Camille Bardou est cheffe de projet au sein d’Emmaüs Connect. Cette association du mouvement Emmaüs lutte contre la précarité numérique en fournissant aux personnes en situation d’exclusion numérique de la connexion, du matériel adapté à leurs besoins, et un accompagnement aux usages. Elle a répondu aux questions des Techniques de l’Ingénieur.
Les entreprises, les administrations et les organisations en tout genre disposent de stocks d’ordinateurs qui ne sont pas ou plus utilisés. De plus de plus de structures d’insertion se mettent en place pour collecter et valoriser ces appareils, soit en les réparant en les reconditionnant et le cas échéant en les recyclant pour les valoriser sous forme de matière.
Emmaüs Connect œuvre depuis plus de dix ans pour sortir des personnes de l’exclusion numérique. Depuis un an et demi, l’association développe via Lacollecte.tech, une véritable filière de collecte, de reconditionnement et d’accompagnement, pour mettre en adéquation le gisement que constituent les appareils numériques non utilisés par les organisations précédemment citées, et la nécessité d’équiper un public dans l’incapacité financière d’accéder à ces produits eux-mêmes.
Techniques de l’Ingénieur : Présentez-nous Emmaüs Connect.
Camille Bardou : Face aux inégalités croissantes engendrées par la société du tout numérique, Emmaüs Connect est une association du mouvement Emmaüs, fondée il y a dix ans, pour lutter contre la précarité numérique. Pour relever ce défi, nous avons mis en place une stratégie s’appuyant sur le triptyque suivant : équiper, connecter et accompagner. C’est autour de ces trois axes que nous développons, dans nos treize points d’accueil et via la mobilisation de structures de l’action sociale, les compétences pour accompagner les personnes qui sont orientées vers nous par des travailleurs de l’action sociale. Nous aidons aussi les travailleurs de l’action sociale à favoriser leur montée en compétences, sur les trois volets de notre action.
Comment déployez-vous ces trois volets sur le terrain ?
Il nous faut absolument développer en même temps trois actions – équipement, connexion, accompagnement – pour obtenir des résultats concrets et pertinents sur le long terme, et réellement sortir les personnes de la précarité numérique.
Sur le volet connexion, nous travaillons avec SFR, qui nous vend des forfaits, des recharges, et des datas à tarif solidaire.
Ensuite, nous accompagnons les personnes en les recevant dans nos points d’accueil, pour les aider au cas par cas et résoudre leurs difficultés liées à l’utilisation d’outils numériques adaptés à leurs besoins. Il faut bien comprendre que les problématiques qui touchent ces populations sont très variées, un accompagnement personnel est donc parfois nécessaire.
Enfin, le sujet de l’équipement, qui constitue le cœur de la lutte contre la précarité numérique. Le prix actuel des équipements numériques coupe de facto certaines personnes totalement du numérique, nous l’avons constaté lors des différents épisodes de confinement.
C’est la raison pour laquelle nous avons créé, il y a un an et demi, Lacollecte.tech. Aujourd’hui, huit millions de Français n’ont pas d’appareils numériques. A côté de cela, plus de deux millions d’entreprises déclarent disposer dans leurs stocks d’équipements en état, rangés, dont ils ne savent pas quoi faire. Notre volonté est donc de faire coïncider ce gisement avec les besoins existants.
A quelle échelle voulez-vous mettre en place ce réseau de collecte et de reconditionnement ?
Notre volonté est de mettre en place, sur tout le territoire, une filière de collecte, de reconditionnement et de vente d’équipements numériques à tarifs solidaires (150 euros maximum pour un ordinateur portable). La clé de voûte de ce système est aujourd’hui le reconditionneur. Nous mettons en place, dans chaque région, des collectifs s’appuyant sur l’expertise de structures d’insertion locales qui vont collecter et reconditionner du matériel numérique. A l’heure actuelle, le projet est développé dans cinq régions. Depuis un an et demi, nous avons récolté 20 000 appareils dans nos centres de reconditionnement et déjà équipé 10 000 personnes.
Quelle est votre stratégie pour convaincre des organisations de vous faire don de leurs appareils numériques surnuméraires ?
Le but est de réellement simplifier les démarches pour le donateur et lui permettre d’avoir une traçabilité fine de son don. Nous allons collecter le matériel sur place, nous fournissons reçus fiscaux, certificats d’effacement de données, bilan social, économique et environnemental du don, bref: on s’occupe de tout ! Mais il faut savoir que nous faisons face à une concurrence importante pour l’accès à ces gisements, certaines entreprises paient pour récupérer les surplus informatiques dont les entreprises veulent se débarrasser, sans forcément leur offrir une vision sur ce que deviennent les équipements. Pour pouvoir récupérer ces matériels gratuitement, nous faisons en sorte de limiter au maximum les contraintes pour le donateur et de mettre en avant le réel impact social du don.
Comment faites-vous pour constituer un stock de pièces détachées pour le reconditionnement des appareils ?
Nous employons une technique plus connue sous le nom de cannibalisation. Certains appareils ne peuvent pas être reconditionnés, tout en contenant certains composants en bon état. Cela donne la possibilité à nos reconditionneurs de constituer des stocks de composants, qui leur permettent d’augmenter leur capacité à reconditionner de plus en plus d’appareils à partir de pièces détachées de seconde main.
Cela dit, il faut préciser que nous sommes aujourd’hui toujours tributaires du marché chinois pour l’approvisionnement en batteries et en cartes mères par exemple. Ces composants sont à l’heure actuelle très rarement reconditionnés.
Quoi qu’il en soit, nous sommes fiers de pouvoir compter sur l’expertise de reconditionneurs solidaires pour nous permettre d’accroître notre capacité à reconditionner un grand nombre d’appareils. Bien évidemment, il est important pour nous de collecter, quand cela est possible, des appareils similaires. Cela facilite grandement le travail des reconditionneurs et la constitution de stocks pertinents.
D’ailleurs, depuis peu, la loi permet aux collectivités de céder leur matériel à des organisations d’intérêt général, ce qui nous aide à élargir le spectre de notre activité.
Quelle est la priorité à l’heure actuelle pour poursuivre le développement de Lacollecte.tech ?
Notre priorité absolue à l’heure actuelle, c’est d’être en capacité de fournir au public concerné par la précarité numérique du matériel de seconde main et de qualité, avec un retour en SAV aussi rare que possible. Pour cela, il nous faut homogénéiser autant que possible le matériel collecté, de même que les process de reconditionnement, encore une fois pour avoir un taux de SAV le plus faible possible. Les constructeurs ont un rôle non négligeable à jouer puisqu’ils peuvent travailler sur la modularité et la réparabilité de leurs équipements.
Dans notre Manifeste pour le réemploi solidaire des équipements numériques, nous proposons 10 mesures pour faire bouger les lignes, parmi celles-ci, la mise en place d’un chèque-équipements à destination des ménages précaires.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
Crédit image de une : Emmaüs Connect
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