Comme le souligne Fatih Birol, le directeur général de l’agence internationale de l’énergie, « l’énorme perturbation causée par la crise du coronavirus a mis en évidence à quel point les sociétés modernes dépendent de l’électricité. Des millions de personnes sont désormais confinées à leur domicile, recourant au télétravail pour faire leur travail, aux sites de commerce électronique pour faire leurs courses et aux plateformes de streaming vidéo pour trouver du divertissement. Une alimentation électrique fiable sous-tend tous ces services, ainsi que l’alimentation des appareils que la plupart d’entre nous tiennent pour acquis, tels que les réfrigérateurs, les machines à laver et les ampoules. »
En France, action/réaction
Dès l’annonce du confinement général en France, RTE a anticipé une baisse des consommations (moins de bureaux occupés, moins de trains, etc.). Un peu tôt d’ailleurs, puisque les véritables baisses sont intervenues deux jours plus tard.
Les prévisionnistes de RTE ont d’ailleurs eu bien du mal à prévoir pour les jours suivant le 17 mars les consommations « la veille pour le lendemain (soit en J-1) », signale Jean-Marc Jancovici, président du Shift Project, sur son compte Twitter. Il faut dire qu’il était particulièrement difficile de connaître à l’avance le comportement de la population face à cet événement. Reste que, dès jeudi 19, la chute de la demande est patente et prise en compte par RTE, avec quelque 15 % de recul de la demande électrique par rapport à la semaine précédente.
De son côté, EDF a lancé dès le départ le plan « pandémie », mis au point lors des crises du SRAS en 2003. Objectif : maintenir les activités essentielles pour assurer la production d’électricité nécessaire en France. Dans un communiqué publié le 23 mars, après une semaine de confinement et une certaine stabilisation des consommations, EDF précise que la suspension d’opérations de maintenance des installations de production due au confinement impose une remise à plat des programmes d’arrêts de tranches nucléaires (qui fournissent toujours quelque 75 % du courant en France). L’objectif est là encore d’assurer la disponibilité maximale à court terme (en opérant au plus vite les opérations de rechargement des réacteurs, afin qu’ils soient disponibles rapidement) et à moyen terme, afin de ne pas reporter les arrêts jusqu’à l’hiver 2020-2021 (c’est aussi cela la prévision moyen terme).
A l’étranger, en Europe
En Europe, en moyenne, la demande a reculé de 2 % à 7 % par rapport à la semaine dernière.
« En Italie, bien que la baisse la semaine dernière ait été de 12 %, il y avait déjà un impact de 8 % par rapport à la semaine précédente, ce qui implique un impact total de 20 % sur les deux dernières semaines », signalent les consultants de Ember, le 23 mars, qui s’appuient sur les données de l’association européenne des gestionnaires de réseau électriques, Entso-E. Premier pays à avoir été touché en Europe, l’Italie a enregistré des baisses de la demande d’électricité dès la semaine du 2 au 8 mars ; Cela ne s’est pas produit ailleurs en Europe. En outre, l’Italie a imposé de nouvelles interdictions cette semaine (fermeture des usines « non vitales »), ce qui signifie que davantage d’industries et de services seront fermés et que l’impact sur la demande d’électricité pourrait même dépasser 20 %. Vendredi dernier, la régie de Milan A2A a déclaré que le coronavirus était responsable d’une baisse de 15% de la demande d’électricité dans toute l’Italie et que la baisse atteignait jusqu’à 25% dans les régions du nord de l’Italie, rapporte Ember.
En Espagne, l’impact sur la semaine passée a été de -10 % sur la demande d’électricité, mais jeudi 19 a connu la plus forte baisse avec 16 %. La baisse de la demande d’électricité en Allemagne s’est accélérée à 6 % vendredi 20, alors que davantage d’industries ont fermé au cours de la semaine (aucune donnée n’a encore été rapportée pour le week-end par Entso-E). Le Royaume-Uni, qui n’avait toujours pas pris de mesures drastiques de confinement, a connu l’un des plus petits impacts jusqu’à présent. Néanmoins, insistent les consultants, chaque pays a connu un certain impact ; par exemple, la Pologne a enregistré des baisses quotidiennes d’environ 5 % du lundi au vendredi.
Conséquences sur les prix et le marché du CO2
L’électricité en Europe, c’est un marché sur l’ensemble de la plaque de cuivre (les pays sont tous interconnectés et interagissent). Quand la demande chute et que la production est encore là, les prix baissent. Et quand, comme dimanche dernier, le soleil et le vent sont au rendez-vous, comme ces énergies ont « priorité sur le réseau », les prix plongent carrément. Résultat, à midi, toute l’Europe est en prix négatifs (eh oui, on paie pour pouvoir voir son électricité prise sur le réseau…). Le bilan pour les producteurs est catastrophique, puisqu’ils vendent « à perte » ou à des prix inférieurs à leurs coûts de production, sauf pour les énergies renouvelables qui bénéficient d’un tarif d’achat fixe. Autant dire qu’un déficit est à prévoir à terme entre ces subventions et les prix de marché.
Bien entendu, des centrales s’arrêtent aussi pour ne pas surproduire. Et les centrales qui s’arrêtent en premier sont celles qui avaient été appelées en dernier, c’est-à-dire les moyens fossiles au gaz notamment… Puis, les centrales au charbon. Selon le think-tank AgoraEnergiewende, sur la seule Allemagne, les émissions de CO2 devraient ainsi reculer entre 10 et 25 millions de tonnes, à cause de la crise du Covid-19.
Bilan de l’opération, les prix sur le marché des quotas d’émissions de CO2 reculent fortement depuis la semaine dernière. Ils sont passés à 15,45 euros par tonne le 23, contre autour de 23 euros par tonne, début mars. Le marché du CO2 (ETS, en initiales anglaises) venait péniblement de se remettre sur pied depuis un an environ, après une grave crise. La chute du prix sur l’ETS prélude un retour en force des capacités au charbon, qui se voyaient « sorties » du marché puisqu’elles devaient payer le prix du CO2 en plus. Et comme il y aura des quotas non utilisés, pour cause de chute de la demande européenne, il y a fort à parier que le prix du CO2 sur le marché restera faible, pour au moins la seconde moitié de l’année, donnant un avantage aux centrales au charbon, plus émettrices, sur celles au gaz… Les consultants de Ember estiment désormais que la Commission européenne devrait agir pour éviter un effondrement dudit marché du CO2.
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