L’utilisation des pesticides est la base de l’agriculture moderne, avec plus de 2,7 millions de tonnes de substances actives employées dans le monde en 2020, en augmentation de 50 % depuis les années 1990. En Europe, la France est le premier pays consommateur et cette utilisation intensive soulève des inquiétudes quant à leur devenir dans l’environnement et les impacts qui en résultent sur les écosystèmes. Bien que les pesticides soient très surveillés dans l’eau, ce n’est pas le cas dans les sols. Des chercheurs de l’INRAE, avec la collaboration de l’université de Bordeaux, ont procédé à des analyses de sol dans toute la France métropolitaine. Leurs travaux viennent de paraître dans la revue Environmental Science & Technology.
Au total, 47 sites du Réseau de mesures de la qualité des sols (RMQS), un programme national d’observation de l’évolution des sols, ont été échantillonnés entre 2019 et 2021, à une profondeur de 0-20 cm. Ce sont principalement des sols cultivés (grandes cultures, vignes et vergers), mais aussi des sols supposément non traités, comme des prairies, des forêts et des friches. Les scientifiques ont recherché 111 substances, qui ont été priorisées par l’Anses sur la base de leurs usages et de leurs comportements dans l’environnement.
Les analyses ont démontré une présence généralisée des pesticides dans presque tous les sols, puisque 46 des 47 sites, soit 98 %, contiennent au moins une substance dans la couche arable. Et 67 substances différentes ont été détectées ; les fongicides étant les plus fréquents avec un taux de détection de 69 %, suivis des herbicides (61 %) et des insecticides (40 %). Les molécules les plus fréquemment détectées sont le glyphosate et l’AMPA (acide aminométhylphosphonique), son métabolite principal, qui sont présentes dans respectivement 70 % et 83 % des échantillons de sols prélevés. Les chercheurs ont observé que la persistance de ces molécules de pesticides va bien au-delà de leur temps de dégradation théorique et à des concentrations supérieures à celles escomptées.
La compréhension de la contamination des sols est encore mal connue
Le nombre de résidus de pesticides quantifiés par site varie de 1 à 33, avec une valeur médiane de 9 substances. Les sols cultivés sont sans surprise les plus contaminés, avec une médiane de 15 résidus de pesticides détectés, et la quasi-totalité de ces sols contient au moins sept résidus. Le plus inattendu des résultats est la détection de plus de 32 pesticides différents dans les sols sous forêts, prairies permanentes, en friche ou en agriculture biologique depuis plusieurs années, certes avec des niveaux de concentration majoritairement plus faibles que pour les sites en grandes cultures.
L’hypothèse majeure de contamination de ces terres non cultivées pourrait être la proximité avec des champs traités. Par exemple, deux forêts étudiées sont situées à proximité de terres arables et la friche industrielle la plus contaminée se trouve proche d’un vignoble. Néanmoins, deux autres forêts sont entourées de prairies et de forêts, ce qui suggère d’autres facteurs influençant la contamination des sols, tels que le transfert atmosphérique à longue distance induit par des conditions atmosphériques défavorables.
Les scientifiques ont également procédé à l’évaluation des conséquences de la présence de ces molécules de pesticides sur les organismes du sol. Selon eux, le risque est non négligeable sur de nombreux sites, mais six présentent un risque élevé et concernent des terres arables cultivées en agriculture conventionnelle. Concernant les terres non cultivées (prairies, forêts et friches), la plupart des sols présentaient un risque négligeable ou faible pour les vers de terre.
« La présence généralisée de résidus de pesticides dans presque tous les sols échantillonnés, y compris les champs biologiques et les zones non traitées telles que les forêts et les prairies permanentes, met en évidence le manque de connaissances sur la dispersion des pesticides dans l’environnement », notent les auteurs de cette étude. Ils ajoutent que : « les résultats plaident pour l’intégration des résidus de pesticides dans la surveillance des sols à l’échelle nationale et une révision des procédures d’homologation d’utilisation des pesticides dans les pratiques agricoles réelles. Par ailleurs, ces substances devraient être prises en compte dans la construction de la future réglementation sur la protection des sols et notamment la loi européenne sur la santé des sols en cours de discussion. »
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