Quels sont les effets sur le long terme des doses diffuses ? Ceux-ci sont plus délicats à quantifier que les effets à court terme. Je suivrais pour en expliquer les effets le raisonnement de Richard Muller dans son cours « physics for future presidents ». On considère qu’une exposition à 25 Sv a 100 % de chances d’induire un cancer. Cela peut sembler paradoxale puisqu’on a vu que l’on meurt très rapidement « par empoisonnement » à partir de 10 Sv. La solution de ce paradoxe est dans ce qu’on appelle l’hypothèse linéaire : on suppose qu’il est équivalent de soumettre 1 personne à 25 Sv et 25 000 personnes à 1 mSv. Cela peut sembler absurde et cette hypothèse est souvent remise en cause par les spécialistes. Cependant, il faut bien garder à l’esprit que l’apparition d’un cancer n’est pas « systématique » et qu’il faut raisonner de manière statistique.
En application du principe de précaution, les organismes nationaux et internationaux utilisent cette hypothèse pour quantifier les conséquences des expositions aux faibles doses de radioactivité. Sans rentrer dans la controverse (parfois violente), nous retiendrons cette hypothèse et allons en explorer les conséquences.
Pour 25 000 personnes soumises à 1 mSv, statistiquement, 1 personne développera 1 cancer
On pourra également retenir que l’exposition à 1 mSv augmente notre probabilité d’avoir un cancer de 1/25000 soit 0,004 %.
Voyons les conséquences de cette hypothèse. En France, la dose environnementale annuelle reçue du fait de la radioactivité naturelle et médicale est de 3 à 4 mSv par individus (avec de fortes variations selon l’endroit où l’on vit, son métier, etc.). Soit une dose de 3,5×60 millions = 210 millions mSv reçue annuellement en France. Cela provoque donc à priori 210 millions divisé par 25 000 = 8 400 cancers par an. Ce chiffre peut sembler énorme mais il est encore loin derrière les 66 000 décès par an lié au tabagisme. Il est également à comparer à la probabilité de mourir d’un cancer qui est de l’ordre de 25 % (moins pour les femmes et plus pour les hommes). 8400 personnes souffrant d’un cancer représente 0,014 % de la population totale. Cela veut donc dire que l’environnement radioactif participe de 0,014 % au 25 % de risque d’avoir un cancer.
Autre exemple d’application de l’hypothèse énoncée plus haut : chacun d’entre nous est radioactif (du fait entre autre du carbone 14 et du potassium 14). La dose reçue est d’environ 0,25 mSv/an. Le risque de cancer par auto-contamination est donc de 0,25×0,004=0,001 %. Ce chiffre est insignifiant devant le risque naturel. Cependant, il signifie malgré tout qu’environ 600 personnes développent un cancer auto-induit en France chaque année !
Combien de personnes sont mortes à Hiroshima des conséquences à long terme de la radioactivité ? Selon Richard Muller, moins de 1 %. Cela peut paraitre paradoxale mais voyons le raisonnement : à part les personnes loin du centre de l’explosion, très peu de personnes ont survécus aux effets conventionnels de la bombe (effet thermique de l’explosion sous la forme d’une boule de feu) et aux effets à court terme d’une exposition à la radioactivité. Les meilleurs estimations donnent 52 000 survivants qui ont reçu une dose moyenne de 200 mSv. Cela induit que 200×52000=10 400 000 mSv ont été reçues. En divisant par 25 000 on arrive à 416 cancers soit 0,8 % des 52 000 survivants. On estime le nombre de victimes d’Hiroshima entre 50 000 et 150 000, il y a donc eu moins de 1 % de mort par cancer du fait de la bombe.
L’exemple de Tchernobyl
Un dernier exemple très controversé, ce qui nous permettra de voir les limites de ce raisonnement : les conséquences de l’accident de Tchernobyl. En 1986, l’un des réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose du fait d’une succession d’erreurs humaines (voir le descriptif de l’accident sur le site astrosurf). Des matériaux radioactifs furent dégagés dans l’atmosphère et se dispersèrent dans toute l’europe (voir l’image satellite ci-contre). On estime que l’humanité a reçu une dose de 600 000 000 mSv. Cet accident aurait donc induit 600 000 000/25 000 = 24 000 cancers (il s’agit d’une estimation grossière, qui relève plus de l’ordre de grandeur que du décompte exact des cancers). Mais ses conséquences ne s’arrêtent pas là. En effet, ces considérations statistiques ne décompte que les cancers directement induits par la radioactivité et ne prennent pas en compte le processus de mutation génétique (pathologies cardiaques, diabètes, naissances difformes, etc.) qui peut se répercuter de générations en générations, affectant plus particulièrement les enfants, 20 ans après la catastrophe (voir par exemple cet article sur le site d’UNICEF).
Il est évident que les conséquences d’une radio-exposition sont complexes. Inhaler des poussières radio-actives n’a pas les mêmes conséquences qu’une exposition à la radioactivité par la peau. Certains organes sont plus sensibles que d’autres, certains sujet également (en particulier les enfants, les adolescents et les femmes enceintes). Les considérations statistiques ne prennent pas en compte les individus (par définition) et lorsqu’on dit que telle exposition induit 100 cancers de plus que la normalité ce qui est insignifiant statistiquement, c’est toujours 100 cancers de trop, surtout si un choix politique permet de les éviter. Néanmoins, ces estimations permettent de donner une idée des conséquences d’une exposition à une faible dose de radioactivité. Sans minimiser les effets d’une catastrophe du type Tchernobyl, elles permettent de relativiser les effets de la radioactivité naturelle : vivre dans une belle maison en granit rose a certainement beaucoup plus de conséquences positives que de conséquences négatives liées à l’activité radioactive du granit (qui contient des traces d’uranium).
Par Cédric Lémery
Cet article se trouve dans le dossier :
Nucléaire : la guerre des chiffres
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