Interview

EcoTechnilin : des solutions à base de fibres naturelles au service de l’industrie

Posté le 16 mai 2024
par Benoît CRÉPIN
dans Matériaux

Créée en Normandie il y a un peu plus de vingt-cinq ans, la PME EcoTechnilin est aujourd’hui l’un des leaders européens de la production de solutions techniques à base de fibres naturelles : lin, chanvre, ou encore kenaf. Des solutions aux multiples atouts, qui se destinent à plusieurs secteurs industriels, à commencer par celui de l’automobile.

Combinées à une résine plastique, les fibres naturelles utilisées par EcoTechnilin confèrent à ses solutions des propriétés particulièrement intéressantes pour de nombreuses applications industrielles : légèreté, rigidité, absorption des vibrations et des sons… Le tout, avec une empreinte carbone réduite. Autant de vertus qui ont su séduire une cinquantaine de donneurs d’ordre, des équipementiers de rang 1 aujourd’hui clients de la PME Normande. EcoTechnilin livre ainsi ses solutions – présentées sous forme de rouleaux ou de formats – à environ 150 sites de production en Europe. Des usines qui se chargent alors de thermoformer ces matériaux de base en fonction de leurs besoins.

Avec un chiffre d’affaires de 16 M€ en 2023, l’entreprise connaît une forte demande, notamment de la part des équipementiers automobiles européens, avec qui elle entretient des relations privilégiées par le biais, notamment, du Pôle de compétitivité NextMove. Pour poursuivre son développement, outre les travaux de R&D auxquels elle accorde toujours une importance majeure, EcoTechnilin envisage d’investir prochainement le marché nord-américain, comme nous le révèle son directeur commercial, Arnaud Lievre.

Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous, en quelques points clés, nous présenter EcoTechnilin ?

Arnaud Lievre est directeur commercial d’EcoTechnilin depuis juin 2023. © EcoTechnilin

Arnaud Lievre : EcoTechnilin a été fondée en 1998. Elle s’est implantée en Normandie, car son cœur de métier repose sur la transformation du lin. La région s’avère en effet un leader mondial de la production de fibre naturelle de lin, en concentrant à elle seule 60 % des volumes de lin non oléagineux produits à travers le monde. L’idée d’intégrer du lin dans des produits techniques avait, déjà en 1998, un sens écologique prononcé. Il aurait donc été dommage d’annuler les intérêts environnementaux de cette fibre naturelle par une production trop éloignée du lieu de transformation.

EcoTechnilin appartient aujourd’hui à la coopérative agricole NatUp, qui fédère près de 7 000 agriculteurs et vise à valoriser, sur leur territoire de production, des ressources issues de la nature produites grâce à une agriculture performante et innovante. EcoTechnilin fait donc partie d’un écosystème qui lui apporte à la fois des garanties de proximité, mais aussi une certaine solidité sur le plan économique.

L’entreprise est aujourd’hui dirigée par Karim Behlouli, également à la tête de La French Filature et Lemaitre Demeestere, regroupées avec EcoTechnilin au sein de la division Fibres de NatUp. Il est donc un très grand spécialiste de la fibre naturelle.

EcoTechnilin est aujourd’hui une PME qui compte environ 80 salariés, répartis sur quatre sites de production. Les deux premiers transforment respectivement le lin pour en faire du fil et du tissu. Les deux autres, basés à Valliquerville en Normandie pour l’un, et à Tychy, en Pologne pour l’autre, fabriquent quant à eux des non-tissés à base de fibres de verre et de polypropylène, mais aussi de fibres naturelles, qui constituent notre valeur ajoutée la plus différenciante.

Nous travaillons ainsi principalement trois fibres naturelles : le lin, le chanvre et le kenaf[1], une fibre principalement produite au Bangladesh. Attractive sur le plan économique, ses caractéristiques écologiques et techniques moindres nous poussent à mettre davantage l’accent sur les fibres de lin et de chanvre, produites quant à elles très majoritairement en France.

