, ce « laboratoire sur puce » à base de « microfluidique », tout comme les circuits intégrés en électronique, regroupe sur un support très réduit une multitude de processus automatisés et complexes. « Les laboratoires sur puce sont en plein essor en biologie et en médecine car ils sont plus rapides, plus précis et moins chers que les systèmes existants » ajoute le Pr Jean-Yves Pierga, oncologue médical à l’Institut Curie, professeur à l’Université Paris-Descartes et co-responsable du PIC.
Eviter des actes chirurgicaux lourds
« Dans notre système, le « tamis à cellules » est constitué d’un réseau de colonnes formées de microbilles magnétiques portant des anticorps dirigés contre des protéines de surface des cellules tumorales, en l’occurrence la molécule CD19 » explique Jean-Louis Viovy. Cet anticorps capture les lymphocytes B qui peuvent être à l’origine de plusieurs types de lymphomes en cas de mutations anormales dans leur génome. « Les microbilles magnétiques forment des canaux micro fluidiques dont les dimensions sont de l’ordre du micromètre, soit plus fin qu’un cheveu. Quelques microlitres d’échantillon nous suffisent; ils peuvent être prélevés avec une micro-aiguille sous anesthésie locale, ce qui permet aux médecins d’éviter un acte chirurgical plus lourd », précise-t-il.
Ce système a été comparé « en aveugle » aux méthodes conventionnelles sur divers échantillons provenant de patients atteints de leucémie : on a obtenu 100 % de concordance sur le diagnostic, à partir d’un nombre de cellules dix à cent fois plus faible. Une fois capturés par les microbilles, les lymphocytes B peuvent être observés par des microscopes haute résolution pour déterminer à quelle sous catégorie de leucémie ils correspondent et choisir le meilleur traitement.
« Ephesia est plus qu’un détecteur de cellules ; ce laboratoire sur puce permet d’étudier individuellement les cellules isolées de façon plus approfondie qu’auparavant » ajoute Jean-Louis Viovy. En effet, les cellules capturées peuvent être mises en culture pour étudier leur pouvoir de division, leur réponse à un médicament ou leur génome. L’identification des caractéristiques propres à ces cellules permettra de découvrir leurs points faibles vis -à-vis des traitements existants et de développer les nouvelles approches de « médecine personnalisée », dans lesquelles chaque patient est traité par un médicament ciblé sur les caractéristiques moléculaires de sa propre tumeur. Enfin à plus long terme, cette technique devrait permettre de découvrir des cibles encore inconnues, pour élaborer des médicaments nouveaux.
Les chercheurs et médecins de l’Institut Curie travaillent actuellement sur un système de nouvelle génération pour détecter, cette fois-ci, des cellules tumorales dans le sang.