La contribution carbone volontaire permet aux entreprises qui le désirent d’investir dans des projets agricoles, permettant aux agriculteurs de faire évoluer leurs pratiques sans pour autant mettre en péril la situation financière de leur exploitation.
Alors que le secteur agricole français rencontre toutes les peines à réaliser la transition vers des pratiques plus écologiques et durables, la contribution carbone est un levier, parmi d’autres, qui peut accompagner les mutations nécessaires du secteur.
ReSoil est une entreprise fondée en 2022 qui fait le lien entre les agriculteurs et les entreprises investies dans la contribution carbone volontaire, en portant des projets de transformation agricole, financés par des crédits carbone labellisés bas carbone.
Grégoire Alston, co-CEO de ReSoil, a expliqué à Techniques de l’Ingénieur le fonctionnement de ReSoil et les projets déjà mis en œuvre dans le monde agricole sur tout le territoire.
Techniques de l’Ingénieur : Quelle est la mission de ReSoil ?
Grégoire Alston : ReSoil est une entreprise qui a pour mission de favoriser la transition vers une agriculture durable pour la planète, viable économiquement pour les agriculteurs, et enfin comprise par tous. Concrètement, nous intervenons dans la mesure et le financement de la transition agricole. Un des leviers de financement de cette transition est le crédit carbone. La compensation carbone a fait l’objet de nombreux abus ces dernières années, notre but est donc d’apporter de la transparence et d’agir localement sur les projets que nous portons.
Nous avons une équipe d’ingénieurs agronomes qui accompagne les agriculteurs dans la mise en place de pratiques agricoles régénératrices : réduire le travail du sol, diversifier les cultures, introduire des légumineuses dans les rotations de cultures, augmenter les couverts végétaux pour générer plus de biomasse en interculture, changer les formes de fertilisations, mieux localiser l’azote.
Comment se déroule le diagnostic d’une exploitation et la mise en œuvre des changements de pratiques ?
Nous commençons par établir avec l’agriculteur un diagnostic carbone de son exploitation, qui est une forme de bilan carbone qui prend en compte les pratiques des trois dernières années d’activité, ce qui va nous permettre d’évaluer les émissions de CO2 liées au fonctionnement de sa ferme, et le stockage de carbone dans les sols, par photosynthèse et par apport de matière organique aux sols. A partir de là, nous allons, avec l’agriculteur, réfléchir à des changements de pratiques qui vont permettre de réduire les émissions et de séquestrer plus de carbone.
Ces réductions d’émissions et le stockage de carbone vont ensuite être convertis en crédits carbone, dans le cadre du référentiel public du label bas carbone, une certification reconnue qui apporte de la crédibilité aux initiatives de contribution carbone en s’assurant de l’impact réel des projets.
Vous faites donc le lien entre les agriculteurs et les financeurs de projet…
Nous sommes mandataires de l’agriculteur, c’est-à-dire que nous allons nous occuper de toutes les démarches administratives, de la labellisation du projet, de l’accompagnement agronomique lors de la mise en place du projet, et du financement du projet à travers la vente des crédits carbone générés, qui vont permettre de supporter le coût des ces changements de pratiques. Avec la volonté de rester dans une dimension très locale, en faisant directement le lien entre les agriculteurs et les entreprises qui vont financer les projets, lesquelles se trouvent majoritairement à quelques kilomètres des fermes où ils sont mis en œuvre. Les collaborateurs des entreprises qui financent les projets sont invités à visiter les fermes où ces derniers sont réalisés, ils peuvent également suivre leur évolution sur notre plateforme ReSink avec des photos, des vidéos, des explications, des supports de communication et des KPIs de suivi.
Quel est l’intérêt pour les agriculteurs de mener ce type de démarche ?
Il est double. D’abord, il y a pour les agriculteurs une question de résilience de leurs fermes. Dans leur immense majorité, les agriculteurs sont volontaires pour opérer une transition vers une agriculture plus durable, pour améliorer la qualité de leurs sols. La barrière est avant tout économique, puisque les changements à opérer pour eux vont leur faire perdre des revenus de production, ou nécessitent des investissements (ex : nouveaux outils agricoles). C’est là-dessus que nous pouvons les aider, en finançant ces changements via la finance carbone, afin que les agriculteurs puissent se focaliser sur les co-bénéfices à long terme de leurs changements de pratiques.
