Des chercheurs de l’IPGP (Institut de physique du globe de Paris) ont mis en évidence, pour la première fois, la formation à haute pression et le piégeage de carbone organique et solide dans la lithosphère. Cette découverte lève le voile sur un réservoir majeur de ce composé dans les profondeurs de la terre.
Le cycle profond du carbone décrit le processus de régulation de la planète entre la terre profonde et l’atmosphère. Son étude consiste à déterminer la manière dont le carbone, initialement contenu dans les roches, va être dégazé vers l’atmosphère, puis piégé à nouveau dans le manteau. Une équipe de chercheurs de l’IPGP (Institut de physique du globe de Paris) a mis en évidence, pour la première fois, la formation à haute pression et le piégeage de carbone sous la forme organique et solide dans la lithosphère. Cette découverte, parue dans Science Advances, lève le voile sur un réservoir majeur de carbone organique dans les profondeurs de la terre.
« Ce cycle profond du carbone reste encore méconnu, car l’intérieur de la terre n’est pas directement accessible, analyse Baptiste Debret, chercheur CNRS à l’IPGP. Il ne faut pas le confondre avec le cycle court dont on entend beaucoup parler à cause des rejets de CO2 dans l’atmosphère et qui provoquent le réchauffement climatique. Ce cycle profond se déroule sur des centaines de millions d’années, une durée a priori trop longue pour contrecarrer l’augmentation du CO2 anthropique dans l’atmosphère. Son étude est malgré tout fondamentale, car le carbone joue un rôle primordial dans le développement de la vie sur terre. On sait par exemple que la formation de l’Himalaya a affecté les conditions ambiantes chimiques à la surface de la planète. »
Au cours du programme de forages océaniques IODP (International Ocean Discovery Program), les scientifiques ont dans un premier temps foré des volcans de boue gigantesque, qui affleurent à la surface de l’océan au niveau de la subduction des Mariannes. Il s’agit d’une zone où la lithosphère océanique pacifique s’enfonce sous la plaque des Philippines. Cette zone est unique au monde, car elle abrite des volcans de boue qui permettent la remontée de morceaux de manteau hydraté issus des profondeurs allant de 15 à 25 km.
Des prélèvements ont été réalisés, et étant donné que ce manteau interagit avec la zone de subduction, les échantillons récoltés sont un témoignage des échanges chimiques entre la surface de la planète et la profondeur de la terre. Après analyse, les scientifiques ont découvert que ce carbone n’est pas présent sous la forme inorganique, c’est-à-dire de carbonate, mais sous la forme organique.
Jusqu’à 54 % du carbone stocké pourrait être sous forme organique
« Le carbone organique a la particularité de se présenter sous la forme de liaison CH, explique Baptiste Debret. Il est généralement associé à l’action du vivant, et était jusqu’alors observé sous forme solide à la surface de la Terre. Nous démontrons via notre étude que ce type de carbone peut aussi se former dans la terre profonde, sans l’action du vivant. Dans un échantillon, il est très difficile de démontrer qu’une forme de carbone organique est abiotique, car lorsqu’on prépare un échantillon avec des méthodes conventionnelles, il va forcément se contaminer en carbone organique biologique. La spécificité du laboratoire de Géomicrobiologie de l’IPGP est qu’il dispose de techniques de préparation et d’analyse des échantillons dans un environnement sans contamination par le carbone. »
Les chercheurs émettent l’hypothèse que ce carbone organique sous terre se formerait par réduction de carbonates volatilisés lors de la déshydratation de la plaque plongeante pacifique. Grâce à des méthodes indirectes isotopiques, ils ont cherché à quantifier les volumes stockés dans cette zone de subduction des Mariannes. Résultat : ils pourraient représenter entre 0,05 et 0,39 mégatonne de carbone par an, et jusqu’à 54 % du carbone embarqué vers les profondeurs de la planète seraient ainsi stockés sous forme de carbone organique.
Cette découverte met en lumière un nouveau réservoir de carbone dans la terre profonde. Elle soulève un grand nombre d’interrogations : qu’advient-il de ce carbone ? Quelle est sa dynamique ? « On se demande par exemple s’il va être enfoui plus en profondeur, et auquel cas être recyclé à l’intérieur de la planète, et participer au cycle long du carbone ? poursuit Baptiste Debret. Ou alors est-ce un réservoir qui échappe à ce recyclage profond et qui va rester stocké en profondeur, puis va être mobilisé par la tectonique des plaques lors de la formation de chaîne de montagnes ? » Ce projet de recherche fondamentale va se poursuivre pour tenter de répondre à toutes ces questions.
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