News de science

Des vaisseaux sanguins artificiels ? C’est possible grâce à l’ingénierie tissulaire

Posté le 25 février 2020
par Arnaud Moign
dans Chimie et Biotech

Quel point commun y a-t-il entre les os, les cartilages, les muscles, les tendons et les parois de nos vaisseaux ? Réponse : tous contiennent du collagène. Une équipe de chercheurs de l’INSERM a développé une méthode permettant d’encourager la production de collagène par nos cellules et de l’utiliser pour concevoir des vaisseaux sanguins artificiels 100% biocompatibles.

Le collagène est une famille de protéines structurales et c’est de loin la famille de protéines la plus abondante chez les mammifères. Le plus souvent présent sous forme de fibres au sein de la matrice extracellulaire, le collagène constitue en quelque sorte l’échafaudage du corps humain.

Une démarche innovante

En ingénierie tissulaire, il a subsisté pendant longtemps un vieux dogme : celui qui consiste à prendre des cellules et à les disposer sur un échafaudage synthétique pour obtenir un tissu.

“Cette vision était celle de chimistes qui voyaient le rôle du matériau comme central. Or, on sait que même les matériaux synthétiques les plus inertes comme le PTFE provoquent une réaction inflammatoire”, affirme Nicolas L’Heureux, de l’unité « Bioingénierie Tissulaire » de l’INSERM/Université de Bordeaux.

La démarche suivie par son équipe et décrite dans le journal Acta Biomaterialia est particulièrement innovante : “Nous voulions concevoir des tissus ayant une bonne résistance mécanique sans avoir à utiliser un échafaudage synthétique”, explique le chercheur.

Pour cela, ils ont mis au point un procédé permettant de produire beaucoup de matrice extracellulaire riche en collagène, à partir de cellules spéciales, les fibroblastes. Après deux mois de mise en culture, ils récoltent de grands feuillets de matrice extracellulaire qui sont ensuite découpés en rubans.

Bobine de fil de matrice extracellulaire / Nicolas L’Heureux

Ces rubans sont très flexibles, ils peuvent être enroulés ou torsadés pour former des fils. À partir de ces fils, on peut ainsi accéder aux méthodes d’assemblage de l’industrie textile : le tissage, le tricotage, le tressage, le crochet, etc.

Des vaisseaux sanguins artificiels biocompatibles

Cette équipe de l’INSERM travaille sur plusieurs applications. La plus importante de toutes concerne la fabrication de vaisseaux sanguins à partir de ces fils tissés conçus entièrement à base de matrice extracellulaire.

Vaisseau sanguin composé de matrice extracellulaire, en cours de tissage / Nicolas L’Heureux

Les vaisseaux sanguins synthétiques qui existent fonctionnent plutôt bien pour des diamètres assez gros. Néanmoins, la seule solution viable actuellement lorsqu’il s’agit de remplacer des vaisseaux de 2 à 3 mm consiste à prélever une artère saine d’un patient et de la réimplanter.

Nicolas L’Heureux en donne la raison : “Quand le corps humain détecte un corps étranger, il va d’abord essayer de le détruire. Si cela ne fonctionne pas, il va l’isoler du système immunitaire en l’enrobant de collagène (…) Imaginons une prothèse vasculaire synthétique : si ce phénomène se produit à l’intérieur du vaisseau sanguin artificiel, le corps fabriquera du tissu cicatriciel qui viendra boucher le vaisseau si son diamètre est petit.”

Et il ajoute : “Disposer d’un vaisseau préemballé serait fantastique, car aujourd’hui personne n’est prêt à prendre le risque pour un pontage cardiaque avec des produits synthétiques qui fonctionnent mal.”

Un potentiel important

Le remplacement de vaisseaux dégradés et la fabrication de tubes pour les pontages cardiaques ne sont pas les seules applications envisageables. Il n’existe pas encore, par exemple, d’œsophages artificiels.

Nicolas L’Heureux explique : “Lors d’une ablation d’une partie de l’œsophage, la solution la plus courante consiste à recoudre directement l’estomac sur la partie restante. Dans 10 % des cas il y a des complications (…) et le tissu que nous développons permettrait potentiellement de résoudre ce problème. Il a en plus l’avantage d’être modulable par le corps humain qui serait peut-être même capable de reconstruire le tissu musculaire autour de ce produit d’ingénierie tissulaire.”

Même si la mise en culture des fibroblastes ne pose pas de problème et que l’utilisation de procédés automatiques du textile ouvre la voie vers une production industrielle, le chemin est encore long avant de voir apparaître de tels “textiles humains”.

En effet, ces textiles à base de collagène doivent encore être testés sur des animaux avant la mise en place d’essais cliniques. Il faudra enfin prouver qu’il est possible de les produire suivant les bonnes pratiques de fabrication (BPF) des dispositifs médicaux.

Photo Une : /Nicolas L’Heureux


Pour aller plus loin