Créée en 2017 en Charente, Elicit Plant se consacre depuis lors à la formulation de biosolutions à base de phytostérols destinées à aider les plantes à lutter contre des stress dits « abiotiques », tels que le manque d’eau. Une problématique face à laquelle l’entreprise commercialise ainsi d’ores et déjà un premier produit à destination du maïs – le BEST-a – en France, en Ukraine, et au Brésil. Elle compte désormais s’ouvrir à d’autres cultures et à d’autres marchés.
Pour y parvenir, Elicit Plant peut compter sur la plateforme technologique qu’elle a elle-même mise au point – EliTerra – qui lui permet en effet de formuler des biosolutions spécifiquement adaptées à chaque culture et à chaque stress visé : sécheresse, fortes chaleurs, excès de salinité… Forte d’une équipe de 75 personnes réparties entre la France, le Brésil et l’Ukraine, Elicit Plant a intégré il y a un peu plus d’un an le programme French Tech Agri 20, et a récemment rejoint le Programme French Tech 2030. Jean-François Déchant lève le voile sur les avancées, mais aussi les ambitions de l’agri-biotech qu’il a cofondée et dont il est aujourd’hui à la tête.
Techniques de l’Ingénieur : Comment Elicit Plant a-t-elle vu le jour ?
Jean-François Déchant : Nous sommes trois fondateurs : Olivier Goulay, Aymeric Molin et moi-même. Olivier est celui qui a identifié l’innovation que nous portons comme des pionniers aujourd’hui dans le domaine de l’agriculture : les phytostérols. Sa volonté était d’établir les laboratoires au cœur d’une ferme pour raccourcir les cycles de développement de produits, avec un circuit court entre le labo et la ferme… C’est ainsi que nous avons rencontré Aymeric Molin, qui est à la fois agronome, et propriétaire des lieux. C’est cette ferme qui nous permet, depuis 2018, de réaliser des essais des biosolutions que nous développons à partir de ces phytostérols.
Au fil des années, notre équipe s’est enrichie de nombreux profils originaires de France, mais aussi de l’étranger. Cette évolution s’inscrit dans notre ambition de faire d’Elicit Plant un leader mondial de la lutte contre les stress abiotiques que subissent les grandes cultures : manque d’eau, chaleur…
Comment définiriez-vous l’offre d’Elicit Plant ?
Notre positionnement est unique dans le secteur : nous offrons des biosolutions pour les grandes cultures, destinées à la lutte contre les stress abiotiques, en particulier le stress hydrique.
Les grandes cultures sont inscrites dans des logiques de marché globales, mondialisées… Dans ce cadre, il est parfois compliqué pour les agriculteurs de gagner correctement leur vie. Le secteur subit en outre une pression économique qui freine l’émergence de solutions innovantes. La pression sur les prix est importante, et cela ne favorise pas le changement des pratiques ; pratiques largement basées sur les solutions proposées par l’industrie agrochimique…
Nous avons donc voulu apporter une innovation technologique basée non pas sur des produits phytosanitaires conventionnels, mais sur des « biosolutions », à base de phytostérols. Nous avons ainsi développé la seule plateforme technologique basée sur ces substances et tournée vers les grandes cultures. Ce type de culture couvre en effet près de 25 % du territoire français. Si l’on souhaite faire évoluer l’agriculture française, il faut donc concentrer une bonne partie de nos efforts sur ces grandes cultures, en prenant en compte un paramètre clé, l’évolution climatique, qui est majeure, et qui a un impact déterminant sur les rendements. L’agriculteur subit donc, d’un côté, la pression économique, et de l’autre cette pression climatique. Notre objectif est de l’accompagner dans ces changements, car l’agriculteur est directement touché par des pertes économiques liées au changement climatique.
Que sont ces phytostérols que vous avez évoqués à plusieurs reprises ?
Les phytostérols sont des molécules constitutives des membranes cellulaires des plantes. Des études scientifiques menées, pour les plus anciennes, il y a déjà une vingtaine d’années, ont montré que les plantes utilisent ces substances pour se protéger contre différents stress.
