Médaille d’or du CNRS et président du Haut Conseil de la Science et de la Technologie de 2009 à 2013, Jean Jouzel est un expert à l’échelle internationale du changement climatique et vice-président du GIEC, le panel des experts de l’ONU sur l’évolution du climat. Le GIEC a notamment publié en 2011 une synthèse de la littérature scientifique mondiale en matière d’énergies renouvelables (le SRREN) dont la principale conclusion est que l’humanité peut passer à un mix énergétique aux ¾ renouvelable à horizon 2050. Depuis 2011 une très abondante littérature scientifique s’est ajoutée, et les coûts des écotechnologies énergétiques ont beaucoup baissé.
« Je mets souvent la stratégie allemande en avant » en matière de politique énergétique explique Jean Jouzel aux Techniques de l’ingénieur. « De façon positive bien entendu car je crois vraiment que ce sont eux qui sont sur la bonne voie y compris sur le plan économique ».
L’Allemagne s’est fixée comme objectif d’atteindre 80% d’électricité renouvelables à horizon 2050 (40% dès 2020) et a démontré être capable de faire régresser à la fois le nucléaire et les énergies fossiles (Lire à ce sujet sur Techniques de l’ingénieur : « En Allemagne la régression du nucléaire s’accompagne de celle du charbon »).
Problème, Maud Fontenoy a déclaré dimanche 22 mars qu’« en Allemagne, où là on a décidé de sortir du nucléaire (…) on a fait exploser les émissions de CO2 à cause du charbon ». Et Jean Jouzel a dans le passé aidé la Maud Fontenoy Foundation. « Effectivement, je suis dans le Comité Scientifique de la Fondation de Maud Fontenoy. Je l’ai fait dans l’idée de l’accompagner dans certaines des actions éducatives qu’elle mène (ce que j’ai effectivement fait) » explique le grand scientifique. Mais de préciser aussitôt « cela ne veut bien sûr pas dire que j’approuve ce qu’elle met en avant dans son ouvrage ».
Michel Drucker a présenté Maud Fontenoy comme « une écologiste intelligente ». Ajoutant que « si tous les écologistes ressemblaient à Maud de Fontenoy ils auraient encore plus de succès ». Ceci le jour des élections départementales. Le présentateur de France 2 a estimé que le livre de Maud Fontenoy (« Les raisons d’y croire, non au principe de précaution, OUI à l’innovation », Plon, 2015) est « un manifeste pour défendre une écologie réaliste et innovante au service de l’urgence climatique. Alors l’écologie réaliste, on y va, le gaz de schiste… ». Invitant alors Maud Fontenoy à commencer son plaidoyer à propos de cette énergie qui fait polémique en France comme dans le reste du monde. On comprend mal la logique de Michel Drucker selon qui le gaz de schiste pourrait être utile en France en matière climatique. Peut-être a-t-il oublié que le mix énergétique américain est très différent du français.
Pour Corinne Lepage, ex-Ministre de l’environnement d’Alain Juppé et administratrice de Transparency International France, un problème de déontologie se pose. « J’ai découvert avec stupéfaction les déclarations de Maud Fontenoy, invitée à « Vivement dimanche » alors que les vrais écologistes ne le sont jamais » a-t-elle déclaré aux Techniques de l’ingénieur. « Cela signifie qu’il s’agit d’une émission dans laquelle on a le droit de parler d’écologie à condition de défendre le nucléaire, les OGM, le gaz de schiste etc… C’est-à-dire d’être anti écolo. Une exception notable : celle de Nicolas Hulot. »
Et Corinne Lepage, notamment auteur du livre « L’état nucléaire » (Albin Michel, 2014) d’ajouter : « je pense que des personnalités qui utilisent leur notoriété comme le fait Madame Fontenoy pour être volontairement contre-productive à la cause qu’elle prétend défendre sont pires que celles qui comme Claude Allègre portent en bandoulière leur haine de l’écologie. Dans les propos qui ont été tenus, les à-peu-près, les contrevérités, les généralités qui n’ont aucun sens s’équilibrent. »
Transparence
Pour Hervé Kempf, ex-journaliste au Monde et fondateur du média indépendant Reporterre, qui vient de co-signer la tribune « Maud Fontenoy, l’imposture écologiste que le gouvernement prend en exemple », titre non sans rappeler un livre de Claude Allègre, un problème de transparence se pose : « Avec un tel positionnement, il n’est pas certain que Maud Fontenoy soit la plus indiquée pour enseigner l’écologie aux enfants. Ni, d’ailleurs, la transparence. Ni sa fondation, ni le ministère n’ont répondu aux appels répétés de Reporterre ». Révélant en outre que l’un des trois directeurs de la Maud Fontenoy Foundation, enregistrée aux Pays-Bas, est le milliardaire François Henri Joseph Pinault. Techniques de l’ingénieur a également tenté de joindre Maud Fontenoy par voie électronique et téléphonique afin de savoir quelles étaient sa/ses sources concernant l’évolution du mix électrique allemand. Aucune réponse. La secrétaire de la fondation, visiblement gênée, a confié que Maud Fontenoy avait reçu des tonnes de courriers « incendiaires » suite à son intervention dominicale.
