Sous ses apparences ludiques et enfantines, Dynamilis cache de puissants algorithmes de machine learning, fruits de plus de cinq années de recherche. Associée à un stylet, l’application pour tablette numérique se révèle en effet capable d’analyser très finement et dynamiquement l’écriture manuscrite d’un enfant, et ce en l’espace d’une minute. Une analyse qui permet de proposer un programme d’activités ludiques d’apprentissage du geste graphomoteur aux quelque 34 % d’enfants confrontés à des difficultés d’écriture, comme l’a montré une étude publiée au début des années 2000. Des enfants dont certains sont même confrontés à des troubles sévères. On parle alors de « dysgraphie », un ensemble de troubles qui touche quant à lui une part d’environ 10 % des élèves au niveau mondial (6 % en l’occurrence dans l’étude précitée), et qui requiert alors un suivi thérapeutique.
Directeur général de School Rebound et co-créateur de Dynamilis, Thibault Asselborn nous retrace la genèse de cet outil numérique et nous dévoile les fonctionnalités et les intérêts de cette application novatrice lancée sur le magasin[1] d’applications en ligne d’Apple en mars 2022.
Techniques de l’Ingénieur : Quelles ont été les grandes étapes de développement de l’application Dynamilis ?
Thibault Asselborn : Tout a démarré avec un prototype, qui s’appelait à l’époque de sa création – en 2018 – Tegami. Ce prototype reposait alors sur des travaux de recherche qui étaient en cours de réalisation. De 2018 à 2020, nous avons poursuivi activement ces étapes de recherche fondamentale. Nous avons ainsi, petit à petit, pu perfectionner nos algorithmes, accumuler des données… Avant d’aboutir, en 2021, à la création d’une start-up. Cela nous a permis de lancer la première version commerciale de l’application, mise en ligne sur l’AppStore d’Apple en mars 2022. Depuis lors, nous avons continué à améliorer cette application, qui en est aujourd’hui à sa trente-cinquième version.
Notre constat de l’époque était le suivant : pour analyser l’écriture et détecter les éventuelles difficultés, tout se faisait sur papier. Or, le papier n’offre qu’une « photographie » figée de l’écriture. Écrire implique pourtant un mouvement profondément dynamique. À l’inverse du papier, les tablettes, associées à un stylet, permettent quant à elles justement d’enregistrer un grand nombre de données primordiales sur la dynamique de l’écriture. Des données qui permettent ainsi d’analyser beaucoup plus facilement et efficacement l’écriture.
Nous avons publié notre premier article scientifique en 2018, sur la base d’un jeu de quelques centaines de données. Depuis, nous avons très largement élargi notre base, qui compte aujourd’hui plus de 15 000 données.
Nous avons par ailleurs découvert que les anomalies enregistrées grâce à la tablette – telles que les micro-tremblements du mouvement de la main lors de l’accélération – étaient conservées par l’enfant lorsqu’il passe d’une langue à une autre. Nous avons alors facilement pu transposer nos algorithmes dans d’autres langues. Outre le français, l’application est ainsi désormais disponible en italien, en allemand et en anglais.
Nous avons aussi montré la possibilité de transférer nos algorithmes de l’alphabet latin à l’alphabet cyrillique. Nous avons même de premiers éléments qui semblent indiquer un transfert possible entre l’anglais et le chinois, qui utilisent pourtant des alphabets complètement différents.
Nous avons aussi fait évoluer nos algorithmes vers une version dite « non supervisée », qui permet en quelque sorte à l’algorithme de trouver par lui-même les caractéristiques les plus pertinentes pour déceler les difficultés d’écriture.
La technologie nous permet en effet de mesurer de nombreux paramètres : les coordonnées en x et en y du stylet par rapport à l’écran de la tablette, la pression entre le stylet et la tablette, ainsi que son inclinaison, et tout cela 240 fois par seconde, ce qui nous permet d’engranger énormément de données.
