Les réarrangements interchromosomiques sont des échanges de matériel génétique entre deux chromosomes n’appartenant pas à la même paire. Ils apparaissent lors de la formation des gamètes, c’est-à-dire des spermatozoïdes ou des ovocytes, et ont beaucoup été étudiés chez les humains. La fécondation avec un gamète contenant une mutation de ce type conduit généralement à la mort de l’embryon, ou alors peut avoir des conséquences graves chez les nouveau-nés ; elle concerne environ 0,5 % de ces derniers. Par contre, ces anomalies chromosomiques ont été peu étudiées chez les animaux, notamment ceux destinés à l’élevage. Des généticiens d’INRAE, en collaboration avec Eliance, la fédération d’entreprise de conseils en élevage, ont étudié la prévalence des réarrangements interchromosomiques sur les bovins et ont cherché à comprendre leurs origines et leurs conséquences pour ces animaux. Leurs travaux ont été publiés dans la revue Genome Research.
Ce travail de recherche a pu être réalisé grâce à la mise en place de l’évaluation génomique en production animale depuis 2010. Celle-ci consiste à prédire la valeur génétique de chaque animal à partir de son génotype, et non plus en testant au préalable sa descendance, comme c’était le cas jusqu’à cette date. Cette révolution technologique a permis de constituer une base de données de génotypes, de séquences de génomes entiers et de phénotypes qui peuvent être utilisés pour traiter une grande variété de questions scientifiques, notamment celles portant sur les anomalies chromosomiques.
Les chercheurs de ce projet se sont intéressés à 5 571 taureaux d’insémination, issus de 15 races différentes. Pour leurs analyses, les généticiens ont exploité 50 000 marqueurs balisant le génome de chaque descendant, sur un total de plus de 2 millions de descendants. Des milliards de combinaisons possibles de couples de marqueurs de chromosomes différents ont ainsi pu être étudiées. Résultat, 12 réarrangements interchromosomiques ont été observés sur des taureaux de race Holstein, Charolais, un Normand et un Abondance. Certains de ces réarrangements interchromosomiques n’avaient jamais été décrits chez les bovins jusqu’ici. Ces anomalies toucheraient donc environ un taureau sur 450, mais aucune différence significative dans la prévalence de ces mutations n’a été observée entre les différentes races étudiées.
Des taureaux déjà classés comme étant les moins fertiles
Grâce au suivi transgénérationnel des chromosomes réarrangés, les chercheurs ont observé qu’ils résultaient le plus souvent de réarrangements apparus spontanément pendant la formation des gamètes de leurs pères ; 10 des 12 taureaux étaient en effet concernés par ce phénomène. D’ailleurs, ces derniers étaient déjà classés dans la catégorie des mâles les moins fertiles de leur race, tandis que la descendance de l’un d’entre eux affichait un taux de mortalité juvénile record avec 44 % de génisses n’ayant pas survécu au-delà d’un an.
Pour mieux comprendre les conséquences sur les performances des animaux porteurs de ces mutations chromosomiques, les chercheurs ont ensuite analysé la base de données zootechniques française des descendants de ces taureaux. Elle contient des informations sur divers aspects de la vie des vaches, comme leur date de naissance, de mort, d’insémination et de vêlage. Cette étape a permis de mettre en évidence des retards de croissance et une fertilité dégradée chez les génisses porteuses de l’anomalie, par rapport à celles issues du même taureau, mais ayant des chromosomes normaux. Ces carences ont pour conséquence d’augmenter significativement l’abattage des femelles avant qu’elles ne démarrent leur vie productive et ont donc un coût pour les éleveurs. Elles ont également un impact sur l’environnement, puisque ces animaux sont élevés, alors qu’ils ne produisent presque rien de consommable pour l’homme.
À la lumière de tous ces éléments, les scientifiques recommandent fortement le dépistage précoce et systématique des futurs taureaux d’insémination. Selon eux, la méthodologie qu’ils ont développée constitue un outil facile à mettre en œuvre et très sensible pour détecter les réarrangements interchromosomiques, surtout pour suivre les porteurs à travers les générations, dans le but d’éradiquer ces mutations.
Les auteurs de cette étude considèrent que la diffusion de la semence de taureaux d’insémination porteurs de ce type de mutation chromosomique coûterait plus d’un million d’euros par taureau touché du fait de la surmortalité et des baisses de fertilité et de productivité de leurs descendants. Et ils estiment qu’un ou deux taureaux seraient affectés par ces anomalies en moyenne chaque année en France. Un tel coût pour la filière bovine montre à quel point il semble important de mettre en place un dépistage généralisé de ces anomalies chromosomiques.
Dans l'actualité
- Une filière de protéines d’insectes à destination de l’alimentation animale
- Maladies émergentes : l’Anses rappelle les liens entre santé humaine et animale
- Des papillons à l’origine d’une nouvelle peinture ultralégère
- Surveiller le comportement des vaches grâce à des caméras et de l’IA
- Circul’egg donne une nouvelle vie aux coquilles d’œufs
- Plantes NTG : les discussions avancent au niveau européen
- Un virus qui provoque des mutations chez les insectes pour faciliter sa dissémination