Tout le monde connaît les célèbres « tattoos » de la marque de chewing-gum Malabar, ces dessins qui s’impriment sur la peau grâce au procédé de décalcomanie. En s’inspirant de cette technique, des chercheurs ont réussi à mesurer l’activité cérébrale grâce à des électrodes tatouées éphémères posées sur le crâne de patients et ainsi effectuer des électroencéphalographies (EEG). Ce travail de recherche, réalisé au sein du département Bioélectronique de l’École des Mines de Saint-Étienne, vient d’être publié dans la revue Nature flexible electronics.
Contrairement aux électrodes actuelles qui sont conçues à partir de métaux comme de l’argent, cette technologie repose sur des capteurs fabriqués à partir d’un mélange de deux polymères nommé PEDOT:PSS, formant ainsi une encre conductrice et capable de mesurer des signaux électrophysiologiques. « Comparé aux électrodes métalliques développées dans les années 60, le PEDOT:PSS est un meilleur matériau pour réaliser l’interface avec la peau humaine et enregistrer l’activité cérébrale, explique Esma Ismailova, chercheuse en bioélectronique à l’École des Mines Saint-Étienne. Il possède en effet une double propriété et peut conduire les électrons afin de capter le signal électronique du cerveau tout en ayant une capacité à mesurer la mobilité ionique. »
Une encre conductrice contenant le mélange les deux polymères
Alors que les électrodes classiques nécessitent l’utilisation d’un gel pour diminuer l’incidence de contact avec la peau et qui présente l’inconvénient de sécher au bout de quelques heures, ce nouveau dispositif est directement posé sur le crâne. « Son épaisseur est si fine, de l’ordre de quelques microns, qu’il épouse parfaitement la surface de la peau » ajoute la chercheuse. Comme avec les chewing-gums Malabar, ce procédé est composé d’une couche de cellulose puis d’une couche sacrificielle. Au lieu d’imprimer sur ce substrat des dessins à l’aide d’une encre de couleur, les chercheurs utilisent l’encre conductrice qui contient les deux polymères en utilisant une imprimante spécialement adaptée au secteur de la microélectronique. Une fois le dispositif posé sur la peau, il suffit de le frotter à l’aide d’une éponge humide pour dissoudre la couche soluble et ainsi transférer le tatouage et ses électrodes sur le corps.
Pour les chercheurs, la difficulté a été de concevoir des capteurs capables de détecter les signaux très faibles du cerveau. « Nous avions déjà réussi à mesurer les signaux du cœur et des muscles grâce à cette technique, confie Esma Ismailova. Dans le cas d’un EEG, le signal est beaucoup plus complexe et fragile à mesurer, de l’ordre de quelques millivolts seulement. Il est aussi beaucoup plus sensible aux bruits environnants et aux nuisances électromagnétiques ». Comme c’est le cas avec les électrodes métalliques, ces capteurs nécessitent de raser les cheveux localement à l’endroit où ils doivent être posés. Un laboratoire italien, partenaire de ce travail de recherche, a démontré que les cheveux peuvent pousser à travers ces tatouages éphémères sans entraîner une trop forte détérioration de la captation du signal. Dans le futur, il est envisagé d’utiliser seulement trois à quatre électrodes tatouées éphémères pour réaliser un EEG, en prenant soin de les localiser à des endroits précis sur le crâne, alors que la technique actuelle nécessite l’emploi de 8 à 64 électrodes métalliques selon le diagnostic à réaliser. Les chercheurs comptent alors développer des algorithmes et se servir de l’intelligence artificielle afin de reconstituer le signal de l’activité cérébrale.
« Notre technologie est beaucoup moins invasive et apportera du confort au patient, déclare la chercheuse. À l’hôpital, le protocole de préparation des patients est assez lourd avec la mise à disposition d’une chambre bien isolée pour éviter le bruit extérieur et le port d’un casque accroché au menton. À terme, nous pourrons même réaliser l’enregistrement de l’activité cérébrale au domicile des personnes. Notre technologie évitera le stress de l’hospitalisation surtout pour les enfants et les personnes âgées ». Avec leur coloration légèrement bleu ciel, ces tatouages miniaturisés sont quasi imperceptibles, si bien que les patients pourront presque oublier qu’ils portent un dispositif électronique sur la tête. Ils devront tout de même veiller, lors de leur toilette, à ne pas asperger d’eau ces tatouages afin de ne pas les détériorer. Leur efficacité est estimée à environ trois jours.
Une transmission des données grâce à une connexion Bluetooth
Grâce à ces électrodes tatouées éphémères, les médecins pourront aussi réaliser, au même moment qu’un EEG, une magnétoencéphalographie (MEG). Cet examen, qui consiste à enregistrer l’activité électromagnétique du cerveau, est souvent prescrit aux personnes épileptiques et celles souffrant d’un cancer du cerveau, mais est difficilement réalisable en parallèle d’un EEG actuellement. Le métal des électrodes classiques vient en effet perturber le champ magnétique. « Nous n’aurons pas cette difficulté avec notre technologie, poursuit Esma Ismailova. Nous avons démontré qu’elle ne crée aucune nuisance pour la MEG puisqu’elle contient uniquement du plastique fonctionnel. »
Concernant la transmission du signal une fois capté, un dispositif électronique d’enregistrement a été intégré dans la décalcomanie lors des essais cliniques. Puis, à l’aide de câbles, les informations de l’activité cérébrale ont été transférées à un ordinateur. À l’avenir, les chercheurs souhaitent équiper le patient d’un amplificateur de signal embarqué et miniaturisé qui pourra par exemple se coller à la peau. Ce patch transmettra ensuite le signal via une connexion Bluetooth vers un ordinateur. Il est aussi imaginé de faire transiter le signal vers un téléphone portable qui retransmettra ensuite les données à un centre hospitalier.
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