Le second point est très diffus pour l’instant, mais va prendre de l’ampleur dans les années à venir. Il s’agit d’une injonction croissante du marché, impulsée par les distributeurs finaux – les hypermarchés – en direction de leurs fournisseurs, avec la menace pour ces derniers de ne plus être référencés s’ils ne sont pas dans une trajectoire conforme aux accords de Paris en termes de réduction de leurs émissions. L’enseigne Carrefour a engagé des actions en ce sens-là avec ses 100 plus grands fournisseurs.
Or, 70 % des émissions du secteur agroalimentaire viennent de la matière première agricole. Ainsi, les agriculteurs ont tout intérêt à faire évoluer leurs pratiques, pour anticiper certaines évolutions réglementaires inéluctables dans un avenir proche.
Qu’est-ce qui va inciter les entreprises à investir dans les crédits carbone agricoles ?
L’aspect local peut jouer un rôle prépondérant. Pour les entreprises qui s’impliquent dans la contribution volontaire, il est beaucoup plus facile, par exemple, de trouver un projet agricole local qu’un projet forestier.
D’autre part, les projets liés à l’agriculture font souvent sens pour les entreprises, même quand ces dernières n’évoluent pas dans le secteur agroalimentaire. Par exemple, une entreprise cosmétique est forcément liée au milieu agricole pour ses matières premières : l’éthanol issu des betteraves sucrières pour les parfums, le blé pour les bases émulsifiantes. Une entreprise textile sera aussi liée à l’activité agricole de par son utilisation du lin, par exemple. Autrement dit, il est facile pour de nombreuses entreprises dans des secteurs d’activité variés de trouver une cohérence à soutenir des projets agricoles locaux, qui plus est avec les co-bénéfices qu’ils induisent, en termes de régénération des sols, de production de biogaz ou d’économies en eau.
J’ajouterai enfin que la plupart des agriculteurs avec qui nous collaborons sont jeunes, il peut donc être porteur pour les entreprises locales de les soutenir dans leurs changements de pratiques, à fortiori pour mettre en place une alimentation plus durable, dans une logique sociétale de favoriser le renouvellement des générations d’agriculteurs sur leur territoire, car un agriculteur sur 2 sera en âge de partir à la retraire au cours des 10 prochaines années.
Comment se répartissent aujourd’hui les crédits carbone consacrés aux projets de forêts et ceux consacrés à l’agriculture ?
Aujourd’hui, 90% des crédits carbone sont dédiés au développement de forêts, car quand on pense stockage de carbone, on pense immédiatement au fait de planter un arbre. Alors que l’agriculture également est un excellent moyen de stocker du carbone. Il y a tout un travail de pédagogie à faire pour convaincre les entreprises que l’agriculture est un moyen d’action crédible et efficace pour séquestrer le carbone.
D’ailleurs, en termes de temporalité, les projets agricoles sont plus pertinents que les projets forestiers en ce qui concerne la séquestration de carbone.
Un projet forestier, dans le cadre du label bas carbone, va stocker du carbone au bout de trente ans. Un auditeur va certifier, au bout de cinq ans, que le projet est en route et va stocker du carbone dans 25 ans, avec toutes les incertitudes – incendies, mortalité des arbres – que cela comporte.
En agriculture, au bout de 5 ans, le projet est terminé et le carbone a été séquestré sans risque de retour en arrière, même si l’augmentation du taux de matière organique dans le sol se fera sur un temps plus long. Une fois les changements de pratiques opérés, il y a très peu de chances que l’agriculteur revienne sur ses pratiques anciennes, au vu des co-bénéfices liés à ces changements.
Quel est le prix des crédits carbone agricoles ?
Le prix des crédits carbone va être calculé en fonction du coût de mise en place du projet agricole. Nous sommes actuellement dans une fourchette de prix entre 40 et 50 euros la tonne. Dans certains cas de figure, nous parvenons à descendre à 35 euros, lorsque les projets génèrent plus de réduction de GES que prévu initialement. A côté de cela, le prix des crédits carbones pour les projets forestiers labellisés bas carbone tourne aujourd’hui autour de 30 euros.
