Interview

Des vitrages photovoltaïques dont la transparence s’adapte à la luminosité

Posté le 14 juillet 2020
par Nicolas LOUIS
dans Innovations sectorielles

Des cellules solaires qui changent de couleur en fonction de l'ensoleillement et génèrent de l'électricité viennent d'être développées. Renaud Demadrille, ingénieur-chercheur au CEA, nous parle de cette innovation et des applications potentielles.
Renaud Demadrille, Ingénieur-chercheur au CEA. Crédit photo R. Demadrille CEA-IRIG-1

Développées au début des années 1990, les cellules solaires fabriquées à partir de colorants organiques présentent l’avantage d’être peu coûteuses à fabriquer, mais surtout d’être semi-transparentes. Grâce à un processus photoélectrochimique directement inspiré par la photosynthèse végétale, ces colorants photosensibles sont capables de produire de l’électricité lorsqu’ils sont exposés au soleil. Une équipe du CEA, en collaboration avec l’Université Pablo de Olavide (Séville, Espagne) et l’entreprise suisse Solaronix, a inventé une nouvelle famille de colorants dont la couleur varie en fonction de l’intensité lumineuse. Le résultat de ce travail, publié dans Nature Energy, ouvre la voie à la conception de vitrages photovoltaïques dont la transparence varie selon l’ensoleillement. Renaud Demadrille, ingénieur-chercheur au CEA, nous parle de cette nouvelle technologie.

Techniques de l’Ingénieur : Présentez-nous votre innovation.

Renaud Demadrille : Nous développons des cellules solaires semi-transparentes composées d’une nouvelle famille de colorants organiques dont la particularité est d’être photochrome. Ce terme signifie que leur couleur et leur transparence varient en fonction de l’intensité lumineuse. Lorsque l’ensoleillement est élevé, ces cellules solaires deviennent moins transparentes afin de filtrer davantage de lumière et ainsi produire plus d’électricité. Inversement, lorsque l’ensoleillement est faible, ces cellules deviennent plus transparentes afin de laisser traverser la lumière mais produisent tout de même un peu d’énergie. Sur le plan international, c’est la première fois qu’une équipe de recherche démontre une performance électrique de ces cellules photosensibles associée à une capacité à changer de couleur et de transparence.

Quelles sont les applications futures de ces cellules solaires ?

Le premier usage concerne les vitres des façades de bâtiments afin de produire de l’électricité. La couleur de ces vitrages photovoltaïques s’auto-adaptera en fonction de la lumière extérieure transmise avec une transparence qui variera de 30 à 60 %. À l’intérieur du bâtiment, la luminosité sera donc suffisante afin que la visibilité dans les pièces soit acceptable. Dans le passé, d’autres technologies à base de cellules semi-transparentes ont été développées, comme les cellules de Grätzel, mais leur couleur et leur transparence ne varient pas. Pour les architectes à la recherche de vitres qui produisent de l’énergie, ces cellules de Grätzel se révèlent contraignantes puisque, pour atteindre des performances électriques correctes, elles doivent être peu transparentes alors qu’ils recherchent des vitrages laissant traverser suffisamment la lumière.

Une seconde application potentielle concerne l’équipement des toits ouvrants des véhicules électriques. Nos cellules solaires permettront de recharger les véhicules en énergie tout en apportant un confort à l’intérieur puisque la lumière de l’habitacle se régulera automatiquement selon les conditions météorologiques.

Comment fonctionnent ces vitrages photovoltaïques photochromiques ?

Ils sont fabriqués à partir de deux pièces de verre recouvertes d’un oxyde transparent conducteur et qui servent chacune d’électrode. L’une des pièces est également recouverte de dioxyde de titane (TiO2). Nous incorporons, à l’intérieur de ces deux plaques de verre, un colorant organique qui va se greffer au dioxyde de titane. Nous injectons aussi un électrolyte liquide, cela peut être également un liquide ionique ou prendre la forme d’un gel polymère. Grâce à la combinaison des électrodes, du colorant et de l’électrolyte, un courant électrique va être généré. Concrètement, le colorant absorbe la lumière (les photons) et son état va alors transiter vers une forme « excitée » et ainsi injecter un électron dans l’une des électrodes. Ce colorant change alors d’état pour se présenter sous une forme « oxydée » puis, grâce à une réaction d’oxydo-réduction avec l’électrolyte, il va se régénérer, c’est-à-dire qu’il va récupérer un électron en provenance de l’autre électrode. Ce circuit électrique permet ainsi de produire de l’énergie et, au final, c’est le colorant qui est le siège de la conversion des photons en électrons. En changeant de couleur, il absorbe plus de photons pour produire plus d’électricité. Ces colorants photochromes sont actuellement utilisés pour fabriquer certains verres de lunettes dont la teinte, plus ou moins foncée, varie en fonction de l’intensité lumineuse.

Vitres photovoltaiques photochromiques – Crédit photo R. Demadrille CEA-IRIG-1

Quelles sont les performances électriques obtenues ?

Dans le cadre de ce travail de recherche, nous avons démontré une efficacité énergétique de 4 %. Nous sommes très loin des résultats des cellules de Grätzel, dont les performances en laboratoire peuvent atteindre 14 %, mais nous voulions uniquement démontrer une preuve de ce concept. L’an dernier, l’ERC (European Research Council) m’a attribué une bourse de 2,5 M€ afin de continuer à développer ce projet. D’ici 4 à 5 ans, je pense qu’il est possible de doubler la performance de cette technologie afin d’atteindre une efficacité comprise entre 8 et 10 %.

Quels sont les autres axes de recherche de vos travaux ?

Nous développons de nouvelles colorations. Pour l’instant, nous avons élaboré des colorants dont la couleur varie du jaune au rouge ou du jaune au vert. Nous travaillons sur des cellules aux teintes beaucoup plus neutres telles que le gris afin que la filtration du spectre solaire soit plus agréable pour l’utilisateur. Un peu comme avec les verres des lunettes de soleil.

Un autre axe de recherche concerne la vitesse de transition. Actuellement, ces cellules solaires se colorent assez vite en quelques minutes, mais la décoloration prend plus de temps : de quelques dizaines de minutes à quelques heures. Nous développons donc de nouveaux colorants dont la cinétique de coloration et décoloration est plus rapide, ce qui permettra d’obtenir une meilleure adaptabilité de la transparence en fonction des conditions météorologiques.

Nous travaillons également sur la stabilité et la robustesse de ces cellules. Pour certains colorants non photochromes, nous avons réussi à obtenir une durée de vie de plus de 10 ans en laboratoire. La mesure a été réalisée à partir d’un procédé de vieillissement accéléré. Pour améliorer ce résultat, nous pouvons encapsuler ces cellules afin de les protéger.


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