Franchir le seuil des 500 GW de capacité éolienne installée à l’horizon 2030, c’est ce qui serait nécessaire pour atteindre, à cette même échéance, l’objectif fixé par l’Union Européenne d’un mix énergétique composé d’une part de renouvelables d’au moins 42,5 %. La barre semble toutefois placée particulièrement haut : en 2022, la capacité éolienne installée au travers de l’UE ne dépassait pas les 204 GW, progressant de 16 gigawatts par rapport à l’année précédente. Une « augmentation record de 47 % par rapport à 2021 », comme le note la Commission européenne dans un communiqué daté du 24 octobre dernier, qui n’en demeure pas moins largement insuffisante. « C’est nettement moins que ce que l’UE devrait installer pour être en mesure d’atteindre ses objectifs », souligne en effet celle qui se décrit elle-même comme la voix de l’industrie éolienne européenne, l’association WindEurope. À ce rythme, le seuil des 500 GW de capacité installée ne serait en effet franchi… qu’en 2041.
Pour y parvenir comme espéré en 2030, ce ne sont ainsi pas moins de 37 GW de capacités éoliennes supplémentaires qui devraient être installés chaque année par les États membres de l’Union. Une perspective pour le moins incertaine, donc, d’autant que la filière fait face à une série de problèmes qui freinent son développement : « un ensemble unique de défis », tels que les décrit la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, à commencer par celui de l’inflation.
Hausse des coûts… et des taux d’intérêt
« Depuis la reprise post-Covid intervenue mi-2021, puis la tentative russe d’invasion de l’Ukraine, l’inflation générale a mis un certain nombre d’entreprises dans la difficulté, notamment chez les fabricants [d’éoliennes], et chez quelques développeurs également », constate le chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri) Cédric Philibert, par ailleurs auteur, consultant indépendant et analyste, spécialiste des questions d’énergie et de climat. « Un certain nombre de projets avaient en effet été actés à des tarifs inférieurs au coût de revient actuel. L’inflation a certes touché les matériaux, mais aussi et surtout les taux d’intérêt, qui se révèlent décisifs pour ce secteur qui est sans doute le plus capitalistique de tous », éclaire celui qui fut également conseiller du Directeur général de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) de 1992 à 98.
Des projets actés mais donc pas encore réalisés, et ce pour différentes raisons, telles que les perturbations de l’approvisionnement en matières premières liées à la crise sanitaire, ou encore les problèmes de raccordement. « La file d’attente peut être très longue, note M. Philibert. Un, deux… voire jusqu’à cinq ans parfois. Si entre-temps les conditions économiques changent, cela peut donc poser problème ».
L’expert souligne toutefois que la France n’est pas, sur ce plan, le pays le moins bien loti, en grande partie grâce au mécanisme d’indexation qu’elle a mis en place. Un système en effet censé protéger les producteurs contre les évolutions de leurs coûts d’exploitation une fois leurs investissements réalisés, comme l’explique la Commission de régulation de l’énergie (CRE), et qui n’existe donc pas partout. « Certains acteurs européens, y compris des développeurs français, se retrouvent ainsi exposés sur ces marchés où il n’y a pas d’indexation, tels que les États-Unis », souligne Cédric Philibert.
Et l’expert de pointer une catégorie d’acteurs – celle des manufacturiers – encore plus exposés aux bourrasques qui soufflent sur le secteur. Les fabricants se trouvent en effet affectés par un ensemble de facteurs plus large encore : annulation de projets, diminution des marges, problèmes techniques, mais aussi forte concurrence chinoise. Un aspect également pointé du doigt par la Commission européenne, qui parle sobrement de « pression accrue de la part de concurrents internationaux ».
Des politiques publiques parfois défavorables
Enfin, outre le problème de la disponibilité en main-d’œuvre qualifiée, un ultime facteur expliquant la situation pour le moins délicate dans laquelle se trouve aujourd’hui le secteur éolien européen est celui de la lenteur – et de la complexité – des procédures d’autorisation au travers des États membres de l’UE, à commencer par la France. « Les autorisations vont plus vite dans d’autres pays, observe en effet M. Philibert. Certains sollicitent davantage la participation citoyenne, ce qui limite souvent le nombre de recours. C’est le cas de l’Allemagne ou du Danemark en particulier. » Des « champions » européens de l’éolien qui, outre cet aspect, doivent leur position de leaders à des facteurs tels que la puissance et la solidité de leur industrie, leur position géographique privilégiée, mais aussi et surtout une volonté politique claire de favoriser le déploiement de cette énergie renouvelable. « Il existe un tas de raisons aux différences observées au sein de l’UE, mais la politique y est pour beaucoup, confirme Cédric Philibert. L’Allemagne s’est par exemple lancée dans l’éolien avec beaucoup plus de vigueur, tout comme l’Espagne, le Portugal, les Pays-Bas ou l’Irlande. » D’autres, dont la France fait partie, restent à l’inverse freinés par des politiques inadaptées, selon l’expert.
