La nouvelle stratégie pro-renouvelable du groupe suscite des inquiétudes. En réponse Isabelle Kocher a déclaré le 15 janvier 2018 depuis le Musée du quai Branly, être soucieuse de préserver un « équilibre » dans le cadre d’« un sens commun très fort ».
La dirigeante explique dans un entretien au Figaro que l’« on travaille par exemple à verdir la production de gaz. C’est très porteur pour nos salariés. Aujourd’hui, on parle beaucoup de l’éolien et du solaire. Je crois aussi à la révolution de l’hydrogène. »
Le verdissement de la production de gaz porte en effet principalement sur l’hydrogène obtenu par électrolyse solaire et éolienne (ou nucléaire). Selon l’Usine Nouvelle le biogaz ne serait pas une priorité du groupe français étant donné que sa production est très coûteuse.
L’hydrogène est un outil central pour préserver l’identité gazière de l’ex-GDF-Suez et réduire les peurs face à la transition énergétique fortement perturbante. Comme le dit le dicton, « gazier un jour, gazier toujours ». Mais Philippe Silberzahn, spécialiste des innovations de rupture, rappelle que de nombreuses entreprises, dont Kodak, se sont laissées entraîner par ce piège mortel de l’identité :
« La force de l’identité est également révélée par le fait que même lorsque Kodak aura admis l’inéluctable déclin de l’argentique, elle introduira un appareil numérique… utilisant un film! » souligne l’expert. L’Advantix sera un échec total et coûtera plus d’un demi-milliard de dollars à Kodak. « Comme souvent, l’entreprise faisant face à une rupture tente de forcer celle-ci pour qu’elle corresponde à son identité, plutôt qu’adapter l’identité à la rupture. »
Forcer la révolution hydrogène alors que la technologie, contrairement à celle des batteries, n’est pas encore vraiment au point, ni sur le plan de l’efficience, ni sur le plan économique, est pour le moins risqué. Ce qui n’enlève rien à la promesse de l’hydrogène dans le long-terme. Tout est possible, et les progrès technologiques permettront peut-être de beaucoup gagner en efficience dans les décennies à venir.
« Toujours convaincue par son histoire qu’une photo, c’est fait pour être imprimé, Kodak investira également énormément dans les imprimantes et les stands photos, sans grand résultat: aujourd’hui, très peu de photos sont imprimées, elles sont en majorité conservées et visionnées sous format numérique » ajoute Philippe Silberzahn.« Enfermée dans son identité d’imprimeur de photos, Kodak n’a pas pu admettre un tel bouleversement. »
Enfermé dans son identité gazière, le groupe Engie va-t-il rater la déferlante du stockage batterie et perdre beaucoup d’argent dans des projets hydrogène ? Cette stratégie hydrogène ne ressemble-t-elle pas à celle qui a conduit à la construction de la ligne Maginot et dont fait écho le think-tank américain RethinkX ?
Ou à l’inverse Engie parviendra-t-elle à réaliser la prophétie que Jules Verne a émise dans « L’île mystérieuse ? » Prenant alors un temps d’avance avec une filière qui, du moins sur le plan théorique, a énormément d’atouts ? L’hydrogène, on peut en effet le stocker à court, moyen et long terme. Comme les céréales dans les greniers lors de la révolution agricole du néolithique. Avec les batteries, on ne peut stocker que quelques heures, et au mieux quelques jours.
Même si, selon de nombreux experts, quelques heures de stockage batterie permettent d’envisager d’atteindre 80%, voire même 90% de photovoltaïque + éolien dans un mix électrique, la problématique du comblement des 10 à 20% restants, pour les périodes sans vent et peu d’ensoleillées durant plusieurs jours consécutifs, reste entière. En effet les back-ups hydroélectriques (lacs de barrage) ne sont pas possibles partout sur Terre et en outre le potentiel de la bioélectricité est limité.
Les systèmes électriques insulaires qui sont passés au solaire (et/ou éolien) + stockage batterie font appel à des back-ups thermiques classiques (comme par exemple les générateurs diesel) qui sont aujourd’hui, d’après Toshiba, 10 fois moins coûteux que les systèmes à base d’hydrogène. Utilisés que très ponctuellement, le bilan, tout autant sur le plan écologique que sur le plan de l’autonomie, reste satisfaisant. En outre les unités thermiques sont bien souvent déjà en place lors du passage au solaire, ce qui réduit le coût des investissements.
A ce stade la France n’a pas encore atteint (loin s’en faut) 80% de solaire + éolien dans son mix électrique. La question posée semble donc un peu prématurée dans le contexte hexagonal.
Jean-Gabriel Marie
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