Quels procédés mettez-vous en œuvre pour transformer ces fibres naturelles ?

Pour le lin, EcoTechnilin travaille avec ce que l’on appelle la fibre courte de la plante. C’est une fibre qui était auparavant peu utilisée, car difficilement valorisable dans l’industrie textile. Elle est d’abord traitée de façon à la rendre la plus propre, la plus utilisable possible, en lui retirant les anas[2]. Il en va de même pour le chanvre, auquel on retire cette fois la chènevotte, de façon à n’avoir quasiment plus que de la fibre.

Ce traitement est effectué au sein de nos filiales, ou par certains de nos fournisseurs. Nous réceptionnons donc ces fibres naturelles sous forme de balles. Nous les disposons alors en début de ligne de production aux côtés de balles de fibres synthétiques de polypropylène.

EcoTechnilin produit des non-tissés à base de fibres naturelles sous forme de mats, d’une largeur maximale de 2,4 m. © EcoTechnilin

Nous avons aussi la possibilité de mélanger plusieurs types de fibres naturelles, du kenaf et du chanvre par exemple. Les recettes sont définies en fonction des attentes de nos clients. Chaque fibre présente en effet des caractéristiques mécaniques différentes. Il en va de même pour les proportions et la densité des produits mis en œuvre.

EcoTechnilin a pour particularité de pouvoir produire ainsi des non-tissés à base de fibres naturelles sur des largeurs maximales de 2 m 40, avec un seul procédé d’assemblage, de nature mécanique. Une fois parfaitement mélangées, avec la densité souhaitée, ces fibres sont assemblées les unes aux autres avec un système d’aiguilletage, qui nous permet à la fois d’aplatir et d’assembler les fibres. On obtient ainsi des « mats », qui sortent en bout de chaîne sous forme de rouleaux. Ceux-ci peuvent être livrés tels quels à nos clients, mais aussi, le plus souvent, découpés sous des formats spécifiques pour répondre à leurs besoins.

Quels sont les principaux produits qui peuvent être fabriqués à partir de ces mats ? En tant que membre du Pôle de compétitivité NextMove, le secteur automobile concentre sans doute à lui seul beaucoup de débouchés pour vous…

En effet ! L’automobile pèse aujourd’hui pour 92 % du CA d’EcoTechnilin. Les principaux exemples de produits issus de nos solutions dont donc naturellement très liés à ce secteur, où nos produits sont majoritairement utilisés pour fabriquer des éléments non visibles par les conducteurs, car recouverts d’un matériau d’habillage : intérieurs de portes, encapsulages de moteurs, tableaux de bord, vide-poches, tablettes arrières de coffre… Bref, des pièces de renfort qui nécessitent de la rigidité, de la résistance à la chaleur et à l’humidité et auxquelles la fibre naturelle apporte un gain sur le plan de la légèreté, mais aussi de l’insonorisation et de la diminution des vibrations, par rapport à la fibre de verre. Un autre atout extrêmement important est le gain écologique de ces produits. Par rapport à la fibre de verre, une tonne de lin « pèse » en effet bien moins lourd en matière d’empreinte carbone : 123 kg de CO₂ contre 2 500… Il s’agit là d’un critère très important, quand on sait que les constructeurs automobiles tendent aujourd’hui vers le net zero à un horizon très court. Tous les grands constructeurs ont donc aujourd’hui adopté la fibre naturelle : Renault, Stellantis, BMW, Ferrari… Nous sommes aussi présents sur le marché du poids lourd, ainsi que sur celui du véhicule de loisirs.

Nous fournissons à ces clients nos solutions, qu’ils se chargent de transformer en panneaux thermoformés. Ils utilisent pour cela des presses à chaud, qui permettent de faire fondre le polypropylène et de donner ainsi sa forme définitive à la pièce.

Où le coût de vos solutions se situe-t-il, par rapport à de la fibre de verre par exemple ?

