Le titre d’une interview réalisée par d’Atlantico.fr affirmait catégoriquement : « Rapport de l'Ademe sur les énergies renouvelables : l’énorme erreur de raisonnement de ceux qui affirment que cela ne coûtera pas plus cher ». Fort heureusement, la rédaction d’Atlantico.fr a accepté de corriger partiellement cet article au contenu fallacieux. Une affaire qui en dit long sur le travail pédagogique qu’il reste à accomplir en France en matière de mix électrique à forte teneur en EnR.
Le « rapport final » de l’étude « vers une électricité 100% renouvelable en France » coordonnée par la start-up spécialisée Artelys (fondée notamment par des anciens de la R&D d’EDF et au rayonnement international) en partenariat avec Energie demain et Mines Paristech pour le compte de l’Ademe (une agence d’état) est disponible à cette adresse :
L’article d’Atlantico.fr, dans sa version d’origine, s’est répandu de manière virale sur internet, colporté sans aucune analyse par ceux (y compris des ingénieurs) qui n’aiment pas les énergies de flux durables et qui préfèrent les énergies de stock, par définition non durables. Cet article a ainsi généré une pollution massive du débat énergétique, d’où la présente mise au point dans une perspective de salubrité publique.
Des coûts commentés à l’aveuglette
Première version de l’article, Rémy Prud’Homme, professeur (émérite) à l’université Paris XII (Paris-Est Créteil) : « Tout d’abord, il y a des erreurs sur les chiffres des prix qui sont donnés dans ce rapport. Le rapport parle d’un prix actuel à 91€ par MegaWatt heure or le prix du nucléaire auquel EDF est obligé de vendre à GDF est d’environ 41€ ! Ce chiffre de 91€ ne rime pas à grande chose, le rapport doit calculer ce que serait le prix du nucléaire dans des centrales à construire ! Le deuxième point noir du rapport : le prix du solaire et de l’éolien serait de 117€ du MegaWattHeure. Or le prix actuel d’achat de GDF du solaire ou de l’éolien est d’environ 200€ en moyenne selon la commission de régulation de l’énergie. Le prix de l’éolien maritime est même au dessus de 200€, le solaire est actuellement payé à 300€ en moyenne. Même si dans le futur on imagine que les prix vont baisser, on ne peut pas être certain. (…) Enfin, le rapport fait complètement l’impasse de l’adéquation temporelle de l’offre et de la demande. (…) »
Des propos qui ont fait réagir le scientifique Sylvain Quoilin, membre d’un JRC (Joint Research Center) de la Commission européenne et spécialiste des systèmes électriques à base d’énergies renouvelables : « C’est faux ! » s’indigne l’expert. « Le modèle est horaire et optimise le système ainsi que ses variations ». Fort heureusement d’autres journalistes, comme par exemple Pierre Le Hir (Le Monde) ont réalisé un compte-rendu honnête et d’excellente qualité de l’étude.
Contactée par Techniques de l’ingénieur la rédaction d’Atlantico.fr a reconnue qu’elle n’était pas compétente en la matière et qu’il fallait qu’elle en parle avec Rémy Prud’homme. Contacté par nos soins, Rémy Prud’homme, la personne interviewée, a déclaré : « Je n’avais pas encore lu l’étude, je ne savais pas comment me la procurer, je n’avais que des extraits d’articles de presse à ma disposition, et Atlantico m’a demandé de répondre à des questions pour une interview. J’ai accepté mais Atlantico aurait dû vérifier ce que j’affirmais avant de valider. Ce n’est pas sérieux de leur part ». Rémy Prud’homme a ensuite reconnu s’être lourdement trompé et ne pas avoir compris ce à quoi correspondait le coût de 91 €/MWh : « Je ne peux pas faire autrement que reconnaître m’être trompé, il n’y a pas d’autre attitude à avoir » a-t-il eu l’honnêteté d’admettre. Il suffisait en effet de lire l’étude pour comprendre qu’il s’agit du coût de l’électricité hors taxe en France, c’est-à-dire non seulement la fourniture (production) mais aussi l’acheminement (transport et distribution de l’électricité), ainsi que la part EnR de la CSPE. Atlantico décide alors de corriger l’article en remplaçant intégralement le premier paragraphe de l’article.
