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En Allemagne, la régression du nucléaire s’accompagne de celle du charbon

Posté le 16 mars 2015
par La rédaction
dans Énergie

[Chronique]
La formule « davantage d'énergies renouvelables = davantage d’énergies fossiles » est-elle fondée ? L’Allemagne démontre que non.

Chacun se souvient des propos pour le moins maladroits de Ségolène Royal en matière énergétique lors de son face-à-face avec Nicolas Sarkozy à l’occasion des élections présidentielles de 2007, ce dernier tenant d’ailleurs des propos du même acabit. Devenue ministre de l’énergie, et répondant au groupe EELV, Ségolène Royal a récemment affirmé à l’Assemblée Nationale : « c’est vrai que certains pays ont renoncé au nucléaire, comme l’Allemagne et l’Italie. Mais force est de constater que pour l’un ils ont rouvert des mines de charbon, je ne pense pas que cela soit le modèle énergétique que vous souhaitez ». (Intervention complète ici sur le site de la Chaîne Parlementaire).

Est-il exact que la production électrique à base de charbon a augmenté consécutivement à la baisse de la production électro-nucléaire en Allemagne ?

La production électro-nucléaire allemande baisse depuis 2006, soit 5 ans avant la catastrophe nucléaire de Fukushima du 11 mars 2011. D’après les données AGEB (AG Energy Bilanzen e.V.) datées du 12 décembre 2014 et rapportées par le Consultant Bernard Chabot (diapo 25), entre 2006 et 2014, elle a reculé de 70 TWh. Sur la même période le couple charbon-lignite a reculé de 25 TWh, le gaz de 16 TWh et le fioul de 5 TWh, soit un recul global de 46 TWh pour les énergies fossiles. Il est donc erroné d’affirmer que le recul du nucléaire s’accompagne d’une hausse de l’électricité d’origine fossile.

Le véritable driver du changement est qu’entre 1990 et 2014 les EnR ont progressé de 20 TWh à 157 TWh. Soit un gain de 137 TWh en 24 ans (moyenne de +5,7 TWh par an, un niveau 7 fois plus élevé que celui observé en France), dont 86 TWh depuis 2006. Cette hausse n’est pas due à la grande hydraulique mais à l’éolien, à la bioélectricité et plus récemment au solaire photovoltaïque. « La production renouvelable est à présent supérieure à celle provenant du lignite, du charbon, du gaz et du nucléaire » souligne Bernard Chabot. « Et ce déclin du nucléaire et du gaz est compensé par les énergies renouvelables, pas par le lignite et le charbon. »

Le dogme, répété de manière pavlovienne, selon lequel « davantage de renouvelables conduit nécessairement à davantage de centrales fossiles », et son corollaire « nous avons besoin du nucléaire pour sauver le climat », sont tout simplement infondés. L’Allemagne le démontre de manière claire et nette : les énergies renouvelables sont capables de faire reculer d’emblée toutes les énergies sales, génératrices de gaz à effet de serre ou de déchets toxiques et à très longue durée de vie.

La tendance de fond à l’échelle multidécennale (1990-2014), c’est-à-dire celle qui est vraiment pertinente, est que la production du couple charbon-lignite baisse en Allemagne. Plus vite pour le charbon que pour le lignite. La hausse (une vingtaine de TWh) passagère du charbon-lignite entre 2011 et 2013, très médiatisée en France par les communicants liés au business nucléaire, s’explique principalement par le recul rapide du gaz. Puis entre 2013 et 2014 le charbon a reculé de 10 TWh et le lignite de 4 TWh. Au final, le couple charbon-lignite est revenu en 2014 au même niveau qu’en 2010. A part quelques exceptions, les médias français mainstream ont curieusement été beaucoup moins bavards pour faire connaître cette réalité aux Françaises et aux Français. Le modèle énergétique allemand n’évolue absolument pas vers davantage de charbon.

Internet a écrasé le Minitel

La très forte poussée des EnR, il est vrai fortement dérangeante pour le business de ceux qui ont investi dans les énergies sales et qui veulent préserver leur rente, s’accompagne de la régression de toutes ces dernières. Pour le député Européen Yannick Jadot (EELV) « il faut libérer la France et François Hollande de l’influence néfaste des grands groupes de l’énergie qui nous tirent en arrière ».

Pour reprendre la belle formule de Denis Baupin, Député de la 10e circonscription de Paris et Vice-Président de l’Assemblée Nationale, il y a ceux qui sont encore à l’ère du Minitel, et tous les autres qui sont passés à Internet. Le Minitel nucléaire coûte très cher. Areva peut en témoigner.

En Allemagne, les EnR ont répondu à 27% de la demande nationale en 2014. 40% de l’électricité pourrait être d’origine renouvelable dès 2020. L’objectif est d’atteindre le niveau de 80% en 2050. Au Danemark l’objectif est 100% à cet horizon. En France, l’objectif de réduction de la part du nucléaire de 75% à 50% en 2025 est compromis : le Sénat a retiré la date 2025 et Ségolène Royal a déclaré que « cela ne change pas grand-chose ». Sauf que quiconque n’a pas d’objectif clair et précis ne risque pas de l’atteindre. Le renoncement, c’est maintenant ? Rappelons qu’avant les présidentielles de 2007 Ségolène Royal était favorable à une sortie totale du nucléaire à horizon 2040.

Pour Corinne Lepage, ex-Ministre de l’Environnement du gouvernement Juppé, « la disparition d’un objectif à 2025 pour la part du nucléaire dans le bouquet énergétique n’est pas anecdotique ; cet amendement sénatorial vient en réalité sonner le glas d’un engagement présidentiel sur un sujet majeur de la politique énergétique de la France et même de la politique économique de la France. »

Olivier Daniélo


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