La filière du BTP a enrôlé tardivement les techniques de réalité virtuelle ou augmentée pour améliorer la conception des projets. La tendance va s'accélérer avec la généralisation de la maquette numérique.
Dans la promotion immobilière, la réalité augmentée (RA) et la réalité virtuelle (RV) se systématisent. «Dès qu’un nouveau programme immobilier est décidé, les grandes entreprises pour lesquels nous travaillons (Bouygues, Icade, Nexity…) demandent de plus en plus fréquemment de réaliser une application mobile dédiée et sur mesure qui sert à visualiser le projet en 3D» confie Xavier Gallée, responsable commercial pour l’industrie chez Artefacto, une agence spécialisée dans la RA, la RV et la modélisation 3D. La maquette 3D du bâtiment s’affiche automatiquement sur le smartphone ou la tablette à partir d’un plan 2D, identifié au préalable par l’application logicielle. Ou mieux encore : lors d’une visite sur le site, une fois la tablette pointée dans la bonne direction, le bâtiment virtuel se construit à l’endroit précis où il sera érigé plus tard, alors que la première pierre n’a même pas été posée. «C’est un outil d’aide à la décision ou à la conception pour l’architecte, qui visualise le projet architectural, ses variantes, l’intégration dans l’environnement réel, poursuit Xavier Gallée. C’est également utile lors des réunions sur place avec les élus locaux ou le futur acquéreur, qui a possibilité de voir le futur bâtiment en situation.» Chez Bouygues Constructions, la finalité de l’application Ramby Outdoor est comparable.
L’agence Artefacto maîtrise le procédé depuis cinq à six ans désormais. Le prochain défi consiste à déployer une solution plus autonome. «Aujourd’hui, l’agence récupère le fichier SketchUp ou Revit/BIM (Building Information Modeling) de l’architecte et conçoit l’application à partir des ces données, explique Xavier Gallée. L’objectif serait de fournir une plateforme en «back office» pour que le promoteur puisse lui-même charger les données BIM et obtenir l’application de RA appropriée sur site. L’attente est également forte de la part des constructeurs. L’idée serait que le maçon et l’électricien, en réunion sur le chantier, puissent visualiser en RA l’un les murs porteurs, l’autre le câblage électrique. Superposer la maquette BIM et l’image réelle serait intéressant pour suivre le chantier en cours, améliorer la communication entre les corps de métier, contrôler la qualité de mise en œuvre, connaître l’état d’avancement et le planning… Or, un fichier BIM, qui s’apparente à la carte Vitale du bâtiment, contient de multiples calques et se révèle lourd et exigeant. La difficulté, c’est de le transposer d’une station de travail du bureau d’études à un outil mobile comme une tablette, à la puissance et la capacité mémoire bien inférieures. Notre projet de recherche, qui vise à conserver l’intelligence et la souplesse du fichier BIM sur une tablette, est cependant finalisé et ne tardera pas à être commercialisé.» Autre problématique : la filière du BTP, réputée peu encline aux transformations numériques, se convertit très doucement au BIM. Le grands acteurs du bâtiment ont toutefois signé une charte en septembre dernier et s’engagent à généraliser le BIM dans le neuf d’ici à 2022.
Améliorer la perception d’un projet
Par analogie avec d’autres industries, la RV est un autre prolongement potentiel de la maquette numérique. La visite d’un bâtiment virtuel mis à l’échelle et l’immersion 3D dans les volumes intérieurs favorisent la perception de l’architecture et de l’aménagement, la compréhension d’un projet et la prise de décision. Le postulat est valable tant pour le particulier qui prospecte un bien immobilier avant l’achèvement, que pour le client professionnel qui inspecte ses futurs locaux. Le spécialiste de l’immobilier d’entreprise JLL, par exemple, a mis au point une application de réalité virtuelle et augmentée, grâce à laquelle le preneur visite virtuellement ses futurs bureaux et choisit les finitions, à l’aide d’un casque de réalité virtuelle ou mixte. C’est aussi un casque de réalité virtuelle, en l’occurrence le HTC Vive, dont fait usage le groupe Legendre. Pendant la phase de conception, le client – maître d’ouvrage, promoteur… – a l’occasion de parcourir le clone virtuel du futur ouvrage, de valider le projet en l’état ou de demander des modifications. Il a la possibilité de faire varier l’heure de la journée pour vérifier comment évoluent les conditions de luminosité et les ombres portées. L’outil, différenciant, est à la disposition des forces commerciales du constructeur et valorise leur argumentaire auprès des décideurs. Il est également au service de la formation professionnelle, notamment sur les problématiques de sécurité sur les chantiers. Bouygues Construction et HTC ont récemment entrepris une démarche similaire concernant la prévention des risques sur les sites de construction.
Le groupe Legendre utilise des casques de réalité virtuelle pour ses clients, ses commerciaux et ses compagnons.
Ces techniques d’immersion et de virtualisation vont au-delà des murs d’un simple bâtiment. Illustration avec le réaménagement du quartier Bastide Niel à Bordeaux, qui s’étend sur 35 hectares, et qui l’objet d’un projet de recherche RA/RV par la société Immersion. «L’objectif est de réaliser la maquette numérique de cette zone d’aménagement concertée puis, au fur et à mesure des constructions, de la mettre à disposition des corps d’Etat, des agents de la ville, des promoteurs et des citoyens, explique Christophe Chartier, PDG d’Immersion. Avec des outils de réalité virtuelle et de réalité mixte, tout le monde pourra s’approprier au plus tôt l’évolution du quartier. C’est de la co-construction. Le citoyen pourra se téléporter dans un appartement, le situer par rapport à l’école ou à la crèche et vérifier les points de vue de chaque fenêtre. Nous avons mis au point un prototype, basé sur les lunettes HoloLens, qui permet de superposer la maquette physique et des informations, telles que les prévisions de flux des transports.» La maison hébergeant ce projet sera bâtie au premier semestre 2018.
Dans la plupart de ces cas d’usage et hors chantier, les casques grand public s’imposent du fait de leur prix de plus en plus abordable. En revanche, le principe du Cave (ou salle immersive 3D, NDLR), déjà ancien dans la conception automobile ou aéronautique, est récent dans le BTP. L’organisation du travail et les besoins diffèrent. Par exemple, un bâtiment, contrairement à un avion ou une voiture, est unique et n’est jamais précédé par un prototype. En France, la première salle immersive et stéréoscopique dédiée a été installée fin 2014, au siège de Bouygues Construction à Guyancourt, et assiste les ingénieurs pendant la conception, entre autres fonctions. Dans la foulée de la généralisation du BIM et de la baisse constante des prix, les grands du BTP ne manqueront probablement pas d’adopter cet outil complémentaire. Il est aussi question de concurrence et d’image de marque.
Frédéric Monflier
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