Les odorants participent aux arômes, ils peuvent constituer une signature des états métaboliques ou pathologiques, ils émanent de drogues ou d’explosifs, signalent des polluants domestiques et environnementaux. Par conséquent, il y a un intérêt croissant pour l’émergence de technologies permettant l’évaluation rapide et non invasive des composés odorants volatils. Les dispositifs actuels de nez électroniques basés sur des semi-conducteurs d’oxyde de métaux ou des polymères conducteurs qui identifient spécifiquement des odorants gazeux sont en général lourds et coûteux et donc inadaptés pour l’élaboration de micro et nanocapteurs qui pourraient mimer le système olfactif naturel. Par ailleurs, ils n’impliquent pas l’identification moléculaire des odorants, leur fonctionnement est perturbé en présence d’eau, et ils nécessitent une taille conséquente d’échantillon pour assurer une interaction optimale avec la surface du capteur. Il est donc extrêmement tentant de développer de nouveaux biocapteurs à base de récepteurs olfactifs, pour remplacer les éléments sensibles physico-chimiques des capteurs chimiques. Cela fournirait une nouvelle plate-forme capable de contourner les inconvénients des dispositifs bioélectroniques actuels. Avec la mise en évidence des récepteurs olfactifs et de la grande famille de gènes qui les codent, Axel et Buck (prix Nobel de physiologie et médecine en 2004) ont ouvert la porte à de multiples voies de recherche tant fondamentales qu’appliquées. Les récepteurs olfactifs comme de nombreux composés biologiques ont des propriétés électriques, ce qui rend possible l’élaboration de capteurs basés sur ces biomolécules.
Le potentiel considérable des nanotechnologies
L’approfondissement des connaissances sur l’olfaction est accompagné du développement rapide des nanotechnologies et de leur influence significative dans les divers secteurs médicaux. Les avancées des nanotechnologies offrent un potentiel considérable pour améliorer la vie des malades surtout lorsqu’elles se concentrent sur l’identification de la maladie, de sa cible, le choix des traitements, l’administration des médicaments et le suivi des effets de la thérapie.
Historiquement, le premier biocapteur a été créé pour mesurer la concentration en glucose dans le sang. Pour la première fois, une protéine, l’enzyme glucose-oxydase, a été utilisée comme élément sensible du capteur. Depuis, une centaine d’autres enzymes ont été utilisées pour les biocapteurs enzymatiques. Le domaine des biocapteurs s’est élargi ensuite avec d’autres protéines solubles ou membranaires, les oligomères, les lipides… ainsi que de nouvelles molécules synthétiques, comme les aptamères. Les nanotechnologies ont impacté ce développement en synergie avec les recherches multidisciplinaires permettant des stratégies émergentes, qu’il s’agisse de nouveaux matériaux, ou de systèmes de reconnaissance utilisés dans les points d’intervention (point-of-care), qui sont encore plus rapides et plus robustes et améliorent la qualité et la facilité du diagnostic.
Les nanotechnologies ont accéléré significativement ce développement en améliorant la biocompatibilité, en proposant de nouvelles approches pour l’immobilisation des biomolécules, et pour l’amplification des signaux générés par la bioreconnaissance. Une des principales applications de ces nouvelles technologies est dans le domaine de nouveaux biosenseurs de diagnostic médical. En effet, grâce aux nanotechnologies, la sensibilité et la sélectivité des dispositifs sont augmentées, l’intégration de la microfluidique est devenue possible et les performances analytiques en termes de répétabilité et fiabilité sont améliorées. De réelles perspectives s’ouvrent, du fait de la miniaturisation, pour interagir de façon ciblée avec les entités biologiques, telles que les récepteurs olfactifs. Le concept de biocapteur olfactif désigne un dispositif de détection d’une ou de quelques odeurs cibles. Les caractéristiques recherchées pour de tels dispositifs concernent essentiellement leur spécificité, leur sensibilité, voire la dose-dépendance de leur réponse pour quantifier la présence de l’odorant à détecter. Les capteurs bio-inspirés peuvent utiliser des récepteurs olfactifs, greffés sur des nanostructures (nanotubes de carbone ou de polymère conducteur, etc.) sur lesquelles sont basés des transistors à effet de champ ou des dispositifs électrochimiques ou optiques. Les signaux générés sont ensuite analysés et traités statistiquement afin de caractériser les échantillons.
Pour un diagnostic médical non invasif et précoce
Les biocapteurs dont les éléments sensibles sont des récepteurs olfactifs peuvent déboucher sur des dispositifs médicaux de détection performants, bon marché, permettant une mesure quantitative et directe, sans marqueur. Ils pourront en particulier servir au diagnostic médical non invasif et précoce. Les applications ciblées peuvent être aussi bien des pathologies largement répandues dans des pays aux ressources limitées manquant d’équipements lourds et de support technique pour le diagnostic (tuberculose), que des cancers dont le dépistage systématique se met en place dans les pays développés (cancer de la prostate, du poumon…). Pour chaque application, il s’agit tout d’abord d’identifier un marqueur odorant spécifique de cette pathologie, puis de trouver le ou les récepteurs olfactifs pertinents pour cet odorant, et d’intégrer cet élément sensible dans un dispositif hybride permettant la détection du marqueur odorant, et donc le diagnostic de la pathologie. Les biocapteurs olfactifs sont particulièrement prometteurs dans la mesure où ils exploitent les propriétés intrinsèques des récepteurs olfactifs en termes de détection spécifique à haute sensibilité, et de discrimination fine entre composés odorants de structure chimique très proche.
Par Jasmina VIDIC, Ingénieur de recherche INRA, Virologie et Immunologie Moléculaires, UR892, INRA Jouy-en-Josas
et Édith PAJOT-AUGY, Directrice de recherche INRA, NeuroBiologie de l’Olfaction, UR1197, INRA Jouy-en-Josas
Extrait de l’article Nanobiocapteurs olfactifs pour la détection de pathologies, RE238, rédigé en 2014 par Jasmina VIDIC et Édith PAJOT-AUGY.
Pour retrouver l’article dans son intégralité : http://www.techniques-ingenieur.fr/base-documentaire/procedes-chimie-bio-agro-th2/analyse-et-mesure-en-biotechnologie-42160210/nanobiocapteurs-olfactifs-pour-la-detection-de-pathologies-re238/
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