Nous avons d’autre part travaillé avec des thérapeutes et des enseignants pour définir des caractéristiques clés de l’écriture : les micro-tremblements que j’évoquais, mais aussi plusieurs paramètres liés aux changements de pression – par exemple la fluidité de ces changements de pression – ou encore d’autres facteurs associés quant à eux aux changements d’inclinaison. Nous avons donc déterminé cet ensemble de facteurs, que nous avons ensuite laissé le soin à l’algorithme de définir les plus importants et les plus intéressants pour analyser l’écriture.
Il y a un an, une psychométricienne a par ailleurs intégré l’équipe de Dynamilis. Cette thérapeute de l’écriture nous a permis d’améliorer encore un peu plus l’application.
Sur la base de ces travaux de recherche et ces développements progressifs, à quelles fonctionnalités avez-vous abouti, très concrètement, pour l’application Dynamilis ?
La plus grosse différence par rapport à notre prototype de 2018 repose sur l’ajout d’une partie consacrée à l’apprentissage et à l’amélioration de l’écriture. Elle vient ainsi compléter les fonctionnalités d’analyse intégrées depuis les débuts de l’application. Pour cette partie, l’enfant est d’abord invité à dessiner un chat, puis à écrire un petit texte. Nos algorithmes se chargent ensuite d’analyser les mouvements effectués et fournissent des résultats en une minute environ, contre une vingtaine pour les tests sur papier… L’application génère ainsi toute une série de scores qui décrivent le profil d’écriture de l’enfant, à commencer par un score global, entre 0 et 100, qui permet de situer l’enfant par rapport à la norme. Il peut n’y avoir aucun problème, ou de petites difficultés qui peuvent être réglées par un enseignant ou par l’application, ou éventuellement de grosses difficultés d’écriture. Dans ce cas, cela nécessite un suivi thérapeutique et l’application l’indique alors clairement. À ce score global s’ajoutent des scores sur la vitesse, la pression, l’inclinaison, les aspects statiques… qui permettent de dresser le profil d’écriture de l’enfant, et nous indiquent où se situent ses forces et ses faiblesses, et donc ses besoins d’entraînement.
Cela nous amène à la deuxième partie. Pour celle-ci, nous avons co-créé avec des enseignants et thérapeutes douze jeux. Chacun d’entre eux est recommandé en fonction de l’analyse réalisée au préalable et cible un aspect spécifique de l’écriture : contrôle de la pression, de l’accélération, de la précision, de la dextérité digitale, de l’inclinaison, etc.
Quel est le temps d’utilisation nécessaire pour obtenir des améliorations de l’écriture ?
Cela est bien sûr très variable, mais ce que nous constatons, de concert avec les enseignants et les thérapeutes, est qu’une utilisation régulière de quinze minutes par jour permet déjà d’obtenir des résultats concrets. Nous continuons toutefois nos travaux de recherche dans le but d’évaluer précisément l’efficacité de l’application sur le long terme. Nous savons en tout cas d’ores et déjà que l’application permet, en complément du travail des enseignants et thérapeutes, une amélioration de l’écriture plus rapide que lorsqu’elle n’est pas utilisée.
Notre objectif reste que ces progrès aboutissent finalement à un transfert sur papier, et permettent ainsi à l’enfant de se sentir plus à l’aise dans toutes les tâches qui impliquent l’écriture.
Qui sont les utilisateurs de l’application, et combien sont-ils pour l’heure ?
Nous avons essentiellement trois marchés : les parents, les thérapeutes et les enseignants. Parents et thérapeutes ont déjà à eux seuls réalisé 20 000 téléchargements de l’application sur l’AppStore, depuis son lancement. En ce qui concerne les enseignants, et donc les écoles, cela est plus difficile à quantifier. Nous sommes en tout cas impliqués dans des projets pilotes dans plusieurs cantons suisses et écoles allemandes, mais aussi dans plusieurs départements français, notamment le département du Doubs, dans lequel nous sommes par exemple en train de réaliser une étude visant à mesurer l’efficacité de l’application. Certains cantons suisses – du Jura, de Berne et de Soleure – ont quant à eux officiellement prévu de faire entrer l’application dans leurs écoles dès la rentrée prochaine.