Une approche systémique mal comprise
Seconde version de l’article, Rémy Prud’Homme : « L’erreur – ou la confusion – principale porte sur la notion de coût du nucléaire. Les auteurs comparent le coût de l’électricité renouvelable future avec le coût du nucléaire futur. La comparaison aurait du sens dans un pays sans parc de production. Mais la France a un parc, qui se trouve être nucléaire, et qui est en état de marche, même s’il a besoin d’entretien; Et ce parc, largement amorti, produit de l’électricité à bon compte. La preuve en est qu’EDF a obligation d’en vendre une partie, à un prix fixé par les pouvoirs publics, qui est inférieur à 45 €/MWh. »
Techniques de l’ingénieur recontacte alors la rédaction d’Atlantico.fr pour leur indiquer que c’est encore faux. 91 €/MWh c’est coût Actuel, et non pas futur, de l’électricité hors-taxe en France. A noter que le coût de l’électricité française va monter d’environ +5% par an entre 2015 et 2020 selon des études de la CRE et du Sénat. 119 €/MWh c’est le coût d’un système 100% EnR complet en 2050, y compris réseau et stockage. A noter également une baisse de 14% du coût si l’on prend un taux d’actualisation de 2% au lieu de 5,25% comme expliqué dans le rapport pages 72 et 73. La comparaison porte donc sur un coût 100% EnR dans le futur avec le coût actuel de l’électricité afin d’évaluer l’ampleur de la variation. Elle est de 30%. Un comparatif est également effectué dans l’étude avec des mix 40%, 80%, 95% EnR. A aucun moment le coût de l’électricité EnR future n’est comparé à celui du nucléaire futur. Seuls les systèmes complets (y compris réseau et stockage) sont comparés, approche systémique, et c’est tout l’intérêt de l’étude. La rédaction d’Atlantico.fr répond alors : « Après une lecture attentive du rapport, il s’agit effectivement d’une erreur de notre part. Nous corrigeons. Merci de nous l’avoir signalée. » Une seconde correction est alors effectuée.
On n’arrête pas le progrès
Troisième version de l’article, Rémy Prud’homme: « Notons qu’en 2014, selon la très officielle CRE (Commission de Régulation de l’Energie), le prix moyen d’achat aux producteurs est de 91 € pour l’éolien terrestre, de 217 € pour l’éolien en mer, et de 418 € pour le photovoltaïque. Merci pour eux. Ces prix vont baisser, mais jusqu’où, c’est ce que personne ne sait exactement. Or le prix actuel d’achat de GDF du solaire ou de l’éolien est d’environ 200€ en moyenne selon la commission de régulation de l’énergie. Le prix de l’éolien maritime est même au dessus de 200€, le solaire est actuellement payé à 300€ en moyenne. »
Patatras, encore biaisé ! Les valeurs indiquées intègrent l’ensemble des tarifs du passé. En effet un parc solaire installé il y a 10 ans (à une époque où le solaire coûtait vraiment très cher, environ 6 fois plus qu’aujourd’hui) continue de peser aujourd’hui sur le prix de l’électricité (durée du contrat: 20 ans). Il est important de comprendre que ces chiffres sont vraiment complètement hors sujet quand on s’intéresse aux coûts des technologies actuelles et futures. Comme le souligne l’institut Fraunhofer, une référence mondiale en matière d’énergies de flux durables : « En 2013 les tarifs d’achat moyens pour l’électricité photovoltaïque étaient d’environ 32 centimes d’€/kWh (en Allemagne ndlr). Cette valeur moyenne inclut les taux de rémunération élevés des installations anciennes. Elle est cependant inappropriée, non pertinente pour déterminer l’expansion future du solaire »… (Source, page 11). Le titre donné à l’article d’Atlantico.fr prétend qu’il y a une « énorme erreur de raisonnement » dans l’étude Mines / Artelys. Or, l’énorme erreur de raisonnement n’est pas dans le rapport mais dans le commentaire qui en est fait par Rémy Prud’homme. Le fait que la rédaction d’Atlantico.fr accepte de corriger partiellement relève néanmoins d’un état d’esprit louable.
Près de Bordeaux un contrat solaire PV (300 MW) a été signé à 105 €/MWh. Et si les taxes douanières pénalisant les panneaux chinois étaient supprimées on serait même à moins de 100€/MWh selon le patron de Neoen. Une valeur confirmée par un expert de l’Agence Internationale de l’Energie (Lire à ce sujet ce dossier des Techniques de l’ingénieur). De plus Bordeaux n’est pas le site le plus ensoleillé de France. Près de Toulon on peut produire aujourd’hui du solaire PV encore meilleur marché. A Dubaï un contrat a été signé il y a quelques semaines à 51 €/MWh ! Moins que l’électricité à base de gaz et de fioul dans cet émirat. Un véritable tremblement de Terre à l’échelle mondiale. C’est cela la réalité. Agiter des chiffres intégrant des données du passé embrouille les esprits. C’est stérile, pas constructif, pas rigoureux pour un sou et encore pire, intrinsèquement malhonnête.