Lorsqu’une plante est exposée à un stress, elle réagit via un processus métabolique qui implique, à un moment donné, la biosynthèse de phytostérols. Cela lui permet notamment de reconstituer ses membranes cellulaires. Nous utilisons donc ces pouvoirs des phytostérols pour aider la plante à réagir face à différents stress. C’est, en quelque sorte, l’équivalent de l’immunothérapie en médecine humaine : on stimule, on « élicite » – d’où le nom de l’entreprise – le mécanisme de défense des plantes en pulvérisant à sa surface ces fameux phytostérols.
Il existe environ 200 de ces molécules dans la nature et chaque plante possède des représentants de cette famille qui lui sont propres. Chaque stress a aussi un impact différent en matière de phytostérols. Notre travail de R&D consiste donc à identifier, pour chaque plante, les phytostérols mis en jeu face à un stress spécifique, et à créer ainsi les traitements préventifs adaptés, permettant à la plante d’anticiper sa défense face à un futur stress.
Une fois que vous les avez identifiés, comment synthétisez-vous ces phytostérols ? Comment testez-vous ensuite leur action ?
Nous ne les synthétisons pas ! Nous procédons en fait par extraction à partir de plantes. Nous formulons ensuite ces extraits végétaux pour créer nos différents produits. Nous disposons pour cela de trois laboratoires : de chimie, de biologie, et d’agronomie. Ils travaillent conjointement pour formuler ces produits, de l’extraction à la pulvérisation.
La fabrication de nos produits en tant que telle est quant à elle réalisée par une filiale du groupe agricole coopératif InVivo, dans son usine Phyteurop.
La particularité de nos produits est leur absence totale de toxicité. Pour preuve : les phytostérols sont également utilisés dans l’alimentaire et en santé humaine. Sur un plan réglementaire, nous avons constitué des dossiers très complets qui présentent des résultats scientifiques démontrant l’absence de toxicité de nos produits sur les plantes traitées et l’environnement.
Nous avons installé nos laboratoires dans les anciennes granges d’une ferme, entourée de champs dans lesquels nous réalisons nos essais. L’une des difficultés de notre métier consiste en effet à passer du laboratoire au champ. Qui plus est pour des stress abiotiques. Un stress biotique implique en effet de gérer un couple plante-pathogène, alors que dans le cas d’un stress abiotique, nous avons à gérer tout un « écosystème » multifactoriel, très difficile à reconstituer dans une chambre de culture. Il est donc déterminant, pour nous, de passer rapidement du laboratoire au champ. Pour nos essais, nous devons également composer avec des cycles de développement très lents, en lien avec les saisons. Les régimes réglementaires sont également compliqués. Les temps de sortie d’un produit sont donc assez importants. Nous avons créé la société en 2017 avec un premier produit dont le développement était déjà en partie achevé, mais pas totalement optimisé pour l’agriculture. Nous n’avons cependant obtenu l’autorisation réglementaire qu’en 2021, pour une commercialisation en 2022 en France. Et ce ne sera pas le cas avant 2026, voire 2027 pour les USA, l’un des marchés les plus exigeants en matière d’autorisations… Sortir un nouveau produit implique donc pour nous des cycles de trois à dix ans, en fonction notamment des exigences en matière d’autorisations de chaque État. Nous allons toutefois de plus en plus vite grâce à la plateforme technologique que nous avons développée.
Qu’est-ce qui se cache derrière cette notion de « plateforme technologique » que vous évoquez ?
Il s’agit effectivement d’un terme spécifique, un concept un peu abstrait, néanmoins très usité dans le domaine des biotechnologies. Nous avons une technologie de base, une formulation chimique brevetée, à partir de laquelle nous développons différents produits. C’est cela que nous appelons « plateforme technologique ». Nous l’avons baptisée EliTerra. Pour chaque culture, et potentiellement chaque stress, nous pouvons, grâce à cette plateforme, développer un produit différent. Nous pouvons même agréger d’autres molécules sur notre plateforme de base, si c’est nécessaire.
Notre approche concrète est celle de la pulvérisation foliaire de phytostérols. Ces substances se trouvent, à l’état brut, sous forme de poudres. Notre technologie brevetée a aussi pour vertu de permettre à ces corps gras d’entrer dans les feuilles des plantes, un milieu qui est pourtant globalement hydrophile.
