Après avoir travaillé pendant 15 ans dans le secteur de la production hydroélectrique et développé un service numérique d’aide à la gestion de l’eau des rivières à l’échelle de bassins versants, Jean-Baptiste Landes décide de s’intéresser aux villes. Conscient des problématiques de disponibilités de la ressource en eau, il constate que les zones urbaines accueillent une majorité de la population française, mais que ces territoires sont très imperméabilisés, avec peu de moyens pour stocker l’eau. Il observe également que vu du ciel, les toitures des bâtiments peuvent représenter jusqu’à 50 % de la surface d’un centre-ville. Il imagine alors un système de tuiles légères munies de réservoirs pour stocker l’eau de pluie. Après le développement de plusieurs prototypes, il équipera bientôt plusieurs bâtiments. Entretien avec le cofondateur de la start-up Cactile.
Techniques de l’Ingénieur : Quelle a été votre source d’inspiration pour concevoir votre système de tuiles modulables ?
Jean-Baptiste Landes : Nous nous sommes beaucoup inspirés du cactus, une espèce végétale qui a su s’adapter à des conditions climatiques extrêmes. À l’origine, c’était un arbre, puis ses feuilles sont devenues des épines, pour à la fois se protéger des prédateurs, mais aussi pour se refroidir et diriger les gouttes d’eau vers ses racines. Tout son système racinaire s’est rapproché de la surface de la terre pour collecter l’eau rapidement avant qu’elle ne s’évapore et les plus gros cactus peuvent stocker jusqu’à 4 000 litres dans leurs troncs. Cette plante a également su faire évoluer son comportement, puisque sa photosynthèse a lieu la nuit et non plus le jour, pour éviter les pertes en eau liées à l’évaporation. Cactile, le nom de notre entreprise, est la contraction de cactus et de tile, qui signifie tuile en anglais.
Comment fonctionne votre innovation ?
Notre système se divise en trois couches fonctionnelles. La première est constituée de grands panneaux qui mesurent environ 1,5 m² et se fixent à la charpente, à la place des tuiles traditionnelles. Ils sont pour l’instant fabriqués en polypropylène recyclé, mais nous testons d’autres matériaux. Leur rôle est à la fois d’assurer l’étanchéité du toit et de servir de réceptacle à des réservoirs d’eau extra-plats. Ces réservoirs ressemblent aux blocs de glace que l’on place dans un congélateur, pour ensuite maintenir au froid une glacière, et constituent la deuxième couche. Ils sont fabriqués en polyéthylène haute densité (PE-HD) et sont tous interconnectés entre eux avec pour fonction de stocker l’eau.
La troisième couche vient recouvrir les deux précédentes et a pour rôle de collecter l’eau de pluie et a également une fonction esthétique, puisque c’est la partie visible de notre système. Au départ, nous voulions reproduire la forme des tuiles traditionnelles, et puis en écoutant des architectes, nous avons décidé de créer notre propre design, afin d’assumer la singularité de notre produit. Au final, il s’agit d’une couverture métallique, avec un design à mi-chemin entre un bac acier et une tuile traditionnelle.
Quels sont les avantages de votre système ?
L’épaisseur finale de ces trois couches est comprise entre 6 et 11 cm d’épaisseur et pèse moins de 20 kg par m². Étant donné que les charpentes sont conçues pour supporter 60 kg de tuiles par m², les réservoirs peuvent stocker jusqu’à 40 litres d’eau par m². Notre dispositif a été imaginé dans une logique inverse des toitures conventionnelles dont le rôle est d’évacuer l’eau de pluie le plus rapidement possible, au risque de voir les réseaux d’eau collectifs s’engorger lorsque des torrents d’eau tombent. Grâce à la forme de nos tuiles et à leurs revêtements, nous parvenons à casser l’énergie de l’eau pour ralentir sa vitesse d’écoulement et faire en sorte qu’elle s’insère le plus possible dans les réservoirs. En utilisant un simulateur numérique, nous avons calculé que pour une toiture de 60 m², nous pouvons réduire théoriquement de 70 % le rejet d’eau dans le réseau pluvial lors d’un orage de 30 mm durant une heure.