Ce qui fait qu’aujourd’hui, il y a plus d’offres que de demandes en ce qui concerne le financement des projets agricoles, car les entreprises, se tournent préférentiellement vers les projets forestiers, qui leur coûtent moins cher, et surtout pour lesquels elles sont plus au fait du fonctionnement.
Après, le but n’est pas d’opposer les projets forestiers et agricoles, il faut agir sur ces 2 leviers pour atteindre nos objectifs climatiques collectifs, mais une meilleure répartition des contributions volontaires sur ces deux typologies d’actions nous paraît indispensable.
Pourriez-vous présenter quelques projets qui illustrent les projets que vous conduisez ?
Sur les 145 projets que nous menons en ce moment, un quart accompagne des transitions d’agriculteurs en agriculture biologique, ou en transition vers une agriculture biologique.
Par exemple, nous avons fait financer un projet d’agriculture biologique, par une entreprise de data center située à 13 kilomètres de l’exploitation en transition. Ce projet totalise 1724 crédits carbones sur la durée du projet (5 ans), et donc autant de tonnes de réduction d’émissions de CO2 sur l’exploitation. Cela permet d’améliorer le bilan carbone net de séquestration de la ferme de 35 %.
Pour atteindre ces résultats, l’agriculteur a fait une conversion totale en bio en 2022, avec un arrêt total des intrants de synthèse, y compris les engrais, en les remplaçant par des engrais organiques, dont la production est moins émettrice.
Le projet comporte le développement très important de couverts végétaux à forte biomasse en interculture, et de la luzerne sur un quart de sa surface : cette légumineuse a l’avantage de stocker dans le sol de grandes quantités de carbone, mais aussi de fixer l’azote de l’air pour le restituer aux cultures suivantes. L’agriculteur va également réduire le travail du sol en arrêtant le labour avant certaines cultures.
Tout cela a permis de réduire les émissions, le stockage additionnel de carbone dans le sol via les couverts végétaux et la culture de luzerne compensant le déstockage de carbone lié aux plus faibles rendements de l’agriculture biologique.
Les co-bénéfices sont nombreux : arrêt des pesticides, réduction de la pollution de l’eau de 70% et réduction de la pollution de l’air de 90 %.
En savoir plus sur ce projet agricole
Vous menez également des projets à l’agriculture régénératrice.
L’agriculture de conservation présente également de nombreux co-bénéfices, en plus d’être un biais efficace de séquestration. Je pense par exemple à un projet dans la Vienne, chez un polyculteur éleveur. Ce dernier met en place un projet qui devrait générer 6 025 crédits carbone sur la durée du projet (5 ans), essentiellement sur de la séquestration (5835 tCO2eq). L’amélioration du bilan carbone de la ferme est ici de 124 %, c’est-à-dire que la ferme, qui émettait pour ses activités 970 tonnes de CO2 chaque année, est aujourd’hui stockeuse nette : elle stocke plus que ce qu’elle émet, ce qui est très rare.
L’agriculteur qui met en œuvre ce projet avait déjà arrêté le travail du sol en amont. Nous avons réfléchi ensemble une diversification des cultures avec des légumineuses pour réduire sa dépendance aux engrais azotés de synthèse. Il se sert de son élevage bovin pour la consommation des légumineuses, du fumier de son élevage pour fertiliser naturellement ses cultures, et a transformé des parcelles qui étaient peu productives en prairies temporaires, pour stocker du carbone. L’atelier élevage est au service des cultures et inversement, permettant une meilleure autonomie de la ferme.
En termes de co-bénéfices, l’agriculteur est parvenu à une baisse de d’utilisation des pesticides de 15 %, de l’érosion des sols (- 18 %), de la consommation d’énergies fossiles (- 15 %). On observe également des gains sur la qualité de l’eau, et des baisses sur les consommations d’eau et d’énergies fossiles.
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Propos recueillis par Pierre Thouverez
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