À quel(s) produit(s) avez-vous d’ores et déjà pu donner naissance sur la base de cette plateforme EliTerra ?
Notre premier produit, destiné au maïs, s’appelle le BEST-a. Il est en effet composé d’un phytostérol qui est le bêta-sitostérol. Cette substance va « éliciter » un signal sur le maïs qui va lui permettre de diminuer, pendant toute la saison culturale, sa consommation en eau, qu’il soit ou non irrigué. Pour entrer plus dans le détail : la pulvérisation de ce produit sur le maïs déclenche, dans la plante, des actions à trois niveaux. La première d’entre elles est la fermeture partielle des stomates – les pores des plantes – qui permet de diminuer l’évapotranspiration. Le maïs peut en effet habituellement perdre jusqu’à 95 % de son eau via ce mécanisme ! On peut donc sans trop de soucis diminuer quelque peu cette transpiration sans perturber le mécanisme de croissance de la plante… Au contraire ! Le deuxième effet de la pulvérisation de notre produit consiste en effet en une augmentation de la masse foliaire des plantes.
Et à ceci s’ajoute, enfin, une troisième action aboutissant quant à elle à une augmentation de la taille des racines, permettant au maïs d’aller chercher plus en profondeur l’eau dont il a besoin.
La conséquence de ces mécanismes conjugués est qu’en fin de récolte, le maïs a plus de rangs, plus de grains de maïs par rang et des grains plus lourds au sein de ces rangs. La biomasse générale de la plante est elle aussi accrue. Toutes les composantes du rendement du maïs s’en trouvent ainsi augmentées.
Sur le plan pratique, notre produit se destine à une pulvérisation sur le maïs jeune, au moment où il couvre le sol, au stade 6-10 feuilles. Il peut être appliqué à l’aide d’un pulvérisateur agricole conventionnel, à raison d’un litre à l’hectare. Les mécanismes préventifs que j’ai décrits vont ainsi être déclenchés, et ce pour toute la saison culturale.
Êtes-vous parvenus à quantifier les effets de ce produit ?
Il y a deux ans, certaines parcelles ayant bénéficié d’un traitement par notre produit ont connu, après une saison très pluvieuse, un important épisode de sécheresse qui avait duré pratiquement tout le mois de septembre… Dans ces conditions, notre produit a permis d’obtenir un rendement largement supérieur à des parcelles non traitées, avec jusqu’à 30 % de gains. Dans des conditions excessivement sèches, notre produit n’est toutefois pas une solution miracle ! Au global, sur plusieurs années, où les conditions vont s’équilibrer, notre produit permet en tout cas des gains de rendement substantiels.
Nous avons réalisé des essais dans la Corn Belt étasunienne, dans différents États du Brésil, en France ou encore en Ukraine, et tous les résultats se sont révélés concordants, avec un gain moyen à l’hectare de l’ordre de 800 à 1 000 kg dans des conditions optimales, soit une augmentation de rendement de l’ordre de 12 %.
Nous avons à ce jour mené plus d’un millier d’essais sur plusieurs années, qui ont montré une très forte stabilité des résultats, contrairement à beaucoup d’autres biosolutions basées quant à elles sur des microorganismes dont l’effet est très dépendant des variations des conditions environnementales d’une année sur l’autre. Ces résultats nous ont permis de convaincre plus d’une centaine de coopératives et distributeurs en France, en Ukraine, au Brésil et maintenant en Europe.
Le premier produit que nous commercialisons concerne donc le maïs, mais nous venons d’annoncer d’autres biosolutions, de nouvelles formulations pour le tournesol et l’orge de printemps. Nous avançons culture par culture et avons pour ambition, à terme, de couvrir les besoins de toutes les grandes cultures. Chacune d’elle représente environ 100 millions d’hectares… Les enjeux sont donc énormes.
Nous sommes pour l’heure présents, via nos distributeurs, dans trois pays : la France, le Brésil et l’Ukraine. Au fil de l’obtention des autorisations de mise sur le marché de nos produits, nous espérons ensuite conquérir dès 2024 les marchés européen, sud et nord-américain.
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