« Le nucléaire est l’énergie la moins dangereuse pour l’homme » a affirmé Maud Fontenoy à Michel Drucker, visiblement conquis par le propos. « Et les accidents dues aux mines de charbon, au pétrole, à l’extraction et même aux énergies renouvelables font plus de morts que les accidents nucléaires » a ajouté la rameuse, n’hésitant pas à mettre dans le même panier des filières aussi différentes que le solaire photovoltaïque, le solaire thermodynamique, l’éolien, la micro-hydraulique, la grande hydraulique, la bioélectricité, la géothermie, l’hydrolien, l’ETM (énergie thermique des mers) ainsi que les énergies houlomotrices et marémotrices, dont le bilan doit bien entendu être effectué technologie par technologie. Une étude multicritère réalisée par le département énergie et atmosphère de Stanford University (Jacobson et al 2008) est arrivée à la conclusion que le bilan du nucléaire est aussi médiocre que celui du charbon avec CCS (Carbon capture and storage). L’éolien terrestre, suivi du solaire PV, parvenant au contraire au sommet du classement des énergies vertueuses.
Déontologie
« Ce qui est particulièrement dommageable, c’est qu’il n’y ait pas un journaliste en capacité de rétablir les faits et de veiller à ce qu’il n’y ait pas de désinformation » analyse Corinne Lepage à propos de l’émission « Vivement dimanche » du 22 mars 2015. Bien entendu ouverte à la liberté d’expression, l’ex-Député européenne estime que « chacun peut avoir l’avis qu’il veut car Dieu merci nous vivons dans un pays où il y a la liberté d’expression. En revanche, il ne faut pas confondre l’émission d’une opinion et la fourniture d’informations volontairement fausses. C’est là où il y a un problème. Et en particulier, la propagande anti allemande sur la question énergétique est à la fois stupide et mensongère. »
Denis Baupin, vice-président de l’assemblée nationale a présenté le 25 mars en commission ce graphique illustrant l’évolution du mix électrique allemand.
Pour Corinne Lepage, avocate du cabinet Huglo Lepage & Associés Conseil, l’un des experts reconnus en droit de l’environnement auprès de la Commission européenne, « dans 10 ans, lorsque toutes les preuves auront été apportées de la nocivité des pesticides, lorsque l’Allemagne aura réussi sa transition énergétique lors que la France sera engluée dans le nucléaire, lorsque l’exploitation du gaz de schiste aura été quasi abandonnée en Europe – à la condition qu’elle ait réellement commencé ce qui n’est pas le cas notamment en Pologne où toutes les entreprises étrangères se retirent les unes après les autres pour manque de rentabilité – des personnalités comme Madame Fontenoy et d’autres auront à répondre non pas d’erreur d’appréciation qu’elles auraient pu commettre, mais de fausses informations qu’elles auront délivrées. »
Le président François Hollande a promis à ses électeurs de réduire la part du nucléaire dans le mix électrique national de 75-80% aujourd’hui à 50% en 2025. Plusieurs études scientifiques montrent que passer à 90-100% d’électricité renouvelable est possible en Allemagne (Etude du SRU), aux USA (Etude du NREL)… et aussi en France. L’ADEME a effectivement confié à Mines ParisTech l’étude « vers un mix 100% électrique en France », ceci en partenariat avec plusieurs sociétés spécialisées de haut niveau. C’est une étude « stratégique pour le développement des énergies renouvelables qui est aujourd’hui essentiellement freiné par des problèmes d’acceptabilité eux mêmes nourris par des affirmations fausses du type « c’est trop cher » ou « comme çà ne produit pas quand on en a besoin donc ce n’est pas possible » » souligne l’un des auteurs de l’étude qui a préféré rester anonyme compte-tenu de la nature hautement politique du sujet. « Nous l’avons réalisée pour le compte de l’ADEME en partenariat avec Artelys et Energie Demain. L’ADEME se réserve la primeur de la présentation des résultats. »
Vivement un dimanche où ces études seront enfin présentées avec pédagogie aux Françaises et aux Français sur France 2, chaîne du service public.
Par Olivier Daniélo
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