Le coût de nos solutions en fibres naturelles est aujourd’hui légèrement plus élevé que celui de la fibre de verre. L’un de nos plus gros concurrents reste toutefois plutôt le secteur des thermoplastiques, qui assure en effet des coûts au kilo ou au mètre carré beaucoup plus bas.

Les objectifs écologiques ambitieux de l’industrie automobile constituent toutefois un vrai atout pour nos solutions. Les demandes que nous recevons sont de plus en plus nombreuses. Les constructeurs sont en effet en train d’adopter une philosophie de plus en plus orientée en faveur de l’écologie.

Quelles sont les autres applications possibles de vos solutions à base de fibres naturelles, outre celles que vous évoquiez dans ce secteur automobile ?

EcoTechnilin est aujourd’hui également présente sur le marché du design – pour la fabrication de meubles par exemple – mais aussi dans le domaine agricole, pour lequel nous fabriquons des rouleaux de paillage, ainsi que celui des sports et loisirs : ski, snowboard… mais aussi sports de raquette. Un fabricant célèbre – Babolat – a en effet intégré à l’un de ses modèles phares une pièce en lin, qui permet de limiter les vibrations.

Quels volumes de fibres naturelles êtes-vous en mesure de traiter chaque année ?

Aujourd’hui, EcoTechnilin dispose d’une capacité de production annuelle de 12 000 tonnes sur ses deux sites de production. Nous allons, d’ici le premier trimestre 2025, passer à une capacité de 16 000 tonnes grâce à l’installation d’une quatrième ligne de production sur notre site polonais de Tychy.

Au-delà de la production, quelle importance accordez-vous à la poursuite de vos travaux de R&D ?

Cet aspect reste pour nous important. Aujourd’hui, le développement technologique des solutions EcoTechnilin répond à une stratégie mise en place depuis plus de cinq ans, que nous avons baptisée UpGreen. Elle consiste à diminuer toujours plus l’impact de nos produits sur l’environnement. Nous utilisons pour cela nos propres savoir-faire, mais aussi ceux de nos cousins de NatUp. Cela nous a par exemple amenés à fabriquer du non-tissé unidirectionnel, un matériau de renfort, mais aussi esthétique, capable de remplacer de nombreux produits synthétiques dans le domaine des composites.

Nous ciblons aussi le secteur automobile, pour lequel nous visons la fabrication de pièces pré-habillées avec des matériaux naturels.

Nous consacrons désormais une grosse partie de notre budget R&D à un projet baptisé RECYTAL®, qui vise à récupérer les chutes chez nos clients du secteur automobile, de façon à pouvoir les broyer et les réintégrer dans notre production à hauteur de 20 à 30 %. Cela va donc permettre de recycler un produit qui a déjà une empreinte écologique très faible.

Hormis cette extension prochaine de vos capacités de production à 16 000 tonnes annuelles que vous évoquiez, quels autres objectifs de développement visez-vous éventuellement ?

À moyen terme, nous visons un développement sur le marché nord-américain. Nous sommes toujours en pleine croissance sur le marché européen – nous devrions atteindre une croissance de 25 % à l’issue de notre prochain exercice qui va de juin à juillet – néanmoins, cette croissance n’est pas directement liée à la dynamique du marché. Nous avons donc la volonté d’aller conquérir ce marché nord-américain, sur lequel nos solutions sont aujourd’hui connues, mais encore peu déployées pour des questions essentiellement logistiques. Bon nombre de nos clients ont des implantations dans le monde entier, et plus particulièrement en Amérique du Nord, où ils nous incitent donc à développer des solutions de proximité.

Plus largement, notre ambition est de continuer à développer nos relations avec nos partenaires équipementiers. Nous avons aussi la volonté d’aller au contact des constructeurs, non pas pour qu’ils deviennent nos clients directs, mais pour faire connaître à leurs responsables RSE et du design nos solutions écologiques, afin qu’ils en fassent la demande auprès de leurs fournisseurs équipementiers. Le réseau NextMove constitue d’ailleurs pour cela un véritable atout.


[1] Hibiscus cannabinus.

[2] Partie ligneuse de la paille de lin.


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