Quelles sont les perspectives en matière d’évolutions de l’application ? Avez-vous également d’autres projets par ailleurs ?
Dynamilis concerne l’écriture, mais nous avons, à terme, l’objectif de créer un portfolio d’applications – ou une application regroupant un ensemble d’outils – permettant de faire travailler l’écriture, certes, mais aussi la lecture, voire les maths… Bref, un outil d’éducation à « 360° ». Mais cela reste une perspective à moyen ou long terme. Notre but pour l’instant reste avant tout de faire connaître Dynamilis, après son déploiement à l’international.
Au départ cantonnée à la France, la Suisse et l’Italie, l’application est en effet, depuis quatre mois, distribuée dans le monde entier, à l’exception de la Russie et de la Chine. Notre objectif pour les mois à venir va donc consister à étendre la palette des langues couvertes par l’application : espagnol, arabe, japonais… Nous avons par ailleurs observé la plus grosse croissance de nos téléchargements aux États-Unis.
L’écriture cursive semble justement en déclin outre-Atlantique…
Aux États-Unis, le système scolaire accorde peu d’importance à la façon dont les enfants écrivent, et il existe donc très peu de thérapeutes de l’écriture. Énormément d’enfants – plus qu’en Europe – ont pourtant des problèmes d’écriture, qui vont in fine engendrer des problèmes dans leur scolarité. Je pense donc que nous avons une carte à jouer là-bas.
Certains États abandonnent en effet l’écriture attachée, au profit du script, mais aussi de l’utilisation des claviers, qui est grandissante. Un retour en arrière est toutefois observé dans plusieurs autres pays… De nombreux travaux de recherche montrent en effet l’importance de l’écriture manuscrite, notamment pour la mémorisation.
Que dit justement la littérature scientifique des liens entre difficultés d’écriture et difficultés scolaires ?
Des travaux de recherche ont montré un lien très étroit entre ces deux aspects. L’écriture est un élément central dans les programmes scolaires à travers le monde : l’enfant écrit pour raconter ses vacances… mais aussi pour faire de l’Histoire, ou des maths. Si l’enfant n’a pas automatisé son écriture, quand on va lui demander, par exemple, de raconter ses vacances, il va se concentrer uniquement sur la façon de former les lettres et va donc devoir effectuer une double tâche. Cela va l’empêcher de développer d’autres fonctions cognitives. Il existe ainsi une forte corrélation entre difficultés d’écriture et niveau scolaire. Il est donc très important de détecter précocement les problèmes d’écriture, afin d’y remédier le plus tôt possible. Cela permet en effet de libérer l’enfant de la tâche d’écriture, en la rendant automatique.
Il s’agit d’ailleurs de l’un des avantages offerts par Dynamilis : l’application permet d’effectuer très facilement et très rapidement – en l’espace d’une heure – un dépistage à l’échelle d’une école entière. Cela permet d’identifier les enfants qui sont en difficulté face à l’écriture, ou ceux qui potentiellement le seront. Ce diagnostic précoce permet ainsi d’agir à la source avant que ces problèmes aient des conséquences négatives sur la scolarité de l’enfant.
[1] Dynamilis est proposée aux parents sous la forme d’un abonnement (10 € par mois, ou 60 € par an). Pour les écoles, le prix de base est de 150 € par an pour un enseignant et toute sa classe, mais un tarif dégressif est proposé dans le cas où plusieurs classes, toute l’école, voire des groupements scolaires ou des départements tout entiers souhaitent utiliser l’application. Pour les thérapeutes, le tarif varie en fonction du nombre d’enfants suivis.
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