Les améliorations technologiques nécessaires pour voir évoluer sur nos routes des voitures sans conducteur sont nombreuses et l’Europe subventionne de nombreux projets, 148 au total, pour tendre vers cet objectif.
Parmi eux, InDiD est l’un des 13 projets français retenus par la Commission européenne dans le cadre du dernier appel à projets du Mécanisme pour l’Interconnexion en Europe (MIE). Il s’inscrit dans la suite des projets de Systèmes et Transports Intelligents Coopératifs, les C-TIS.
Sécurité, infrastructure, connectivité… Les défis sont donc nombreux et le projet InDiD apportera sa pierre à cet immense édifice.
Toufik Ahmed, Directeur Adjoint de l’ENSEIRB-MATMECA – Bordeaux INP, et chercheur au LaBRI, a expliqué aux Techniques de l’Ingénieur les spécificités du projet InDiD, qui réunit 24 acteurs au niveau institutionnel et de la recherche.
Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous nous présenter le projet InDid, qui a été prolongé de six mois et qui se terminera au début de l’année 2024 ?
Toufik Ahmed : Le chef de file de ce projet est le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire, qui coordonne les 24 acteurs (industriels, collectivités, sociétés d’autoroutes, laboratoires de recherches, partenaires institutionnels), dont Bordeaux INP fait partie. Le projet InDID se concentre sur le développement de l’infrastructure routière numérique de demain en complément de l’infrastructure physique, pour favoriser des services de transports innovants et plus particulièrement les Systèmes de Transport Intelligents Coopératifs (C-TIS).
Sur quelles problématiques travaillez-vous ?
Les problématiques traitées concernent l’amélioration de la connectivité sur l’infrastructure routière numérique et l’infrastructure réseau (cœur du réseau). A savoir comment garantir un échange efficace d’informations entre les véhicules, mais également entre le véhicule et l’infrastructure numérique.
Dans ce contexte, notre travail se concentre sur deux aspects, d’une part l’hybridation technologique et d’autres part le traitement des données dans l’infrastructure numérique.
Sur le premier volet, l’accent est mis sur l’apport de la 5G pour favoriser des services novateurs sur les véhicules C-TIS. Par exemple, les services comme le support de véhicules autonomes ou encore le platooning, qui consiste en un convoi de véhicules guidé par une seule personne. Le platooning s’adresse principalement au transport de marchandises.
L’ambition du projet InDiD dans sa globalité est de continuer à développer les services C-TIS à travers les sites pilotes du projet et d’expérimenter de nouveaux services.
Le second volet a pour ambition de comprendre comment rapprocher les services du consommateur et du fournisseur de services. Sur ce point, nous avons investigué le déploiement d’infrastructures de traitement de données à la périphérie du réseau, appelé Edge Computing. Implantée stratégiquement sur des emplacements clés des routes et des autoroutes, cette infrastructure vise à exécuter les services au plus près de l’utilisateur, réduisant ainsi significativement les temps de latence et améliorant les performances.
Revenons sur l’hybridation technologique. Quelles sont les expérimentations que vous avez mises en place ?
Plusieurs technologies existent au-delà des réseaux cellulaires 4G/5G, et notamment ITS-G5, la technologie européenne des C-ITS basée sur le wifi, qui permet une connexion ad hoc entre plusieurs véhicules. Nous avons constaté que cette technologie ne parvient pas à offrir seule un débit suffisamment élevé. Nous avons donc travaillé sur une amélioration de cette technologie, ce qui a permis d’obtenir de meilleurs résultats en termes de fiabilité, de débits et de taux d’erreurs. Cependant, malgré ces avancées, les services comme le platooning ou la conduite à distance ne peuvent être pleinement assurés par ces technologies lorsqu’elles sont considérées de manière isolée, que ce soit l’ITS-G5 ou même la 5G.
