Un vent d’inquiétude. Voilà ce qui, telle la bise noire, souffle depuis quelque temps sur les acteurs français de l’éolien en mer. Une filière qui, pourtant, ne semblait a priori pas vouée au désœuvrement, bien au contraire. Dans son discours de Belfort de février 2022, le président Macron a en effet défini l’objectif d’une mise en service, d’ici à 2050, d’une cinquantaine de parcs éoliens au large de nos côtes. Une ambition réaffirmée fin 2023 lors de son discours aux Assises de l’économie de la mer à Nantes.
« Le président de la République a confirmé les objectifs de développement du Gouvernement pour l’éolien en mer fixés par la Stratégie Française pour l’Énergie et le Climat (SFEC), à savoir 45 GW de projets éoliens en mer mis en service en 2050 avec un objectif intermédiaire de 18 GW mis en service en 2035 », rappellent en effet France Renouvelables et le Syndicat des énergies renouvelables (SER) dans une publication conjointe.
Si trois parcs offshores ont pour l’heure pu voir le jour, et seront bientôt suivis de trois autres actuellement en construction, les centaines d’entreprises que compte la filière française de l’éolien offshore semblent ainsi, malgré tout, avoir encore beaucoup de pain sur la planche, et donc potentiellement toutes les raisons d’être optimistes. C’était sans compter sur un certain nombre de vents contraires menaçant le secteur.
Législatives anticipées : premier coup de semonce politique
L’an dernier déjà, une quarantaine d’acteurs de la filière lançaient une première alerte, au travers d’une tribune commune publiée par l’hebdomadaire spécialisé dans l’économie maritime Le Marin. À quelques jours du premier tour des élections législatives anticipées, leur crainte était alors avant tout que le développement des projets de parcs éoliens offshore ne soit mis en suspens en cas de majorité RN à l’Assemblée. « Le Rassemblement national a [en effet] promis un moratoire sur l’éolien et “surtout l’offshore” », rappelait à ce sujet Le Marin, citant le député Jean-Philippe Tanguy.
L’issue inattendue du scrutin, suivie quelques semaines plus tard de la nomination d’Agnès Pannier-Runacher au poste de ministre de la Transition écologique au sein du gouvernement Barnier, ont toutefois fini par redonner une lueur d’espoir aux acteurs d’une filière qui voyaient jusqu’alors l’orage poindre à l’horizon. « La ministre […] est [notamment] attendue […] sur le sujet de la planification des zones pour l’éolien en mer », soulignait ainsi Le Marin, dans un article publié le 23 septembre 2024. Un dossier qu’elle connaît parfaitement pour l’avoir suivi, au côté du secrétaire d’État à la Mer, Hervé Berville, lorsqu’elle était ministre de la Transition énergétique de 2022 à janvier 2024 », rappelait au passage l’hebdomadaire du groupe Ouest-France.
Un mois plus tard, le 18 octobre, était ainsi dévoilée, à Fécamp, la décision de l’État quant à la planification du développement de l’éolien offshore. « Cette décision comprend […] la cartographie des zones prioritaires pour le développement de l’éolien en mer à l’horizon de 10 ans et de 2050 », précise un communiqué publié pour l’occasion. Une avancée notable, certes, mais arrivée visiblement un peu tard…
Des craintes qui subsistent
Le 3 mars dernier, au travers d’un communiqué publié par France Offshore Renewables[1], la filière lançait en effet une nouvelle alerte portant cette fois, notamment, sur un « risque majeur de chute d’activité industrielle entre 2025 et 2030 », conséquence directe, selon elle, « des retards accumulés par l’État dans la planification de l’éolien en mer » ; retards qui risquent en effet de provoquer « une diminution des activités de fabrication, d’intégration et de déploiement », et menacent ainsi « la continuité des compétences et les investissements réalisés jusqu’à présent ».
Une alerte sur la fragilité de la filière, donc, qui est d’ailleurs loin d’être la seule lancée par les membres de l’alliance France Offshore Renewables par le biais de ce même communiqué du 3 mars.
Le document met en effet également en exergue : le doute qui plane sur la capacité industrielle française ; l’urgence que représente la mise en place d’un plan de charge après 2027 ; la nécessité d’assurer une forme de solidarité au sein de la filière, « indispensable pour maximiser les retombées économiques locales et nationales » ; mais aussi, enfin, l’indispensable mise en œuvre immédiate de mesures de protection de la chaîne de valeur franco-européenne, « cruciales pour préserver et développer les compétences nécessaires à une décarbonation souveraine de notre économie », selon les auteurs du document.
Aussi étoffé et dynamique qu’il puisse être (lire en encadré ci-dessous) l’écosystème national de l’éolien offshore se trouve en effet, en outre, confronté à une concurrence étrangère particulièrement féroce, comme l’a notamment expliqué au Journal des Entreprises la déléguée générale de l’un des six clusters de l’alliance – Normandie Maritime – Delphine Lefrançois. « Dans le contexte géopolitique actuel, nous faisons face à la concurrence déloyale […] des Chinois, très subventionnés, et des États-Unis ». Face à cette conjoncture, c’est donc avant tout à la mise en place d’une véritable stratégie industrielle franco-européenne qu’appellent les six groupements industriels régionaux de l’alliance France Offshore Renewables. Une stratégie dont dépend en effet, selon eux, « l’avenir de notre industrie, de nos emplois et de la transition énergétique de nos territoires ».
Éolien offshore : une filière industrielle nationale qui ne cesse (pour l’heure) de s’étoffer
« En France, la concrétisation des sept[2] premiers parcs éoliens en mer engagés depuis 2012 a conduit au développement et à la structuration d’une filière industrielle nationale de l’éolien en mer », note eoliennesenmer.fr, site internet mis en place par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) à la demande de la direction générale de l’Énergie et du Climat (DGEC) du ministère chargé de l’Énergie, dans le but de présenter l’état du développement de l’éolien en mer en France.
Sur le plan industriel, ce sont ainsi plusieurs sites majeurs qui ont pu voir le jour sur notre territoire au cours de la dernière décennie : l’usine General Electric Renewable Energy de fabrication de nacelles et de générateurs de Saint-Nazaire, créée en 2014 ; l’usine de fabrication de pales LM Wind Power, ouverte à Cherbourg en 2019 ; ou encore l’usine de fabrication de nacelle et de pales Siemens-Gamesa du Havre. Créée début 2022, celle-ci se tourne désormais vers la seule production de pales, au sein d’une extension dont la première pierre a été posée pas plus tard que le 17 février dernier. Une décision qui ne va toutefois pas sans soulever des interrogations au sein de la filière, comme le notent les auteurs du communiqué publié le 3 mars dernier par France Offshore Renewables.
Quoi qu’il en soit, la filière qui employait plus de 8 300 personnes en 2023 pourrait bien franchir le cap des 20 000 emplois à l’horizon 2035, à la faveur sans doute, notamment, du développement de l’éolien flottant[3], au potentiel considérable. Tout cela, à condition, bien sûr, que le vent continue de souffler dans la bonne direction.
[1] Alliance regroupant les six groupements industriels régionaux français de l’éolien offshore : Aquitaine Blue Énergies, Bretagne Ocean Power, Normandie Maritime, Neopolia, Wind’Occ et Sudéole.
[2] Un total de 7 parcs devrait être en service d’ici à 2028, puis de 17 à l’horizon 2035
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