Nous développons une vanne connectée à un service météorologie pour protéger les villes des inondations. Concrètement, elle pourra vidanger automatiquement les réservoirs avant un orage à venir, pour stocker un maximum d’eau lorsqu’il surviendra et ainsi éviter le débordement du réseau collectif.
Nos tuiles sont éco-conçues afin de réduire le plus possible l’impact de la couverture des bâtiments sur l’environnement. Par exemple, nous évitons de mélanger des couches de matériaux, pour que notre système soit facilement recyclable en fin de vie.
Comment est valorisée l’eau après avoir été stockée ?
Étant donné que tous les réservoirs sont interconnectés entre eux, il est possible de faire une descente d’eau à l’endroit souhaité. Par exemple, on peut alimenter des toilettes par gravité, sans consommer d’énergie. Cet usage intérieur est privilégié, car il n’y a pas besoin de pression et c’est l’un des principaux postes de consommation d’eau d’une habitation. Ensuite, tous les usages autorisés avec l’eau de pluie sont possibles comme l’irrigation des végétaux ou le lavage des voitures.
À qui est destiné votre système ?
Il est adapté aux bâtiments collectifs équipés de grandes toitures en pente et principalement ceux gérés par l’État, les collectivités, le secteur public, les bailleurs sociaux. Nous nous adressons par ailleurs à tous les acteurs de l’immobilier, comme les architectes, les bureaux d’études, les promoteurs… Notre système n’est pas adapté aux toitures plates, par contre il peut équiper les façades, afin de créer un bardage utile, comme une seconde peau du bâtiment. Nous privilégions aussi la rénovation, car il s’agit d’un des rares produits adapté à cela. Notre système a été conçu pour éviter de devoir tout casser afin d’adapter les villes au changement climatique le plus rapidement et facilement possible.
Au premier semestre 2024, nous allons installer un démonstrateur à l’école des Mines d’Albi, où notre entreprise est incubée. La structure imaginée va nous permettre de tester notre produit sur différentes inclinaisons de toitures ainsi que sur des façades. Ensuite, nous allons équiper cinq autres bâtiments, dont celui d’une école, une médiathèque et de deux entreprises, propriétaires privés.
Nous bénéficions du soutien de l’Ademe et nous allons engager des démarches pour que nos tuiles modulables puissent être subventionnées, au même titre que les autres systèmes de récupération de l’eau de pluie. Nous poursuivons le développement de notre système afin qu’il puisse également accueillir des panneaux photovoltaïques, qui eux aussi peuvent faire l’objet de subventions.
Cet article se trouve dans le dossier :
Matériaux : l'innovation au service de la construction décarbonée
- Un supercondensateur à base de ciment, d’eau et de carbone pour stocker l’électricité dans les structures en béton
- De futures constructions en pâte de mycélium
- Ciment sans clinker : la solution d’avenir ?
- Le béton : un matériau technologique faisant l'objet d'une intense R&D
- Des tuiles équipées de réservoirs pour stocker l'eau de pluie sur les toitures
- Des enveloppes bio-inspirées pour améliorer la performance environnementale des bâtiments
- Module Carré recycle les déchets en revêtements de sol
- Waste Marketplace centralise la gestion des déchets des industriels et du bâtiment
- Circul’egg donne une nouvelle vie aux coquilles d’œufs
Dans l'actualité
- Plus de la moitié des lacs du monde voit leur volume d’eau baisser
- Comment les industriels optimisent la gestion de l’eau ?
- Valorisation et réutilisation de l’eau : l’exemple de Cristal Union à Bazancourt
- « Il y a une prise de conscience globale des industriels sur la ressource eau »
- DRIAS-Eau : prédire l’évolution de la ressource en eau pour s’adapter
- Détecter les inondations en milieu urbain grâce à de l’imagerie satellite et de l’IA
- Techniques de l’Ingénieur partenaire de CYCL’EAU !
- Osmosun mise sur le solaire pour dessaler l’eau de mer
- ITRON : la France s’engage sur un programme de digitalisation des compteurs d’eau
- Gérer l’eau pour mieux la préserver, un enjeu majeur pour une ressource de moins en moins durable