Un plan d’action pour booster l’éolien européen
Les « défis » ne manquent donc pas pour le secteur. Une situation problématique face à laquelle l’UE a ainsi estimé qu’une « action immédiate » était nécessaire. Le 24 octobre dernier, la Commission a ainsi présenté le plan d’action de l’UE en matière d’énergie éolienne, comme l’avait annoncé le mois précédent la Présidente von der Leyen dans son discours sur l’état de l’Union. Objectif : « Garantir que la transition vers une énergie propre aille de pair avec la compétitivité industrielle et que l’énergie éolienne continue d’être un exemple de réussite européenne », note la Commission dans son communiqué du 24 octobre. « Ce plan d’action contribuera à maintenir une chaîne d’approvisionnement en énergie éolienne saine et compétitive, dotée d’une réserve claire et sûre de projets, afin d’attirer les financements nécessaires et de participer à la concurrence sur un pied d’égalité à l’échelle mondiale », précise également le document.
Le plan d’action dévoilé fin octobre définit ainsi une série de mesures que les États membres, l’industrie, mais aussi la Commission doivent prendre conjointement et ce, de manière immédiate. Des mesures axées autour de six aspects principaux : accélération des procédures d’autorisation, amélioration de la conception des enchères, accès au financement facilité, lutte contre les pratiques commerciales déloyales à l’échelle internationale, accompagnement de la montée en compétence en facilitant notamment la création « d’académies européennes des compétences pour l’industrie net zero », dont une pour l’éolien et, enfin, élaboration d’une charte de l’éolien par la Commission, les États membres et l’industrie, dans l’objectif « d’améliorer les conditions propices au maintien de la compétitivité de l’industrie éolienne européenne ».
« Ce plan européen est plutôt utile », juge Cédric Philibert, qui y voit notamment des avancées sur le plan du régime d’autorisation et d’enchères, mais qui déplore l’absence de dispositif de modulation des tarifs. Cela permettrait en effet selon lui d’éviter que tous les projets éoliens ne se concentrent au nord de l’Europe, et accélérerait donc, in fine, les choses. « Il faut faciliter l’installation d’éoliennes là où se trouve déjà du solaire, et inversement. Les deux modes de production se complètent en effet très bien et peuvent en général se contenter d’un seul et même réseau pour leur raccordement. Tout cela suppose cependant un peu de modulation des tarifs », estime l’analyste, qui juge par ailleurs que les mesures de soutien à l’industrie du plan d’action se heurtent à un financement insuffisant : « L’IRA[1] américain, tout comme les systèmes opaques chinois soutiennent leurs industries de façon nettement supérieure à ce que fait l’Europe avec le Net-Zero Industry Act ».
Renforcer aussi l’éolien en mer pour épauler, demain, les installations à terre
En marge de la présentation de ce plan d’action, la Commission a également affirmé « redoubler d’efforts » pour soutenir l’éolien en mer, par le biais de mesures supplémentaires visant notamment à renforcer les infrastructures de réseau, à accélérer l’octroi d’autorisation, ou encore à soutenir la recherche et l’innovation ainsi qu’à développer les chaînes d’approvisionnement et les compétences. « L’énergie éolienne en mer devrait contribuer de manière significative aux objectifs de l’UE en matière de climat et d’énergie dans les années à venir », espère en effet la Commission.
Pour Cédric Philibert, la priorité reste toutefois au développement de l’éolien terrestre, seul moyen selon lui de répondre à l’urgence de la situation actuelle, qui fait se rencontrer la nécessaire décarbonation de la production et la croissance des besoins en électricité. « Le potentiel de l’éolien offshore est important en Europe, mais les projets en la matière sont plus longs à mettre en place. L’éolien en mer viendra donc, à terme, épauler l’éolien terrestre, mais nous ne pouvons pas attendre », estime-t-il. L’analyste en est convaincu : « Nous avons besoin de l’éolien tout de suite ».
[1] Inflation Reduction Act, « plus grand investissement pour le climat de l’Histoire des États-Unis », signé en août 2022 par le président Biden.
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