L’idée directrice de nos travaux a donc été d’hybrider la 5G et l’ITS-G5, afin de bénéficier des avantages de chaque technologie et d’obtenir des résultats optimaux en termes de débit et de temps de latence, tout en permettant à plusieurs véhicules d’accéder à l’interface radio simultanément.
Quels résultats avez-vous obtenu ?
L’hybridation a permis d’obtenir une amélioration de l’ordre de 30% sur le taux de réception des paquets, et une amélioration du débit de 20%, et une réduction du taux d’occupation du canal de l’ordre de 10%.
Ces améliorations sont suffisantes aujourd’hui pour supporter la première phase de déploiement des C-TIS, qui concerne surtout les services d’information : congestion routière, services de type GLOSA (vitesse optimale de franchissement d’un feu tricolore). Ces services concernent la première phase de déploiement, qui est actée et déployée aujourd’hui.
Parlez-nous des phases 2 et 3, qui doivent suivre cette première phase ?
La seconde phase regroupe les améliorations relatives à la perception de l’environnement du véhicule et les échanges d’informations entre véhicules, Enfin, la phase trois assure le support automatisé des véhicules autonomes, qui inclut la perception collaborative, et la capacité d’un véhicule à s’insérer de manière efficace et donc sécurisée sur des routes fréquentées par d’autres véhicules.
Les latences nécessaires pour ce type de service de phase 3, ou pour le platooning par exemple, sont de l’ordre de la milliseconde, ce qui est aujourd’hui inaccessible, même avec l’hybridation entre la 5G et l’ITS-5G. Il va falloir attendre des améliorations dans l’interface radio pour disposer de plus de débit et moins de latence.
En ce qui concerne le traitement des données à la périphérie de l’infrastructure numérique, quels résultats avez-vous obtenu, et quels sont les freins persistants ?
Actuellement, tout est centralisé. Si on regarde l’infrastructure routière en France, il y a un data center national, à Paris, qui est utilisé pour l’ensemble des services. Ce qui induit évidemment un temps de latence important. L’idée ici est donc de déployer des mini-data centers, que l’on appelle des Edges, pour opérer les calculs et la prise de décision localement, et pas sur le nœud national.
L’objectif est donc de déployer des nœuds au niveau local, tout en permettant au service de suivre l’utilisateur une fois que ce dernier s’éloigne spatialement d’un nœud, c’est ce que l’on appelle la continuité de service. C’est comme cela que nous parvenons à réduire le temps de latence significativement, et donc à améliorer les performances des services.
Comment avez-vous expérimenté cela ?
Nous avons expérimenté cela au niveau d’une barrière de péage banalisée pendant la durée d’expérimentation par l’APRR, au niveau de laquelle nous avons déployé nos antennes ITS-G5 et les Edges. Nous avons ensuite simulé un véhicule autonome connecté pour expérimenter la vitesse de calcul et le temps de latence entre ce dernier et le data center local : bien sûr, la qualité de service obtenue est bien meilleure qu’en utilisant un data center national beaucoup plus éloigné du véhicule : il s’agissait en l’occurrence pour le véhicule de choisir la voie de péage la plus pertinente pour fluidifier le trafic au maximum.
De nombreux projets sont menés au niveau européen en ce moment sur les différentes problématiques inhérentes au développement de véhicules autonomes et connectés. Comment mettre en commun toutes les avancées qui sont réalisées sur ces différents projets ?
Il faut savoir que les acteurs de l’industrie et de la recherche travaillent sur plusieurs projets simultanément, au niveau national et européen. Cela permet de mutualiser les connaissances, mais également de travailler sur un aspect très important indispensable au déploiement de la première phase que nous avons évoqué, qui est l’interopérabilité des services d’un pays à un autre. Aujourd’hui, le déploiement d’infrastructure routière numérique sur tout le territoire va permettre à terme d’assurer une meilleure couverture des services de la phase 1, avant de passer aux phases 2 puis 3.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
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