Rémy prud’homme ajoute : « Il est dit (dans le rapport ndlr) qu’on aura des moyens de stockage considérables, mais aujourd’hui on ne sait pas stocker de l’électricité en grande quantité. »
L’étude montre exactement le contraire. « Nous savons bien entendu stocker l’énergie électrique » rappelle Bernard Multon, professeur des universités à l’Ecole Normale Supérieure Cachan, antenne de Bretagne, et agrégé en génie électrique. Il existe même pléthore de solutions. Comme le souligne le polytechnicien et hydraulicien François Lempérière il y a dès à présent 140.000 MW de STEP (stockage hydraulique gravitaire) dans le monde (dont 5000 MW en France). « Affirmer que l’on ne sait pas stocker est tout simplement idiot » confirme l’expert.
On sait également stocker l’énergie électrique sous forme d’air comprimé mais aussi avec des batteries et des supercondensateurs ou encore des volants d’inertie sans parler de l’électrolyse de l’eau. Le 30 avril 2015 le PDG de Tesla Motors et fondateur de SolarCity, Elon Musk, va précisément annoncer une offre commerciale solaire PV + stockage, une annonce très attendue au pays de Benjamin Franklin. Affirmer que l’on ne sait pas stocker relève d’une idée préconçue fallacieuse.
Atlantico, face à l’exigence de rigueur intellectuelle de la part de Techniques de l’ingénieur, a fini par changer le titre de son article. Il est devenu : « Rapport de l’Ademe sur les énergies renouvelables : les obstacles à un mix électrique 100% renouvelable ». En progrès. Mais peut mieux faire…La mention « mauvais calculs » reste en exergue de l’article, en lettres rouges. A moins que cela soit pour prévenir le lecteur à propos du contenu de l’interview ? Pour le Vice-président de l’Assemblée Nationale et Député de Paris, Denis Baupin, les propos de Rémy Prud’homme relèvent du « comique troupier« .
En Allemagne, au Danemark, en Scandinavie, en péninsule ibérique, ou encore à San Diego et à Vancouver, les citoyennes et citoyens savent toutes et tous que passer au 100% renouvelable est possible. C’est pour une immense majorité d’entre eux une évidence. L’objectif du gouvernement danois est clair : 100% d’EnR en 2050. 80% en Allemagne. 100% à San Diego et à Vancouver. En France, se fixer un objectif de 100% de renouvelable est souvent perçu comme absolument impensable, quelque chose qui relèverait presque de l’extrémisme, du totalitarisme idéologique. Sur LCI une journaliste a déclaré à propos de l’étude commandée par l’Ademe : « cela parait incroyable », avec un air très perturbé. Le paysage mental d’une bonne partie des Français n’est pas du tout préparé. A leur décharge France 2 (JT de David Pujadas) affirmait il y a quelque temps qu’il faudrait couvrir toute l’Europe de panneaux solaires pour répondre à la demande électrique française. Un problème de culture scientifique et technique en matière d’écotechnologies énergétiques se pose dans notre pays.
Aux USA, même le très conservateur Tea Party fait à présent la promotion du solaire photovoltaïque. A l’occasion du Bloomberg New Energy Finance Summit qui s’est déroulé à New-York au même moment que le fameux colloque de l’Ademe sur l’électricité renouvelable, Debbee Dooley, l’une des co-fondatrices du mouvement, a déclaré : « nous pouvons aujourd’hui produire l’électricité solaire à 6,5 cents le kWh, ce qui est en dessous de la moyenne nationale ». Elle a aussi insisté sur le fait que l’énergie solaire décentralisée était très pertinente sur le plan de la sécurité (un thème de prédilection du Tea Party). « Notre système électrique centralisé est bien trop vulnérable aux attaques terroristes » a-t-elle martelé. La panique provoquée par les drônes survolant les centrales nucléaires en France abonde dans son sens.
Il serait peut-être temps qu’Atlantico mette à jour sa ligne éditoriale en matière énergétique. Le solaro-éolien connaît un boom phénoménal outre-Atlantique. Outre Atlantico, pour le directeur de l’ingéniérie du géant américain Google, Ray Kurzweil, le monde peut passer au 100% énergies solaires d’ici 20 ans.
Comme le souligne un rapport UBS dont Peter Diamandis, fondateur d’Xprize, a fait écho dans une tribune intitulée « Solar Energy Revolution : A Massive Opportunity », « les grandes centrales électriques actuelles seront les dinosaures du système électrique de demain : trop grosses, pas assez flexibles, même pas pertinentes pour assurer le back-up à long terme ».
Errare humanum est, perseverare diabolicum.
Par Olivier Daniélo
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