La situation est inédite pour RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France et responsable de l’équilibre offre/demande. Il a présenté plus tôt que d’habitude sa traditionnelle analyse du passage de l’hiver, car le système électrique nécessite dès novembre une vigilance renforcée. Tout le monde s’inquiète en effet d’un possible recours à des coupures de courant et RTE tient à rassurer : ces délestages sont tout à fait évitables si les consignes de réduction de consommation sont adoptées par une majorité de Français.
Trois scénarios d’équilibre
Pour évaluer les risques, RTE a mené son analyse en combinant trois scénarios d’équilibre offre/demande et plusieurs configurations météo allant d’un hiver chaud à un hiver très froid. Les scénarios d’équilibre varient selon différents paramètres que sont le niveau de consommation, la production des différents parcs (nucléaire, hydraulique, solaire, éolien, centrales gaz, fioul et charbon), les moyens d’effacement de consommation (estimé à 3,9 GW) et les échanges transfrontaliers.
- Le scénario dit « dégradé » se base sur un niveau de consommation d’électricité similaire aux années pré-Covid et un approvisionnement en gaz tendu au niveau européen qui limiterait la possibilité d’importer de l’électricité de pays voisins (moins de 6,5 GW). Le même effet serait atteint si la disponibilité du parc nucléaire restait basse (actuellement seuls 25 GW sont en fonctionnement et 36 GW sont immobilisés pour cause de maintenance, d’arrêts fortuits, de baisse de puissance ou d’économie de combustibles, et de contrôles ou de réparations en lien avec les problèmes de corrosions sous contrainte).
- Le scénario « central » envisage aussi une consommation prolongeant la tendance actuelle, mais prévoit une meilleure disponibilité du parc nucléaire (45 GW en fonctionnement en janvier prochain) et un approvisionnement en gaz suffisant pour faire tourner des centrales électriques et bénéficier d’importations d’électricité de 9 à 12 GW.
- Le scénario « haut » imagine une disponibilité encore plus grande du nucléaire (50 GW en janvier) ou une baisse plus importante de la consommation grâce au plan sobriété du Gouvernement.
Dans tous les cas, si la production hydroélectrique a souffert cet été à cause d’un moindre remplissage des stocks d’eau, RTE considère qu’il n’y aura pas forcément de déficit hydraulique cet hiver : l’hydroélectricité sera certes moindre que les années passées, mais les appels de pointe pourront être assurés. Côté nucléaire, la vision de RTE se base sur des données probabilistes qui se révèlent cohérentes (même si un peu moins optimistes) avec les prévisions d’EDF sur la remise en marche des réacteurs arrêtés. Elles confirment, au passage, que les marchés de l’électricité reflètent mal la remontée en puissance du parc nucléaire qui devrait avoir lieu, et que les niveaux de prix à terme devraient en ce sens être plus bas que les niveaux constatés actuellement.
Mobiliser les actions citoyennes
Si les conditions météo s’avèrent contraignantes (chaque degré en moins mobilise 2 400 MW de puissance électrique supplémentaire), RTE sera obligé de mettre en œuvre des mesures de sauvegarde. Les plus classiques, mais très rarement utilisées sont l’interruption d’alimentation d’une dizaine de gros consommateurs industriels (dans un cadre contractuel où ils sont rémunérés pour cela), la baisse de tension du courant de 5 % (relativement transparente pour les ménages) et, en dernier recours, les procédures de délestage. Ces dernières sont des coupures temporaires (deux heures maximum) et tournantes au niveau géographique. Ponctuelles, elles ne concerneraient sur tout l’hiver qu’un total de 10 à 30 heures selon les efforts de sobriété. Surtout, elles ne représentent en rien un black-out, a tenu à préciser plusieurs fois le président du directoire de RTE, Xavier Piechaczyk.
Pour éviter d’en arriver au délestage, RTE lance le dispositif Ecowatt au niveau national afin d’informer un maximum de Françaises et de Français des écogestes supplémentaires à adopter. En impliquant des entreprises, des collectivités, les médias, etc., l’alerte du niveau « Ecowatt rouge » devrait être entendue par une grande majorité. Que devra-t-on faire à ce moment, c’est-à-dire lors des situations les plus tendues ? Toutes les économies d’énergie sont les bienvenues, ainsi que le décalage des consommations pour éviter les périodes les plus délicates (le matin de 8 h à 13 h et le soir de 18 h à 20 h). RTE a chiffré trois actions ayant un important impact.
- La baisse de la température de consigne du chauffage électrique d’un degré Celsius, voire deux, peut faire diminuer l’appel de puissance national de 2 à 2,9 GW le matin et le soir. Dans le tertiaire, un meilleur pilotage du chauffage des bâtiments est aussi bénéfique, de l’ordre de 1 à 2,5 GW le matin et de 0,6 à 1,8 GW le soir.
- Remplacer les ampoules par des LED, baisser l’éclairage dans le tertiaire et éteindre les lumières présentent aussi un potentiel non négligeable de 0,5 à 1,5 GW.
- La modération des appareils de cuisson peut faire gagner 10 % des 6 GW qui sont parfois appelés en hiver pour cet usage.
Au total, RTE estime que les effets de la sobriété et des décalages réguliers de consommation, cumulés à ceux du signal « Ecowatt rouge », peuvent engendrer une baisse de l’appel de puissance de 9 GW le matin et le soir. Soit environ 10 % du niveau de puissance typique du réseau électrique en hiver, ce qui sera crucial afin d’éviter des délestages. Le nombre de fois où ce signal sera activé dépend des conditions météo : dans beaucoup de cas ce sera seulement d’une à trois fois dans l’hiver, selon RTE ; mais dans les situations les plus dégradées, on pourrait monter jusqu’à une trentaine d’activations (voir tableau).
Même si la réalité des tensions sur les approvisionnements en gaz (voir encadré) et de la disponibilité du parc nucléaire reste à vérifier, RTE se veut rassurant. Le gestionnaire fera d’ailleurs un point d’actualisation de son analyse tous les mois. Il en appelle à une action généralisée de solidarité des citoyens : si chacun fournit des efforts, les risques de coupures d’électricité seront plus facilement écartés pour tous.
Quel passage de l’hiver pour le gaz ?
Les gestionnaires des réseaux de transport de gaz, GRTgaz et Terega ont également fait part de leur vision pour l’hiver 2022-2023. En cas d’hiver avec des températures moyennes, le système gazier pourra équilibrer les entrées et les sorties de gaz (autour de 393 TWh), mais devra néanmoins mobiliser toutes les ressources (stockages, importations par réseaux et par terminaux méthaniers). Les stockages de gaz sont déjà remplis à 94 %, ce qui est une bonne nouvelle. Mais si des journées très froides interviennent en début d’hiver, ils seront très sollicités et les déficits de gaz seront alors de 65 GWh par jour. Si les pointes de froid surviennent en fin d’hiver, la situation pourrait être plus critique : en effet, la puissance de soutirage des stockages est de 85 GW jusqu’à un taux de remplissage de 45 % et décroît ensuite. Dans le cas où l’hiver serait globalement très froid, le déficit en gaz atteindrait 16 TWh, soit 5 % de la consommation hivernale. Un manque qui, selon les gestionnaires, est compensable par des actions de sobriété, par l’interruptibilité des industriels volontaires, ou par le délestage de grands consommateurs en dernier recours.
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